Il existe à Aix-en-Provence un Café Culturel Citoyen fort sympathique, le « 3C », qui propose des activités variées (conférences, concerts, cafés philo, ateliers divers, jeux de société, etc.) plus quelques spectacles. C’est là où le comédien Benjamin Mayet a présenté récemment son adaptation d’un texte d’Alain Damasio.
Alain Damasio est un auteur culte pour les fans d’une littérature de « fiction spéculative » écrite dans une langue ésotérique. L’éditeur La Volte s’en est fait le thuriféraire et le courant dit « afro-futuriste » (par exemple Tè Mawon de Michael Roch) s’en inspire directement. Cependant, si Damasio a émergé dans le grand public comme un auteur de premier plan avec Les Furtifs (2019), B. Mayet a choisi de s’intéresser à La Zone du dehors, son premier roman (1997-2007). Le spectacle construit autour de morceaux choisis emporte immédiatement l’adhésion, tant le comédien semble habité par les thèses du livre. Comme l’indique la 4e de couverture du petit ouvrage qui reprend le texte de cette adaptation scénique, il « déchire le cocon occidental des consensus et en appelle à désincarcérer les forces de vie que nos paresses et nos peurs enclosent ».
Les lecteurs de Damasio ne seront pas surpris ; ils goûteront la manière dont cette prose éminemment poétique est portée, hachée, bousculée par la voix claire et le jeu de B. Mayet. Ce dernier prend possession de la petite salle du « C3 » où les spectateurs sont installés au petit bonheur, certains attablés devant un verre, d’autres simplement assis sur une chaise. Les tables et chaises sont les accessoires sur lesquels il se déplace, se dressant parfois de tout son haut. Il peut interpeler un spectateur, taper sur une épaule, voire subtiliser une chips sans que cela tourne au procédé.
Le dehors fait sursauter,
l’insolence…
la saleté…
l’espace dans le crâne de ceux qui l’ont aussi saturé,
que propre.
Le dehors,
c’est l’intime vent,
court,
vif,
qui flue au fond de nos tripes.
Il circule en nous,
il serpente entre tous nos atomes…
On ne saurait tout citer mais cet extrait devrait suffire pour donner un aperçu de la langue de Damasio à ceux qui ne le connaîtraient pas et leur donner envie de lire. Et leur permettre de comprendre qu’un comédien ait voulu s’en saisir.
Dans sa postface à la publication du texte dit par B. Mayet, A. Damasio souligne un défaut de son anticipation. S’il n’a pas raté le renforcement de la « société de contrôle », il le voyait comme la conséquence de l’omniprésence des caméras (installées jusque sur les nerfs optiques). Il n’a donc pas su déceler l’importance que prendrait « l’objet nomade totalitaire, pas plus grand qu’une main qui allait devenir le cœur du contrôle portable ». Néanmoins cette lacune n’apparaît pas dans les extraits retenus dans le spectacle, lequel ne détaille pas les modalités du contrôle social.
Le Dehors de toute chose d’Alain Damasio architecturé par Benjamin Mayet – La Zone du dedans, réflexions sur une société sans air d’Alain Damasio, La Volte, 2018, 72 p., 6 €.