Si l’on en croit les Evangiles, Ponce Pilate, procurateur romain en Judée, fut l’un des responsables de la crucifixion du Christ. Coupable malgré lui, puisque, convaincu de l’innocence de Jésus, il s’efforça même de le sauver. Mais les Juifs, poussés par les prêtres qui ne supportaient pas la concurrence d’un nouveau prophète, choisirent que le brigand Barabbas soit gracié à la place de celui qui se présentait comme le fils de Dieu.
Les Evangiles n’épargnent pas les Juifs et les chrétiens ont longtemps nourri une solide détestation des Israélites. Est-ce un signe qu’une pièce puisse mettre en accusation des Juifs – même des temps reculés – sans soulever le soupçon d’antisémitisme ? On imagine ce qu’il en serait si l’on voulait montrer sur une scène de théâtre certains épisodes peu reluisants du début de l’islam…
Les ambiguïtés du personnage de Pilate ont inspiré plusieurs œuvres littéraires, la plus connue étant Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov rédigé dans les années 1930 et publié à titre posthume trois décennies plus tard. Plus récemment, Éric-Emmanuel Schmitt a fait paraître une Evangile selon Pilate (2000). C’est cependant du récit Ponce Pilate de Roger Caillois (1961) qu’est parti Xavier Marchand pour monter son propre Ponce Pilate, l’histoire qui bifurque.
Une grande partie du charme de cette pièce tient à l’usage de marionnettes inspirées du bunraku japonais, manipulées à vue par des comédiens qui ont enfilé une main dans la tête de leur personnage et un bras dans une de ses manches. Les têtes confectionnées par Paulo Duarte sont particulièrement expressives, les costumes se résumant à quelques voiles, ébauches sans doute d’une toge. Le comédien peut, à l’occasion, faire parler sa marionnette mais c’est plus souvent un narrateur, présent également sur le plateau, qui décrit l’action et rapporte les propos des personnages.
On retrouve avec plaisir l’histoire de Pilate, de Judas, de Caïphe et de Jésus. Néanmoins Caillois a introduit des scènes qui n’existent pas dans les Evangiles. Dans l’une, Judas Iscariote plaide auprès de Pilate pour qu’il mette à mort Jésus, afin que les écritures s’accomplissent : Judas et Pilate, le traitre comme le lâche, n’ont-ils pas en effet une partie essentielle à jouer dans l’avènement de ce qui deviendra le christianisme ? Autre scène ajoutée, la rencontre entre Pilate et un certain Mabrouk, un devin qui dévide l’histoire de la nouvelle religion. Et la fin, bien sûr, un coup de théâtre qui fait sourire à défaut d’être crédible au regard de tout ce qui précède.
Ces ajouts aux textes évangéliques ne suffiraient pas à faire une belle pièce – d’autant qu’elle s’apparente plus à un récit qu’au théâtre dialogué, comme déjà noté – s’il n’y avait la magie des marionnettes. Celle de Mabrouk (le chanceux en arabe), que l’on découvre à la fin du spectacle, est particulièrement impressionnante : son corps ne se résume pas à quelques voiles évanescents mais il se termine par une couche à l’antique (?) sur laquelle Pilate pendra place pour partager un festin.
Le décor, classique, est fait d’un ensemble de parallélépipèdes rectangles recomposable au cours de la pièce. Un rideau écru ferme le plateau pendant les ajustements successifs. Rien à redire à la prestation de la comédienne et des quatre comédiens manipulateurs. Faut-il préciser qu’ils sont tous munis de micros d’oreille, ce qui n‘aurait pas dû être nécessaire dans le petit théâtre à l’italienne de Fort-de-France où nous avons découvert la pièce ? Quand on pense aux théâtres antiques, si vastes et en plein air, on a du mal à admettre que l’usage des micros soit devenu presque obligatoire de nos jours. Sans doute un signe du progrès que les vieilles générations ne peuvent pas comprendre (tout en s’en réjouissant in petto, vu leur ouïe défaillante).
En tournée au Théâtre municipal de Fort-de-France, le 29 octobre 2020.