Bernard Hayot, président du groupe éponyme qui s’étend bien au-delà Antilles mais dont la maison mère se trouve en Martinique, a constitué une collection de plusieurs centaines d’œuvres d’artistes caribéens, ou caribéens d’origine à l’instar d’Hervé Télémaque (Haïti) ou Philippe Thomarel (Guadeloupe), avec quelques rares exceptions (comme le Chilien Roberto Matta). Car le collectionneur, également mécène, s’avère un acteur incontournable du paysage artistique caribéen autant par ses achats que par les expositions qu’il organise sur les cimaises de son musée du François, voire hors de Martinique (Paris, Miami). Ce mécénat explique sans doute, au-delà des goûts du collectionneur, l’éclectisme d’une collection dont les quelques œuvres reproduites ici ne rendent absolument pas compte.
Celle-ci comporte en effet aussi bien des peintures que des sculptures sur divers supports, des assemblages ou des photographies, œuvres figuratives et abstraites qui traduisent tantôt une technique sophistiquée tantôt relèvent d’un art brut. En réalité, en dehors des grandes installations qui y font défaut, cette riche collection apparaît largement représentative de l’art actuel, « moderne » ou « contemporain ».
On serait bien en peine de
définir la plupart de ces œuvres comme spécifiquement « caribéennes », du moins du point de vue formel. Les artistes bougent, ils sont soumis à des influences multiples, même si les plus audacieux tentent de sortir des sentiers battus autant par le choix des formes que par les matériaux (et parfois y parviennent, comme Ernest Breleur, ce que le tondo reproduit ici, de facture classique, ne montre pas). S’il fallait vraiment désigner des artistes immédiatement identifiables sinon comme précisément caribéens, du moins comme parties prenantes d’une certaine identité formelle, il faudrait se tourner vers les créateurs de « l’Ecole négro-caraïbe », Louis Laouchez et Serge Hélénon (dûment représentés dans l’exposition). Il faut distinguer, en effet, l’origine d’une œuvre, ce qui éventuellement l’inspire, de son rendu. Si, par exemple, le tableau de Kelly Sinnapah, guadeloupéenne de lointaine origine indienne, tableau représentant une jeune femme noire vêtue d’une longue robe blanche dans une jungle, joue à l’évidence sur un motif local, sa manière naïve n’a rien de proprement caribéenne (malgré le poids du Naïf haïtien dans le marché de l’art).
On ne saurait rendre compte ici de la diversité des œuvres de la cinquantaine d’artistes retenus dans l’exposition. Trop restreint pour être considéré comme significatif, un coup de sonde parmi quelques œuvres figuratives ne montre peut-être pas suffisamment que les artistes « caribéens » demeurent souvent, malgré tout, comme Kelly Sinnapah, imprégnés par des thématiques locales. C’est à l’évidence le cas ici chez Bruno Pedurand (la découverte de l’Amérique) et chez René-Corail (l’esclavage), peut-être chez Thierry Jarrin (le vaudou ?), mais l’on n’en dirait pas autant pour Breleur, Télémaque ou Thomarel, trois artistes dont l’imaginaire paraît se nourrir ailleurs.
La Collection sort de sa réserve, Fondation Clément, le François, Martinique, du 26 avril au 17 juillet 2021.