Banque centrale de et avec Franck Chevalley
Cette pièce qui a déjà beaucoup tourné dans des théâtres et des lieux associatifs est un modèle de théâtre politique, à la fois instructif et très distrayant car mené avec beaucoup d’humour et un sens du jeu étonnant. Il faut dire que Franck Chevalley est un ancien de l’école du TNS et qu’il a bénéficié des conseils d’Alexandre Zloto, assistant à la mise en scène d’Ariane Mnouchkine.
La pièce est sous-titrée « Histoire de la monnaie racontée par un fou ». Le narrateur, qui est en effet pensionnaire d’un asile, est censé changer de service et d’étage quand il change de rôle : de simple trafiquant dans un système d’échange local jusqu’à l’Europe en passant par l’État et la banque centrale. Il donnera d’ailleurs largement la parole à un banquier, à la fin, pour expliquer la crise des subprimes. Il serait fastidieux de raconter cette pièce, nous manquerions du sens de l’humour qui la caractérise. Car le fond est des plus austère puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de l’abrégé d’un cours d’économie sur la monnaie et la finance. Sauf qu’aucun professeur d’économie ne pourrait enseigner comme F. Chevalley, bien sûr.
Disons simplement que le « fou » de Banque centrale ne se trompe pas, que ses exemples sont pertinents, ses explications justes et qu’elles paraissent devoir être aisément compréhensibles même par quelqu’un qui n’a jamais réfléchi à ces questions. C’est un bel exploit car la création monétaire – le fait qu’elle soit, suivant la formule consacrée, créée ex nihilo par les banques – n’est pas une notion qu’on accepte intuitivement. Plus facile à expliquer, sans nul doute, l’analyse de la crise des subprimes : la folie qui s’est emparée des banques quand elles se sont mises à accorder des prêts immobiliers sans aucune prudence puis – un point qui n’est pas abordé dans la pièce – à titriser leurs créances dans des instruments financiers mal définis.
F. Chevalley insiste à juste titre sur l’évolution qui s’est produite entre, d’une part, l’après-guerre, quand chaque État avait la main sur sa banque centrale auprès de laquelle il pouvait s’endetter directement et, d’autre part, la situation actuelle dans l’Union monétaire européenne où les États sont obligés de se financer sur le marché, en particulier auprès des banques désormais privées qui se refinancent elles-mêmes auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) en encaissant la marge d’intérêt.
Il faut insister pour finir sur le jeu de F. Chevalley qui ne s’appuie sur aucun décor, aucun accessoire. Sobre au départ son jeu devient de plus en plus inventif, de plus en plus débridé, de plus en plus drôle aussi, ce qui ne l’empêche pas de faire très bon ménage avec le cours d’économie.
Jeanne ou l’être étrange élevé parmi nous de Gaëtan Gauvin
Une pièce dont le personnage central se trouve être une ado, ça pourrait être difficile à avaler pour les spectateurs, ceux des spectateurs en tout cas, qui n’ont d’autre une envie que de lui donner des claques. D’autant qu’elle parle très vite en articulant à la manière des jeunes d’aujourd’hui, si bien qu’il n’est pas aisé, du moins pour les spectateurs d’un certain âge, de suivre ce qu’elle dit. Surtout que l’amplification n’aide pas. Pourquoi d’ailleurs a-t-on éprouvé le besoin d’amplifier les voix alors que les dimensions de la salle ne l’exigeaient absolument pas ? Les desseins des metteurs en scène ne sont pas toujours pénétrables…
Malgré tout cela, on assiste à la pièce avec un certain plaisir. A défaut de s’attacher à la protagoniste, on suit avec intérêt l’évolution des autres personnages en proie aux difficultés de la vie (et pas seulement la méga-difficulté que constitue à elle-seule Jeanne). L’histoire est plutôt bien menée, le père et la mère sont des personnages plus complexes qu’ils n’apparaissaient au départ. La mère, en particulier, inexistante au début, a son morceau de bravoure. Quant au père, à force de se prendre pour un tigre, il y laissera sa belle peau. Enfin un quatrième comédien endosse plusieurs rôle (amant-amoureux, conseiller d’orientation, médecin), multipliant ainsi les personnages.
Avec Marine Benech, Nathan Chouchana, Apolline Martinelli Alvarez et Sébastien Portier.
Gaëtan Gauvin, qui assure également la mise en scène, a bénéficié d’une bourse d’écriture de la SACD et d’une aide à la création d’ARTCENA.