Le Nez adapté de Gogol et mis en scène par Ronan Rivière
Un beau matin, Kovalev, assesseur de collège mais homme de quelque importance dans la société pétersbourgeoise découvre qu’il a perdu son nez. Ce serait déjà bien ennuyeux mais voilà-t-y pas que le nez s’est sorti tout seul des eaux de la Neva où les pauvres gens qui l’avaient découvert dans une miche de pain ont cru bon de le jeter et qu’il se met à faire des frasques, comme séduire la fiancée de Kovalev ou semer du désordre dans la ville en promettant monts et merveilles à qui veut l’entendre. Sous la farce, en un temps (la publication date de 1836) où la censure ne laissait pas passer grand-chose, ce récit dissimule une critique acerbe de la Russie impériale, des inégalités sociales exacerbées et de la crainte engendrée par une police attelée à défendre l’ordre social.
L’adaptation de Roman Rivière joue délibérément sur le côté farce du texte, tout en gonflant le rôle d’Alexandrine, la fiancée de Kovalev, laquelle bien qu’appartenant au beau monde se montre ici particulièrement délurée. Elle est interprétée par une Laura Chetrit qui n’a pas froid aux yeux mais Amélie Vignaux qui joue l’autre personnage féminin, la femme du barbier, n’est pas mal non plus. Jérôme Rodriguez assume le rôle plutôt ingrat de Kovalev, son personnages servant beaucoup de faire valoir aux autres. Michaël Giorno-Cohen (le barbier) montre la plus belle présence. Roman Rivière se réserve deux seconds rôles (le policier et le nez après qu’il a pris son autonomie). Jean-Benoît Terral se partage pour sa part entre les rôles du valet de Kovalev et du médecin. Un musicien sur le plateau accompagne discrètement à l’orgue-clavecin.
On admire le rythme d’une mise en scène sans temps mort ; le décor mobile qui évoque la ville, le pont sur la Néva avec une arche, quelques marches ; les changements de décor et d’accessoires (un lit, une cafetière, des instruments médicaux, …) à vue par les comédiens ; les costumes XIXe.
Frantz – écriture de plateau, mise en scène de Marc Granier
C’est le charme du OFF que de ménager de merveilleuses surprises. Frantz en est une. Une bande de jeunes comédiens menés par un chef tout aussi juvénile a concocté un spectacle autour du mime, sauf que c’est bien plus que cela. Il y a effectivement sur le plateau Frantz (Paul Ménage) qui mime, mais cela ne l’empêche pas de dialoguer avec son père lorsque son partenaire (Louis Kientz) endosse ce rôle et quitte celui de narrateur. Il y a donc un narrateur qui accompagne le mime, ce qui nous éloigne du mime pur et des séquences dialoguées ce qui nous en éloigne encore plus. Et puis il y a ces trois personnages à l’arrière-plan, qui derrière un établi, qui derrière des étagères encombrés d’outils reconnaissables (comme des clefs plates qui pendent dans le vide) ou d’objets indéfinissables. Car les trois comédiens debout au fond de la scène (Samy Morri, Chloé Lloret Para et Chloé Louis sont des bruiteurs chargés de l’accompagnement musical (incluant parfois des paroles volontairement peu compréhensibles). Une fois seulement, S. Morri avancera jusqu’à l’avant-scène pour un très bref dialogue avec Frantz.
L’originalité ne suffit pas pour faire un bon spectacle, évidemment. En dehors de ces ingrédients indispensables que sont de bons comédiens et une mise en scène au cordeau, conditions réunies ici, il faut encore une belle histoire, drôle ou triste. Ici la triste et belle histoire de Frantz, un individu ordinaire dont la vie se déglingue quand il perd coup sur coup son père et son travail. La relation entre le père et le fils est formidablement émouvante [on préfère ne pas la comparer avec celle ébauchée dans la pièce à l’esbroufe, Le Septième Jour, jouée parallèlement dans le IN – la réussite au théâtre n’est pas une question de moyens financiers (la survie des comédiens en est une, évidemment)].
Le bruitage est impressionnant (un exemple : le bruit des vagues, à la fin). L. Kientz est fascinant dès qu’il prend la parole. Un bémol : même si P. Ménage est un bon mime avec son regard ahuri, tous ses gestes ne sont pas aisément interprétables, surtout au début quand Frantz est dans son cadre professionnel.