Là où je croyais être il n’y avait personne de et avec Anaïs Muller et Bertrand Poncet
Une pièce drôle dans le IN, on n’y est pas vraiment habitué mais des comme celle-là, on en redemande. Les deux jeunes comédiens ont concocté un mélange loufoque à propos d’une histoire d’amour entre un frère et une sœur. Il y est question de Musil et de Duras puisque la seconde a trouvé chez le premier l’idée de sa pièce Agatha, laquelle traite justement de ce sujet.
Là où je croyais être il n’y avait personne est le deuxième volet, après Un jour j’ai rêvé d’être toi, d’une œuvre toujours en construction intitulée Les Traités de la perdition. Les titres indiquent déjà le registre, celui d’un comique tout en finesse, souvent allusif. S’il y a bien quelques traits appuyés, ceux-ci sont loin d’être les plus nombreux. Au début, nos duettistes sont vêtus d’un costume bricolé qui pourrait évoquer celui de mousquetaires en campagne. Après ce prologue placé sous l’égide de Musil, place à Duras et aux choses sérieuses, les comédiens désormais habillés pour l’une d’une robe classique et pour l’autre d’un smoking avec chemise et nœud papillon blancs. Un ange apparaît (un comédien muni d’ailes dans le dos) qui apporte une nouvelle bouteille (Duras oblige) ; il reviendra en cameraman (sans caméra) dans une séquence de tournage dont B. Poncet serait le metteur en scène et A. Muller la vedette (un spectateur sera tiré de son fauteuil pour jouer le perchman (sans micro). Si le film dans la pièce ne verra jamais le jour, des vidéos montrent les deux comédiens dans des scènes de bord de mer (sans qu’on en voie toujours, à vrai dire, l’utilité).
Les meilleurs moments sont ceux des interviews de Duras. B. Poncet fait un parfait journaliste « culture » imbu de lui-même et A. Muller imite plutôt bien la voix et le phrasé de Duras. Il n’y a pas d’intrigue véritable et le roman projeté sur le thème de l’amour incestueux n’ira pas plus loin que le film. Il est en réalité impossible de parler intelligemment de cette pièce dont le réussite repose sur des allusions, les mimiques des comédiens. On se contentera de conclure sur l’espoir d’assister bientôt à un troisième « Traité des perditions ».
Flesh de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola
Le IN présente de bonnes surprises et parfois même deux à la suite. Flesh est encore une pièce qui joue sur un humour décalé mais à la différence de la pièce précédente on est ici dans un univers muet avec quatre sketchs qui s’enchaînent et qui recourt à des artifices comme la marionnette du moribond du début ou la scène de réalité virtuelle (et fictive!) de la troisième partie. Les décors sont réalistes, par exemple les tenus aseptisées et le lit du malade dans la première partie ou le salon (petit-)bourgeois de la deuxième partie.
Quatre sketchs, quatre sujets qui tournent tous autour du rapport à l’autre, l’être cher qui est en train d’agoniser dans le premier, celui qui vient de subir une opération esthétique dans le second, celui que l’on n’a pas encore rencontré dans le troisième (parce qu’on ne sait comment s’y prendre on cherche dans les techniques nouvelles le moyen d’en inventer un), celle qui est morte et dont on se dispute l’héritage ou plutôt, en l’occurrence, les cendres, ce qui donne lieu à une série de gags macabres, pas nécessairement du goût de tout le monde puisqu’un spectateur a hué à la fin du spectacle.
Tous les sketchs ne se valent pas. Le premier, interprété par Jonas Wertz et Muriel Legrand, peine à se mettre en route. Le second, avec Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, commence dans une atmosphère élégante et heureuse et s’achève comme un film gore (sauf que c’est du théâtre et que l’on reste détendu). Le troisième est une authentique performance d’actrice : Muriel Legrand (accompagné par Jonas Wertz en technicien du système de réalité virtuelle), prisonnière d’un monde fantasmagorique, se démène dans tous les sens et entame une séquence de danse ultrarapide qui donne le tournis aux spectateurs ; la séquence de la noyade est également très convaincante. Le quatrième qui réunit les quatre comédiens n’est pas de très bon goût, comme on l’a dit, mais en dehors de la toute fin est fort bien mené.
Ce spectacle venu d’outre-Quiévrain plaît par son inventivité et la rigueur de la mises en scène mais l’on n’y cherchera pas matière à de grandes réflexions.
Photos : Ch. Raynaud de Lage