Dans l’histoire du rugby à XV, un essai restera à tout jamais dans les mémoires, un essai d’anthologie qui entrera dans la légende. La plupart des rencontres sportives laissent à la longue un souvenir confus, sans aucun fait marquant.
Il faut une « aspérité » pour singulariser un match et marquer les esprits.
Le samedi 17 juin 2023, lors de la finale du championnat de France, opposant La Rochelle à Toulouse et à la fin d’un match tendu mais terne, un éclair de génie allait le faire basculer dans l’histoire.
Reprenons le déroulement du match : après un bon début des Toulousains, les avants rochelais prennent le dessus et dominent le match. Malheureusement pour eux ils n’arrivent pas à conclure suffisamment pour creuser l’écart.
A la mi -temps, score de parité 13 à 13.
En deuxième mi-temps, La Rochelle prend l’avantage.
Mais grâce à la botte de l’arrière Ramos, le Stade Toulousain reste proche au score, tout en étant mené. Se nourrissant de « miettes », comme le dit son entraîneur Hugo Mola, il aborde les dernières minutes avec un retard de 4 points (22 à 26). Un essai suffit à lui permettre de gagner le match. Mais la domination des Rochelais est forte et la mêlée du stade est pénalisée 4 fois en 20 minutes. L’arbitre M. Tual Trainini surveille de très près le pilier international Aldegheri.
Les supporteurs toulousains sont sans voix, le ST va perdre une première finale depuis longtemps, lui qui a pris l’habitude d’en gagner 2 sur 3 et qui vient d’en gagner 7 sur 7, championnat de France et Coupe d’Europe confondus !
Certains grands joueurs en arrivent même à déjouer. Romain Ntamack rate même à la 73ème minute la pénaltouche de l’espoir, après avoir fait un en-avant un peu plus tôt. Il est dépité et visiblement pas dans son match. L’entraîneur Hugo Mola pense alors à le sortir, ce qui serait logique, mais il hésite et ne prend pas de décision.
Arrive la 78ème minute, il ne reste que 2 minutes à jouer, une dernière balle est gagnée par la mêlée toulousaine, aux 40 mètres dans le camp toulousain.
L’entraîneur des Rochelais, Ronan O’Gara, jugeant peut-être le match gagné, vient de sortir son demi de mêlée, Ker-Barlow, auteur d’un grand match et le remplace par un jeune joueur, Berjon, peut être impressionné par l’importance de l’enjeu.
Antoine Dupont sort la balle, fixe le demi de mêlée adverse, le demi d’ouverture est mal placé d’autant plus que le premier centre Seuteni va tenter l’interception sur la passe que le demi d’ouverture toulousain, Ntamack ne va pas manquer de faire à son premier centre Pita Ahki. Il y a mésentente dans la défense maritime et ce faisant il ouvre une brèche.
Erreur funeste, Dupont, doté du 6ème sens caractéristique aux plus grands joueurs de rugby, comprend immédiatement la situation et sert Ntamack dans la foulée.
Par un magnifique changement de direction, ce dernier s’ouvre une voie royale, évite deux placages et d’une course majestueuse de 60 mètres, va déposer le ballon ovale aux pieds des poteaux adverses.
C’est de la pure magie !
78ème minute, Ntamack perce entre Danty et Dullin, au cours de sa chevauchée fantastique
Thomas Ramos n’a plus qu’à transformer et le Stade Toulousain gagne sa 22ème finale, 29 à 26, contre le cours du match, comme diront certains puristes. Hugo Mola évoquera même « un petit braquage ».
Au bout d’une course de 60 mètres, Ntamack marque l’essai de la victoire,
un essai d’anthologie
Les spectateurs toulousains explosent, je reste collé à mon fauteuil, sans voix, tellement l’émotion est immense. Voilà un match considéré comme perdu depuis de longues minutes, qui vient de basculer.
Le destin est dur pour les charentais, qui avaient dominé cette finale, mais ont été victimes de la classe du duo Dupont/Ntamack et peut être d’une erreur de gestion des joueurs.
Les Rochelais restent prostrés sur le terrain, tandis que les Toulousains exultent. Leur victoire a d’autant plus de valeur qu’ils ont longtemps cru perdre ce match, incapables qu’ils étaient de prendre le dessus. Durant ces longues minutes d’angoisse, l’entraîneur Poitrenaud avoue avoir parlé à son ordinateur, lui répétant que Toulouse ne pouvait pas perdre. Hugo Mola se demande encore pourquoi il n’a pas sorti Ntamack qui faisait un des plus mauvais matches de sa vie. Mais son exploit va tout effacer, dans la mémoire collective, on ne se souviendra que de l’essai de Ntamack à la 78ème minute de la Finale du Championnat de France (Top 14).
78ème minute : Ntamack peut exulter, il vient de marquer le plus bel essai de la saison22/23
« C’est très gentil. J’ai la chance de marquer ce dernier essai mais, si je n’avais pas ce collectif à côté, ces mecs qui me font relever la tête après ma connerie où je rate la pénaltouche, je pense que je n’aurais pas pu aller entre les poteaux. J’ai des mecs extraordinaires avec moi, qui y croient jusqu’au bout. Ils y ont même cru plus que moi. C’est grâce à eux si on a pu se sauter dans les bras au coup de sifflet final. On le méritait, les Rochelais aussi. Une finale, ça se joue jusqu’à la fin, sur des détails. Ça a basculé en notre faveur. (commentaires de Romain Ntamack à la fin du match).
Addendum :
La paire de demis Dupont/Ntamack a fait in extremis pencher la balance : c’est vraisemblablement la meilleure du monde à l’été 2023, alors que se profile la Coupe du Monde.
Avec ces 2 joueurs dans leur forme du moment, la France est favorite de la compétition, et rien ne peut nous empêcher de devenir Champions du Monde.
Mais le destin est imprévisible :
-Ntamack va se blesser gravement dans un match de préparation, en août face à l’Écosse.
-Dupont sera blessé au visage suite à un attentat commis par un 3ème ligne char d’assaut namibien.
Sans sa paire de demis « royale », l’Équipe de France perdra d’un seul petit point son quart de finale face au futur vainqueur l’Afrique du Sud.
Sic transit gloria mundi.
NB : en me documentant pour écrire cette chronique, j’ai découvert que la mère de Romain Ntamack s’appelle Marie Séguéla… Bonjour Cousin ?