Scènes

Le FIAP Martinique, Festival International d’Art Performance

 Selon Wikipédia : « Une performance artistique est une action comportementale entreprise par un ou des artistes, face à un public… cest une tradition interdisciplinaire qui trouve son origine dans des pratiques artistiques davant-garde de la première moitié du XX° siècle …».

 

La performance, improvisée ou non, en solitaire ou à plusieurs, peut se produire dans les lieux les plus divers tels que rues, galeries, musées, bibliothèques, bref en tous espaces alternatifs, mais aussi dans une salle de théâtre… Arrivée assez tardivement à la Martinique, cette forme artistique singulière y a pris son envolée belle sous l’égide d’Annabel Guérédrat et de son complice Henri Tauliaut, qui initient régulièrement des artistes et des actions dans le « Laboratoire Cyber Afro-Punk » de la Savane des Pétrifications. Ils sont par ailleurs à l’origine du FIAP — Festival International Art Performance — dont la deuxième édition s’est déroulée en novembre 2019, en différents endroits, à Fort-de-France intra-muros.

I’m a Bruja d’Annabel Guérédrat

Après la première édition qui s’est tenue en 2017, le FIAP pour sa manifestation de 2019 a voulu s’ouvrir à de nouveaux horizons, aussi divers que Russie, Chine, Amériques, Europe, Bassin Caribéen, Canada … et ce dans le but de créer une plateforme caribéenne dédiée à l’Art Performance. Se déroulant sur une semaine, le Festival a pour objectif de mettre en relation des artistes performeurs, des critiques d’art, des universitaires, des curateurs internationaux. Et si une telle manifestation permet de créer de nouveaux réseaux, si elle suscite des débats entre spécialistes et chercheurs, on l’espère susceptible de faire naître des vocations chez les lycéens, les étudiants, les jeunes artistes, toutes disciplines confondues.

Manifestation artistique dont la particularité est de rester éphémère, et qui ne laisse que peu de traces — quelques images tout au plus, photographies ou vidéos —, art de l’instant que chacun devrait pouvoir vivre, ressentir et lire à sa façon, la performance existe parce qu’elle est vue par un public. Et que ce public est le « musée des performances », celles-ci ne se répétant jamais à l’identique. Et bien qu’ayant été au préalable réfléchies et conçues, elles se créent dans l’instant présent, s’y développent, et meurent.

Islas Cicatrices de Isil Sol Vil et Marina Barsy Janer

Faite de propositions inédites et surprenantes, où tout le corps assez souvent dénudé, grimé, masqué, enduit de diverses matières entre volontiers en jeu en se riant de nos tabous, la performance peut raconter un pan d’une histoire personnelle, prise au plus intime de soi, comme aussi l’histoire universelle du monde. S’il ne fallait prendre qu’un exemple, ce serait Im a Bruja, d’Annabel Guéredrat, donnée sur la scène d’un théâtre cette fois, d’un bout à l’autre dans une nudité parfaite, entière, totalement assumée et revendiquée. Ainsi refusant toute inféodation aux normes et aux hommes, la performeuse est celle qui « décolonise et son corps et son imaginaire ».

L’Art Performance, qui me semble plus particulièrement urbain, est réflexion sur la vie, sur l’être au monde, sur les rapports que nous entretenons les uns avec les autres, sur la société et ses dérives, ou encore sur notre spiritualité. Vaste est son champ d’investigation, et très diverses les façons de se « mettre en scène » hors des théâtres, même s’il semble exister, entre les artistes de la discipline, des sortes d’invariants, des procédés récurrents, ce qui n’enlève rien à la multiplicité des créations. Il arrive que les « spectateurs » soient intégrés à la performance, qu’on leur demande par exemple de suivre les performeurs en cortèges dans leurs déplacements, qu’on leur remette des objets, bougies, nourriture, plantes, textes… à tenir, à partager, à regarder tout en se tenant au bord du cercle de jeu, qu’on les invite à entrer dans le cercle pour une brève participation, pour un geste un mot ou un cri… Encore que la performance soit le plus souvent dénuée de paroles.

Chrysalide(s) d’Alicja Korek I

Paola Lavra, docteur en anthropologie, enseignante au Campus Caribéen des Arts, nous dit combien les performeurs sont détenteurs de forces créatrices, combien sont intéressantes les propositions narratives offertes avec leurs corps dans l’espace public, combien l’Art Performance nous fait sortir, nous les regardants, de notre « zone de confort ». Afin de rendre son discours plus concret, Paola Lavra prend l’exemple de Grada Kilomba, psychologue écrivaine et artiste portugaise, et plus précisément de sa performance, « Illusions ». Une performance qui utilisant la pluralité des médiums renouvelle le mythe de Narcisse et Écho, Narcisse devenant « la métaphore dune société qui na pas résolu son histoire coloniale, et qui se prend elle-même et sa propre image comme seuls objets de lamour… Ainsi la performance pose les nouveaux récits fondateurs, et le corps nest plus agi mais agissant, capable de changer la société, capable dintégrer le passé pour se créer un futur ». Le corps enfin se dit, extériorise une violence jusqu’alors intériorisée. Dans ce « terrain en friches », dans cet espace d’invention et d’expérimentation, l’artiste entreprend de se réapproprier le corps, de le rendre porteur de nouvelles représentations du monde, dans la provocation ou l’émotion qu’il fait naître. Changer les codes, faire appel à tous les arts, réinventer nos rituels, interroger les limites, les repousser et se mettre en danger, « sortir le corps de lespace clos », traverser la ville en investissant des lieux divers et différents, dans un mouvement continu qui donne « une vision nouvelle du temps et de lespace », voilà bien de quoi bousculer notre quotidien et nous donner à réfléchir !

L’Art Performance, les novices de prime abord le découvrent comme une sorte d’objet artistique non identifié. Et de cette rencontre avec une forme d’expression différente, novatrice, souvent transgressive et qui parfois peut se faire répulsive à certains — ainsi de ces femmes entrées dans une colère violente face à une performance établie au sol de leur marché — je n’en suis pas ressortie indemne, mais bien plutôt interpellée. Et si ce que nous nommons « art » a pour fonction de nous réveiller, il semble que les performeurs, ainsi que des lanceurs d’alerte, se montrent capables d’atteindre cet objectif au-delà de toute espérance !