Comme le montre Audrey Soria, le discours de Victor Hugo, célèbre chez les fédéralistes, s’inscrit dans une lignée qui commence dès le milieu du XVe siècle et passe par exemple par l’Abbé de Saint-Pierre. Quant à l’expression « États-Unis d’Europe », elle circulait déjà assez largement dans les années précédant 1849. Par la suite d’autres écrivains célèbres comme Jules Romain, Stefan Zweig et même André Malraux se sont engagés, à côté de bien des praticiens de la politique, en faveur de l’unification européenne.
En 1849, lorsque s’ouvre le premier « Congrès de la paix », V. Hugo – qui avait pourtant appartenu à la Chambre des Pairs sous Louis Philippe ! – était devenu républicain. À partir de ce moment-là, il ne cessera de prôner la paix, la liberté et la justice sociale : « Extinction de la misère au-dedans, extinction de la guerre au dehors » proclamera-t-il dans son discours inaugural.
Ce discours qui est restitué in extenso dans la brochure de Presse Fédéraliste, de même que le discours de clôture, mérite d’être (re)lu pour son don d’anticipation, pas tellement en ce qui concerne la fédération européenne ou la paix (tant celles-ci avancent lentement, voire, pour la seconde, recule) que ce qui concerne les progrès techniques. « Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde » : nous y sommes !
V. Hugo lui-même a vu de son vivant la guerre remplacer la paix en Europe. Lui qui imaginait, dès 1842, une Europe pacifiée sous l’égide du couple franco-allemand (!), il dut assister au déclenchement de la guerre de 1870. « En temps de paix, je suis l’Europe, mais en temps de guerre je suis la France », écrivit-il alors. L’auteur de La Légende des siècles ne cessera pour autant de plaider pour une paix qui passe par la « fin des nations » et une « fédération », laquelle supposerait en particulier selon lui une « monnaie continentale ».
A. Sauria, dans sa présentation, ne dissimule pas ce que l’idéologie défendue par Hugo peut avoir de datée, en particulier son plaidoyer en faveur d’une colonisation « civilisatrice » qui faisait bon marché de la liberté des peuples colonisés. Péché véniel pour qui veut bien comprendre que tout homme, aussi génial soit-il, est prisonnier de son époque. Péché mortel pour d’autres, ceux qui par exemple, aux Antilles, arguent de tels propos pour demander que V. Hugo soit retiré des programmes scolaires…
Victor Hugo et les États-Unis d’Europe – Discours au Congrès de la paix, Paris 1849. Édité par Audrey Soria, Lyon, Presse fédéraliste, 2022, 44 p., 5 €.