Scènes

Avignon 2021-7 : Manuel Antonio Pereira (OFF)

Capital risque

Quand on lit les dossiers de presse des pièces présentées en Avignon ou ailleurs, on ne manque pas d’être impressionné par le sérieux des concepteurs des projets.  S’il doit bien y en avoir certains qui n’ont pas d’autre but que de divertir, vous n’en trouverez pas un seul dans le IN : tous ont leur message à faire passer, qu’il soit social, économique, antiraciste, pacifiste, écologiste, antispéciste, etc. Dans le OFF, les jeunes créateurs ne sont pas moins modestes. Un auteur ou un metteur en scène-auteur ne saurait gagner ses galons de personne qui compte dans le milieu s’il ne développait un discours politico-philosophique. Le théâtre est ainsi devenu l’enceinte où s’agitent de sérieuses questions.

Néanmoins, les auteurs avertis ont conscience qu’une pièce réussie ne saurait se confondre avec un cours au « Collège » (de France). Ils savent bien que la thèse qu’ils entendent défendre ne sera pas entendue sans un emballage suffisamment attirant. Et quoi de plus plaisant que l’humour, voire le rire ? Molière le savait bien, ses comédies les plus à charge (Le Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme, etc.) n’en témoignent-elles pas ?

Capital risque est le deuxième volet d’une trilogie de Manuel Antonio Pereira, un auteur qui entend monter en épingle la « maladie » du monde actuel. Il s’agit en l’occurrence de mettre le doigt sur la dérive d’une jeunesse considérée comme trop bien adaptée au système, des jeunes gens et filles élèves des grandes écoles de commerce. On les voit d’abord au moment de passer l’oral du concours d’entrée, puis pendant leur scolarité et enfin au tout début de leur vie active. Comme tous ne peuvent pas réussir, nous aurons également un aperçu du devenir des collés. Capital risque est donc avant tout la satire d’une certaine jeunesse qui a complètement intégré le discours néo-libéral et qui vise la réussite matérielle. Si on veut, on peut !

Ils sont dix sur le plateau, dix personnages, trois d’entre eux intègreront HEC, une l’ESSEC, une quatrième l’ESC Clermont-Ferrand, ce qu’elle vivra comme un déclassement. Trois des reçus à Paris sont par ailleurs d’origine clermontoise, si bien que la pièce jouera aussi sur le contraste entre certains jeunes gens aussi brillants qu’ambitieux et leurs camarades de classe moins doués, qui n’ont pas tenté les grandes écoles et sont restés au pays.

Capital risque fait passer rapidement d’un personnage à l’autre. Assez fréquemment, lorsqu’un personnage intervient pour la première fois, il se présente lui-même avant d’interagir avec les autres, un procédé qui fonctionne bien, ici.

Le décor est principalement constitué d’un plafond mobile en papier translucide divisé en divers compartiments. Il sert d’écran en complément de l’écran du fond de scène. Les compartiments peuvent se disjoindre, descendre par un jeu de poulies. Le sol est couvert de plaques de tôle souples avec lesquelles on peut jouer. Les autres accessoires se résument à un banc en carton extensible et des tabourets, plus des silhouettes de bouteilles ou de verres découpées dans du contreplaqué. Il faut également dire un mot des costumes, habits de travail ou costumes de fêtes, la fête, on le sait, tenant une grande place chez les jeunes étudiants d’aujourd’hui. Les habits de travail sont affublés de galons qui évoquent davantage une livrée de domestique qu’un costume de cadre (sans doute pour laisser entendre que ces jeunes gens qui se voient en futurs maîtres du monde ne sont en réalité que les serviteurs d’un capital-moloch).

Le texte alterne passages chorals, surtout au début, et dialogues. Les comédiens, fraîchement émoulus de diverses écoles de théâtre, en France, ne montrent évidemment pas tous le même talent et la mise en scène manque parfois un peu de nerf. On remarque en particulier, parmi les comédiens, Nathan Jousni dans le rôle du Parisien qui a entrepris de déniaiser ses camarades d’école débarqués de leur province. Si la pièce, forte d’un enthousiasme juvénile, n’a peut-être pas autant de portée critique que souhaité par l’auteur – en dépit du décès prématuré de l’un des personnages devenu trader et victime d’un burn-out – c’est un agréable spectacle et n’est-ce pas ce que l’on vient chercher au festival (sans toujours le rencontrer) ?

 

Manuel Antonio Pereira, Capital risque. M.e.s. Jérôme Wacquiez. Avec Adèle Csech, Morgane El Ayoubi, Julie Fortini, Alexandre Goldinchtein, Fanny Jouffroy, Nathan Jousni, Antoine Maitras, Isabelle Olechowski, Agathe Vandame, Ali Lounis Wallace.