Ubu président et non plus Ubu roi, les spectateurs sont avertis d’emblée qu’il ne vont pas assister à la pièce d’Alfred Jarry mais à quelque chose d’autre, que les références ne seront pas les mêmes. Et de fait le texte de Mohamed Kacimi – bien connu à la Martinique – est bien plus qu’une adaptation, une véritable réécriture où surnagent malgré tout quelques termes emblématiques de la pièce initiale comme « la chandelle verte », « merdre » ou « cornegidouille » et où domine comme chez Jarry un esprit farcesque. Pour le reste la viande de cheval distribuée au peuple est remplacée par des pizzas et tout est à l’avenant. La distribution de l’or de la cassette royale demeure néanmoins (car l’Ubu président de M. Kacimi se fera finalement proclamer roi).
Ce qui n’empêche pas l’auteur de nous délivrer son message : les Français (« de souche ») sont racistes (ils veulent se débarrasser des immigrés), idiots (puisque ayant élu un président aussi nul et prétentieux qu’Ubu) et bigots. Chacun en jugera et après tout pourquoi pas ? Il y a certainement une part de vrai dans ce tableau qui détone néanmoins par rapport au wokisme ambiant en s’attaquant à toutes les religions du Livre. Au nom du multiculturalisme et de la sublimation des minorités « racisées », le wokisme, en effet, prend bien garde de ne pas viser l’islam.
J’imagine que beaucoup de spectateurs sont dans mon cas et qu’ils ne vont pas au théâtre pour entendre une nouvelle version d’un prêche rebattu, lequel donc ne leur apprendra rien de neuf. Jusqu’à preuve du contraire le théâtre est un art de divertissement (1). Ce qui n’empêche pas, à l’occasion, qu’il fasse pleurer. Car pleurer au théâtre (ou au cinéma) n’a rien à voir avec pleurer dans la vraie vie comme chacun a pu en faire l’expérience. On ne pleure pas à Ubu président mais on se régale du spectacle merveilleux qui nous est offert. On ne rit guère non plus, la preuve, peut-être, que l’âme d’enfant ne se conserve pas toujours ; il serait intéressant à cet égard de voir comme réagit le public des séances scolaires.
Si Mohamed Kacimi a écrit et mis en scène de belles pièces qui font intervenir sobrement des habitants des « quartiers difficiles » – dont une au moins a été présentée au public martiniquais – cette nouvelle pièce, en effet, vaut à l’inverse par la mise en scène d’Isabelle Starkler et les deux comédiens vedettes incarnant Père et Mère Ubu, sans oublier les costumes délirants (signés Aurore Popineau) dont ils sont revêtus, elle en particulier, et dont la photo « internet » qui accompagne cet article ne rend pas suffisamment justice.
Il faut ajouter que outre ces deux comédiens, homme et femme – pardon femme et homme, restons correct – tous deux remarquables mais que nous ne pouvons malheureusement pas distinguer de l’ensemble de la distribution (2), les trois musiciens – pardon la musicienne à l’accordéon et les deux musicien respectivement au clavier et au saxo – participent également au jeu, endossant divers rôles, ce qui permet de multiplier le nombre des personnages (3). On remarque en particulier la scène calquée sur nos débats des campagnes présidentielles entre Ubu et le président sortant.
Il y a beaucoup de beaux moments dans cette pièce, le tableau final en particulier où la cour du roi effondrée après un coup d’État, se relève en soulevant des marionnettes en chiffon qui représentent quoi, le reste de la cour ? plutôt nous autres, pauvre peuple qui se laisse trop facilement berner.
Ubu président. Texte Mohamed Kacimi d’après Alfred Jarry. M.E.S. Isabelle Starkier. Avec Stéphane Barrière, Michelle Brûlé, Stéphane Miquel, Clara Starkier, Michel Oberli. En tournée à Fort-de-France, Tropiques Atrium, 15 novembre 2025.
(1) Il y aurait tant à dire sur le théâtre politique ! Cf. notre chronique dans Esprit, « Le théâtre et ses spectateurs », mars/avril 2014.
(2) Faut-il rappeler ici Tocqueville qui signalait la passion d’égalité dans les démocraties ? Cela se traduit en l’occurrence par une liste (quasi ?) alphabétique de comédiens entre lesquels il est impossible de distinguer pour qui ne « grenouille pas » dans le milieu du théâtre métro, ce qui, avouons-le, est assez difficile pour un Martiniquais.
(3) Au nombre de trente chez Jarry, parmi lesquels des collectifs (le peuple, les nobles, les paysans).
