Salina, les trois exils de Bruno Bernardin et Khadija El Mahdi d’après Laurent Gaudé
Adapter un roman aussi purement littéraire est une gageure dont la compagnie Les Apicoles se sort avec les honneurs. Bruno Bernardin avait déjà interprété en solo Sang Négrier de L. Gaudé mis en scène par Khadija El Mahdi mais ici il s’agit d’une production bien plus ambitieuse avec trois comédiennes et trois comédiens. Hasard ou choix, la pièce est présentée en plein air dans la cour d’un collège sous trois pins magnifiques. Un grand tapis carré évoque le sable du désert. Un autre tapis rond sera déployé de temps en temps pour évoquer un autre espace ou servir d’accessoire. Un grand voile blanc flotte dans l’air au gré de la petite brise qui souffle en ce moment sur Avignon. Dans ce cadre qui paraît quelque peu improvisé mais néanmoins magique, avec des comédiens pas tous aussi aguerris mais engagés à fond, la pièce convoie une impression de fraîcheur et la parole de Gaudé est portée haut et clair.
Les six comédiens interprètent dix-neuf personnages. Les scènes se succèdent cependant sans temps mort, signe d’une adaptation minutieuse. En dehors de Malaka et de Salina (jouée par deux comédiennes d’âges différents), quelques personnages ressortent du lot : Saro, l’époux honni ; Kaya Djimba, la première reine de la tribu ; Darzagar, le passeur. On remarque, parmi d’autres, une scène de bataille impressionnante avec pourtant, comme seuls combattants, les trois comédiens et une grande étoffe – celle qui sert de second tapis – comme unique accessoire.
Avec Bruno Bernardin, Khadija El Mahdi, Chantal Gallier, Célia Idir, Laheen Razzougui et Giovanni Vitello.
Chasser les fantômes de Hakim Bah
Une pièce qui concerne au premier chef ceux que l’on appelle parfois les « couple mixtes », formés d’un homme et d’une femme de couleurs et de cultures différentes, mais qui invite plus généralement à une réflexion sur l’altérité, sur notre capacité à entendre et à comprendre celui ou celle avec lequel ou laquelle nous ne partageons aucune histoire commune. L’écriture de la pièce résulte à la fois d’une enquête préalable auprès de couples franco-africains et d’un travail sur le plateau avec les deux comédiens.
La pièce est donc jouée par deux comédiens, Sophie Cattani, à l’initiative du projet, et Nelson-Rafaell Madel, accompagnés à la batterie par Damien Ravnich. Le décor est constitué d’estrades d’abord organisées de façon parfaitement symétrique et recouvertes de draps blanc, lorsque le personnage féminin, Roxane, la femme blanche, est encore seule dans son appartement bien léché. Après l’arrivée de Marco, l’homme africain, les estrades se mettront à bouger et les draps blancs disparaîtront progressivement, marquant ainsi le désordre qui envahit le couple aussi bien que l’appartement.
L’écriture alterne dialogues et des récits à la première personne où les personnages se racontent ou, plus simplement, décrivent ce qu’ils sont en train de faire (« je porte les valises dans la chambre, j’ouvre la porte des toilettes, j’allume la cuisinière, etc. ») puisqu’ils ne peuvent pas le jouer, faute d’accessoires, un procédé qui contribue au charme de cette pièce.
Celle-ci est divisée classiquement en deux parties : l’idylle et le désenchantement. Marco qui est arrivé en France avec un visa de touriste, à l’essai en quelque sorte, se rendant compte qu’il n’a aucune envie de repartir, insiste auprès de Roxane pour qu’ils se marient, laisse passer la date prévue pour son départ, tandis que Roxane supporte de moins en moins de devoir entretenir un Marco oisif et qui bouleverse ses habitudes. Les deux parties ne sont pas du même niveau, la dégringolade bien plus crédible que la passion amoureuse. Si c’est intentionnel de la part de l’auteur, s’il voulait laisser entendre dès le début que cette histoire était vouée à l’échec, c’est un peu dommage.
Toujours est-il que les scènes où le couple se déchire sont les plus réussies, en particulier le long monologue – morceau de bravoure – dans lequel Roxane jette tout ce qu’elle a sur le cœur. Les deux comédiens sont très bons, chacun dans son rôle, et si la première partie peine à montrer la passion, elle est sauvée par l’humour qui la traverse de part en part.
Fallait-il vraiment un batteur sur le plateau ? Chacun en jugera. La pièce commence par un prologue où les deux comédiens juchés chacun sur les estrades les plus hautes s’expriment à l’aide d’un micro tandis que le batteur se déchaîne. Personnellement, nous avons bien mieux respiré lorsque la batterie se faisant plus discrète, les micros ont disparu et le jeu a pu commencer.
M.E.S. Antoine Oppenheim