« Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort » L’une des premières phrases du court roman de Victor Hugo qui exprime d’emblée l’état d’esprit, l’obsession mêlée de désespoir de celui qui sait qu’il va mourir parce que des hommes voulant faire œuvre de justice en ont décidé ainsi et que l’heure est arrivée. La sentence de la Bible « Tu ne connaîtras ni le jour ni l’heure » (Matthieu 25 : 13), somme toute commode car elle permet de ne pas penser à la mort, est ici prise en défaut. Impossible, dès lors d’échapper à cette obsession.
Avant l’énoncé du jugement, le condamné, spéculant sur la sentence, déclare qu’il préfèrerait la mort aux travaux forcés à perpétuité, afin d’échapper à un interminable supplice. Mais la condamnation à mort n’épargne pas d’autres souffrances :
« Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux [juges], à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort ? Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s’est point disposée pour la mort ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute que, pour le condamné, il n’y a rien avant, rien après ».
Le texte de Victor Hugo, célèbre plaidoyer contre la peine capitale, a fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales, parfois de simples lectures. Il s’y prête d’autant plus qu’il est écrit comme un récit à la première personne. C’est maintenant William Mesguich qui porte ce texte avec une conviction sans faille mais qui nous laisse néanmoins sur notre faim. Car l’interprète ne parvient que trop rarement à nous communiquer l’angoisse du condamné, comme lorsque, par exemple, il se réveille brusquement d’un cauchemar ou lorsqu’il nous fait entendre des phrases comme celle-ci : « Cette pluie qui tombe et qui durera plus longtemps que moi ».
Face à ce (relatif) échec, on est tenté de questionner la mise en scène de François Bourcier qui paraît inutilement « clinquante » : pourquoi avoir peint la cellule du condamné dans un blanc éclatant, pourquoi cette lumière éclatante ? Nous qui nous plaignons souvent de l’éclairage trop parcimonieux, ici pourtant il correspondrait à l’atmosphère du texte. Quant aux projections sur le mur de la cellule, elles semblent souvent de trop ou anachroniques. Ainsi est-ce le cas lorsque, pour évoquer un rêve du condamné, on voit apparaître des photos de famille d’époques différentes, si bien que l’on ne sait pas si le metteur en scène a voulu placer son personnage au XIX ou au XXe siècle. Même les images d’une petite fille sur une plage ne parviennent pas à nous émouvoir vraiment.
Il reste néanmoins les extraits du texte de Victor Hugo vers lequel il est nécessaire de revenir chaque fois qu’on est tenté de penser que tel ou tel (un terroriste par exemple) mériterait bien la peine de mort.
« Peut-être cette lecture [ou cette pièce] leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice ? »
Fort-de-France, Théâtre municipal, du 23 au 25 janvier 2020.