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LES ARBRES NE NOUS OUBLIENT PAS de Michèle Perret: nouvelle publication aux Éditions Chèvre-feuille étoilée.

Note de lecture de Djilali Bencheikh

Un retour à la terre natale algérienne.

Comment affronter son passé sans le subir ni le sublimer ? Comment apprivoiser les êtres nouveaux qui habitent vos lieux familiers sans haine ni complaisance et sans esprit de possession ? Comment s’interroger sur l’avenir à partir de ce passé révolu et pourtant toujours présent ?

C’est l’expérience remarquable qu’a vécue la romancière Michèle Perret en retournant l’an dernier en Algérie, dans la maison de son enfance ou du moins ce qui en reste. Son carnet de voyages a pu se réaliser grâce à la complicité de l’éditrice Marie-Noël et de son mari Kouider Arras. Ce guide et ami est natif du village de Mercier-Lacombe, Sfisef algérien, où l’auteure a passé une partie de son enfance et de sa jeunesse. Le domaine Saint-Jean a été fondé au dix-neuvième siècle par son arrière grand-père, entretenu par son grand-père et perdu par son père. Celui-ci n’est pas parti au moment de l’indépendance comme de nombreux Européens d’Algérie. Il a joué le jeu mais la nationalisation de ses biens dès 1963 l’a obligé à quitter le pays, accentuant l’amertume autant que le sentiment de dépossession. Ce carnet de voyage est une longue plongée dans des retrouvailles avec la ferme, avec la ville d’Oran où elle a vu le jour, Tlemcen toute proche, et Sidi Bel Abbès où l’auteure est invitée à déjeuner par la grande romancière algérienne, Maissa Bey. À mesure que l’adulte patrouille sur les sentiers de son enfance, l’émotion monte au regard de la dégradation qui a frappé les murs, les jardins et finalement l’âme des lieux. Épaulée par ses compagnons, elle interroge les êtres et les arbres et comme l’indique le titre : les arbres, eux, ne l’ont pas oubliée. « Passent les hommes, changent les coutumes, c’est normal, c’est la vie. Mais ne me parlez pas de la mort d’un arbre. »

Les êtres non plus d’ailleurs comme certains chibanis qui se souviennent (des habitants de la ferme, de leurs jeux d’enfants, et de cette dame généreuse, femme du gérant, institutrice improvisée du domaine, qui a tant fait pour faire échapper les enfants des fellahs à l’analphabétisme et qui soignait leurs trachomes). « Dans cette cour, devant la demeure paternelle, il n’y a plus de vigne vierge, il n’y a plus de pigeons ni de pigeonnier, il n’y a plus de géraniums, l’accès au bassin a été muré et le beau bougainvillier qui s’y adossait n’est pas encore en fleurs. Il n’y a plus que la douceur d’un après-midi de mai et deux anciens encore alertes qui essaient difficilement de trouver la voie vers le passé, cette histoire vieille de plus de soixante ans et le souvenir si fort des jeux et des joies de notre enfance commune. »

Dans ce récit sincère, douloureux et chargé d’optimisme, Michèle Perret ne se laisse pas aller à la Nostalgérie, cette forme de spleen pied-noir qui a débouché sur la rancœur. Elle aimerait juste tordre le cou à l’Histoire, pour « décrypter la tragédie… de deux peuples qui n’étaient pas aussi ennemis qu’on a bien voulu le leur faire croire. »
Scènes croustillantes et désopilantes, analyse lucide de l’Algérie contemporaine où l’invitée se montre aussi implacable que les Algériens eux-mêmes, ce rodéo journalistique et littéraire est une œuvre emblématique d’un thème récurrent : celui qui hante de nombreux romanciers déracinés, tous habités par l’idée d’écrire le Cahier du retour au pays natal... cher à Aimée Césaire.

En conclusion, la romancière du vécu adresse de nombreux remerciements à ses hôtes et compagnons multiples : « Merci de la chaleur de votre accueil, merci d’essayer de renouer le fil, merci pour cette ville presque encore francophone qui s’offre à nous presque sans rancune. »

Un très beau voyage au cœur des âmes, à hauteur de l’humanité.

Djilali BENCHEIKH