L’Entretien de M. Descartes avec M. Pascal le Jeune de Jean-Claude Brisville
Mesguich père et fils, Daniel et William, qui sont présents dans plusieurs pièces, ensemble ou pas lors de ce festival, soit pratiquement non stop (!), interprètent à deux (et mettent en scène) en milieu d’après-midi la rencontre entre Descartes et Pascal telle qu’imaginée par J.-Cl. Brisville. Car s’il est attesté qu’une telle rencontre a bien eu lieu et qu’on en connaît la date, le 24 septembre 1647, on ignore tout de son contenu sinon qu’elle ne s’est pas bien passée. Tandis que le Descartes de Brisville est un monument de bon sens, son Pascal est présenté au contraire comme un dangereux dogmatique. Pour nous en convaincre, Brisville, très intelligemment, utilise tout ce qu’il peut trouver dans la vie de Pascal comme l’affaire Saint-Ange qui surgit dans la pièce comme un coup de Jarnac (le jeune Pascal, à Rouen, s’était acharné contre un malheureux capucin qui se distinguait par des positions théologiques quelque peu hétérodoxes). Autre élément mis en avant, le livre De la fréquente communion d’Antoine Arnaud (qui date de 1643 et qui était donc connu par les deux protagonistes lors de leur rencontre). Ce livre est né d’un cas de conscience posé par Mme de Sablé : était-il licite ou non d’aller danser après avoir communié ? Tandis que le Pascal de Brisville, janséniste intransigeant, répond par la négative, Descartes se range dans le camp opposé avec un raisonnement… de jésuite (les jésuites, les premiers ennemis d’Arnaud et de Pascal) !
Brisville aborde d’autres sujets comme celui de la prédestination : pour les jansénistes ne seront sauvés que ceux auxquels Dieu a accordé sa grâce (et qui, de surcroît, ont su la saisir). Ou celui de la science : face à l’énigme de l’univers (« le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », la célèbre formule pascalienne est bien sûr dans la pièce) que l’on ne résoudra probablement jamais, la raison est impuissante, mais est-on obligé pour autant de renoncer à essayer de déchiffrer ce qui peut l’être et de se consacrer uniquement à Dieu ? Face à cette position extrémiste défendue par Pascal (après qu’il ait été l’un des plus grands savants de son temps !), Descartes n’a pas aucun mal à nous convaincre du contraire.
La pièce est jouée en costumes et dans un décor d’époque avec, clin d’œil, un vieux poste de radio, totalement anachronique évidemment, dont la présence intrigue. Faut-il dire ici que les deux comédiens sont excellents ? Ils ont le talent et le métier qu’il faut pour se glisser dans la peau de leur personnage comme si cela allait de soi, comme s’ils ne sortaient pas d’en jouer un autre… D. Mesguich-Descartes a le teint rubicond, il a de la rondeur, de l’autorité et de la patience et il en faut pour contenir les incartades de W. Mesguich-Pascal, pâle comme la mort, tourmenté, avec la bile qui s’enflamme trop promptement.
Téléphone-moi de Jean-Christophe Dollé
Un voyage dans le temps, un univers familial étouffant encombré par des morts, des non-dits, des mensonges, tels sont les ingrédients de cette pièce superbement construite, avec une fin émouvante à en pleurer. Ce qui n’empêche pas des réticences.
Trois cabines téléphoniques de générations différentes occupent le plateau au début de la pièce. 1945, 1981, 1998 : la libération de Paris, l’élection de François Mitterrand, la coupe du monde de football avec la victoire de la France, trois moments forts de l’histoire de notre pays qui interviennent chacun à leur façon dans la pièce. Le premier fondateur puisque c’est l’origine de la lignée, le moment où les parents engendreront le fils qui deviendra père à son tour. Sauf que le père n’est pas le père et que le fils appartiendra plutôt à la catégorie des pères indignes mais qui s’efforce, tout de même, de recoller les morceaux. Quant aux enfants de la troisième génération, ils sont et ne sont pas, pourrait-on dire. Sept personnages en tout interprétés par quatre comédiens.
Nos réticences portent sur cette première partie, beaucoup trop bruyantes à notre goût, tant à cause de la musique que de l’amplification des voix, souvent désagréable, surtout quand le personnage est constamment dans des cris (la jeune femme de la génération 3 dont on saisit mal pourquoi son jeu, dans cette première partie, est aussi constamment outrancier). Il y a quand même beaucoup de bons moments, les plus forts étant ceux avec l’homme de la génération 2, aussi bien quand il s’adresse à son vieux père qu’à ses enfants, même si le récit de la victoire de la France au football peut lasser les détracteurs de ce sport opium du peuple.
Ces défauts sont oubliés dans la deuxième partie qui éclaire les points demeurés les plus mystérieux et fait se retrouver les générations dans un tableau final particulièrement émouvant. Plus de téléphones donc, dans cette troisième partie, et place à un jeu plus libre pour la jeune femme 3, en particulier, qui se marie dans les grands froufrous aériens d’une immense robe blanche.
M.E.S. Clotilde Mogière et Jean Christophe Dollé. Avec Clotilde Mogière, Jean Christophe Dollé, Solenn Denis, Stéphane Aubry. Mention particulière pour les lumières.