Et si l’on parlait des femmes ?
La femme dans tous ses états… telle qu’on l’a vue, telle qu’on la voit, telle qu’elle se voit, bref la femme telle qu’en elle-même… À Almada, trois spectacles pour affiner notre vision, au travers des âges, et sous des cieux différents.
Não andes nua pela casa, ou le vaudeville revisité
Il y eut Labiche, puis Georges Feydeau pour redonner, après une période d’éclipse, ses lettres de noblesse à ce qui se nomme vaudeville ou théâtre de boulevard. Une forme de comédie pour explorer les liens conjugaux, et la place de la femme au sein du couple traditionnel.
C’est la courte pièce de Feydeau, Mais ne te promène donc pas toute nue, traduite par Luis Vasca sous le titre Não andes nua pela casa, que le metteur en scène portugais João Mota – figure incontournable de la scène théâtrale, à qui le Festival rend cette année hommage – a choisi de nous présenter dans le plus beau lieu de la manifestation, le Palco Grande, théâtre éphémère de plein air installé dans la cour de l’école D. António da Costa.
Si l’on a coutume d’écrire que le mari, député aux ambitions politiques démesurées et devant lesquelles tout devrait céder, se conduit en tyran domestique, en “macho” invétéré, gardien des tabous et de ce qu’il pense être les bonnes mœurs ; d’écrire que l’épouse se distingue par sa naïveté voire par sa sottise et son inculture ; si donc on fonde habituellement le sens sur cette opposition, la lecture faite par João Mota dessine plutôt le portrait d’une femme libre, audacieuse, qui assume sa sensualité, son indépendance, et ses désirs. En effet, la comédienne Maria Ana Filipe mène le jeu avec brio, entraînant tambour battant dans son sillage les hommes qui gravitent autour d’elle – domestique, mari, maire en visite, journaliste du Figaro – et qu’elle éclipse de sa verve, de ses facéties autant que de sa lumineuse présence.
À noter deux ajouts au texte français d’origine. En ce qui concerne le titre, la précision “pela casa”, “dans la maison”, viendrait conforter l’idée que, chez elle, Clarisse peut se conduire à sa guise, déjouer les préjugés masculins, se rire des pudeurs hypocrites et outragées de son époux. Tandis qu’en ouverture le domestique, singeant le patron, imagine le discours plein de promesses qu’il tiendrait pour se faire élire président… Un prologue qui conforte et renforce la dimension critique sous-jacente à l’intrigue.
Eu sou a minha própria mulher, Je suis ma propre femme : une histoire du siècle dernier
La traduction en portugais de Miguel Graça donne à entendre le récit bâti par le dramaturge américain Doug Wright à partir des interviews que lui accorda, dans les années quatre-vingt-dix, dans un bourg proche de Berlin, la personne énigmatique qu’était Charlotte von Mahlsdorf.
Après une enfance difficile, une adolescence perturbée, Lothar Berfelde alors âgé de seize ans, décide de mettre fin à l’ambiguïté de sa vie : il assumera ce que depuis toujours il se sentait être, changeant son prénom masculin pour le très féminin Charlotte, se réclamant de ce qu’il nommera “le troisième sexe”. Il vivra comme travesti sous ces deux régimes les plus dictatoriaux qui soient, le nazisme et le communisme, tiendra dans l’Allemagne de l’Est le seul cabaret hérité de la République de Weimar, fondera dans un vieux manoir un musée où entreposer ses collections d’objets anciens, venus de la fin du dix-neuvième siècle. Certains prétendront même que Charlotte fut une informatrice de la Stasi…
Comment déchiffrer ce que fut la réalité de Lothar / Charlotte en ces temps tourmentés ? Sur scène, l’acteur Marco D’Almeida, sans autre artifice qu’une perruque claire qu’il retirera à la fin du spectacle, dans une simple robe noire, assume seul la féminité de Charlotte et la présence à son entour de trente-cinq personnages. Par la voix, il endosse en un instant chacune de ces personnalités diverses.
La performance fabuleuse du comédien tient soutenue l’attention du spectateur sur les deux heures de ce monologue, et l’on salue aussi l’actualité du propos, qui nous parle d’homosexualité, de genre, de troisième sexe, de transgenre, tous sujets qu’il est important d’aborder en ces jours où semblent, hélas, renaître l’intolérance et l’homophobie ordinaires !
J.B, Almada, le 10 juillet 2023