Episode 184
Midnight Sentimental
On était dimanche soir, un moment mélancolique entre tous pour les abonnés au calendrier romain. Déjà le lundi se pointe avec son cortège de grimaces. Parmi les quelques solutions pour s’en échapper, aller au cinéma, de préférence la séance de 22 heures, qu’importe le film. D’autres organisent des dîners spaghetti-chianti où se réunissent diverses mélancolies. L’abus de chianti et de grappa en finale donnent parfois de bons résultats , tout le monde se quitte en s’embrassant.
Ici, c’est le prétexte pour aller finir la soirée au Phare, débarrassé de son ordinaire clientèle d’inconnus. Deux filles, pourtant jolies, mais qui ont loupé le dernier slow du samedi soir, se consolent au morito.
Play-list laissée à nos penchants : session spéciale Dalida. Ecoutez…
Il venait d’avoir 18 ans
Il était beau comme un enfant
C’était l’été évidemment
J’ai mis de l’ordre dans mes cheveux
Un peu plus de noir à mes yeux
Il venait d’avoir 18 ans
Ça le rendait presque insolent
De certitude
Et pendant qu’il se rhabillait
Déjà vaincue, je retrouvais
Ma solitude
J’avais oublié simplement
Que j’avais deux fois
dix-huit ans
On a tous eu 18 ans pour toujours.
Episode 185
Un Russe
La météo marine annonçait : “au cours de la matinée, beau temps ensoleillé sur la majeure partie du littoral (on devait en faire partie), vers 15h45 une légère brise concomitante avec la marée montante pourrait apporter un léger refroidissement. Pensez à prendre vos pull-overs.”
On n’y aurait pas pensé. “Ça ne nous menait pas loin, mais c’était déjà ça”, avait conclu le Colonel. La mollesse dominait.
A ce propos : Oblomov… c’est le titre d’un gros roman russe – les romans russes sont toujours très gros – auteur : Ivan Gontcharov, 1858 – ainsi que le nom du héros de l’histoire. Drôle de héros d’ailleurs. De bonne naissance, cet Oblomov avait décidé de ne rien faire de la vie, de ne rien ambitionner, de manger et de dormir (beaucoup) de lire un peu. Dans sa demeure à la ville d’où il ne sortait guère, se refusant aux mondanités et aux divertissements habituels de la société nantie (trop d’efforts) des domestiques, s’occupent de la maison, de son linge, de sa nourriture, son fidèle valet Zakhar veille sur son sommeil et le choix de ses visiteurs. Il vit des faibles revenus du domaine familial où tout allait à vau-l’eau : les bâtiments s’effondraient, les cultures s’amenuisaient, les paysans (âmes en statistique d’alors) trichaient, se saoulaient ou s’enfuyaient, l’intendant mentait sur les sommes qu’il devait lui remettre. Oblomov envisageait-il d’y mettre bon ordre… la campagne était loin, les voyages le fatiguaient et, comme il l’avouait, il ne connaissait rien à tout ça. Ou ne voulait rien n’y connaître. Les élans de l’amour au-dessus de ses forces…
Ainsi allait Oblomov. Et nous…
La brise prévue par la météo marine n’était pas au rendez-vous de la marée montante. Désormais, ses pronostics hésitent entre prudence scientifique et soumission au principe de précaution absolue. Les mouettes se marraient.
Et si Oblomov se pointait au Bar da la plage…
– Georges, vodka.
Episode 186
Météo a contrario
Ça faisait une drôle d’impression. On était en plein brouillard. Un vrai brouillard, grisâtre et opaque, qui cachait les formes et les volumes, les frontières, l’eau et la terre confondues, invisibles.
Pas si gênant qu’en général on peut le craindre, il y a toujours une part de mystère dans notre position sur la planète. Il s’épaississait un peu, c’est tout. En cette matinée ouateuse, les éléments s’accordaient aux états d’âme.
La lumière, ou plutôt l’absence de lumière, s’en mêlait. L’avenir en profitait pour se dissimuler. Personne ne le cherchait.
Le brouillard qui naturellement perturbe les agitations de notre civilisation mécanisée – circulation routière, navigations maritimes et aériennes, cars scolaires (une aubaine pour les petits qui pouvaient attendre tranquillement dans leur lit que ça se lève), champs de bataille, parcours de golf, nimbait notre oisiveté d’un alibi supérieur.
Relevable seulement des facéties cosmiques.
Qu’est-ce que vous en dîtes… après tout, c’est pas si mal une journée de brouillard…