Un compte-rendu de Sonia Elvireanu
Le plus récent recueil de poèmes de Claude Luezior, Golgotha (Librairie-Galerie Racine, Paris, 2020, 94 p.) est bien surprenant. C’est un manuscrit de l’auteur écrit il y a 50 ans, à l’âge de 17 ans, dont il n’a changé aucune ligne, illustré par lui-même. Le livre relève de la double vocation du jeune homme : poétique et graphique. La poésie ne l’a jamais quitté, ni l’intérêt pour l’art.
Tout aussi surprenant est le thème religieux de la crucifixion de Jésus Christ chez un adolescent à l’âge de l’amour, le jugement qu’il porte sur l’événement biblique. Ses réflexions poétiques sur la crucifixion font de lui un penseur précoce.
Avec un demi siècle de retard depuis son écriture, le texte est aussi actuel. Golgotha, lieu de souffrance et de mort de Jésus Christ, lieu d’accomplissement d’une prophétie devient « résurrection, enfantement renouvelé. » Le jeune poète porte son attention sur cette signification. Il reprend l’événement de la Bible par une approche sacrée, dans une troublante transposition lyrique, s’interrogeant sur le sacrifice de Jésus pour réconcilier l’homme avec Dieu.
Dès que l’on ouvre le livre on remarque la brièveté des poèmes, certains réduits à un seul vers, portant la réflexion du poète. Les plus longs sont de trois strophes, très brèves aussi. La structure tripartite du poème acquiert une certaine signification: reprendre au début l’événement biblique dans la succession des faits, en vers narratifs, ensuite y réfléchir, à la fin, y porter un jugement.
En images poétiques émouvantes, autant de tableaux faits de lumières et d’ombres, le jeune poète retrace avec fidélité la succession des scènes depuis la mise sur la croix jusqu’à la résurrection du Christ. Il nous donne simultanément l’image de la crucifixion dans ses détails connus et de l’assistance dont il semble faire partie en témoin et raisonneur contemporain, comme si la crucifixion se déroulait devant ses eux. Il s’interroge au nom de tous sur l’attitude de l’homme face au sacrifice suprême de Jésus au nom de l’amour.
Le poète invite les lecteurs à repenser leur destin et leur relation avec Dieu. Le Golgotha, symbole de la crucifixion, est symboliquement le destin humain, chacun a son Golgotha, ses épreuves douloureuses et la mort comme fin de la vie. L’important, semble dire le poète, c’est d’assumer son Golgotha à la manière de Jésus, de croire au salut des âmes par son sacrifice.
Après des siècles d’évolution, l’homme n’a pas changé d’attitude face au mystère de la résurrection. Il se trouve toujours entre le doute et la croyance, la haine et l’amour, dans l’attente d’un signe, d’un miracle comme l’était le peuple juif devant la crucifixion de Jésus. La résurrection, la promesse de salut accomplie n’ont pas rendu l’homme meilleur, il persiste dans ses péchés, continue de faire le mal, de crucifier, la haine et la vengeance font des ravages, sa déchéance n’en finit pas au fil des siècles : « Nos déserts/ Nos orgueils/ Nos absences/ Étaient ses clous. // Corps à corps de nos démences/ avec la chair du sacrifice. »
Ce nous intégrateur, jamais le je du moi poétique, fait du poète le porte-parole de tous les gens pour le rachat de qui Jésus a assumé son sacrifice par amour. Le silence du crucifié tourmenté par la haine des autres même sur la croix et son pardon pèsent comme une blessure sur l’assistance, comme le lèpre, son amour et son innocence font face à la haine pour accomplir la prophétie : un sang pur pour épurer le sang impur et ravitailler les âmes.
La voix du poète, ce nous assumé, touche de près le lecteur par l’émotion et la piété qui s’en dégagent, par le pouvoir des mots vivants qui semblent proférer la rédemption : « Nous avons laissé tant d’enfants/ sur le bord du chemin.// Nos poings/ étaient scélérats// Là-haut/ les paumes/ Ouvertes/ Du crucifié. »
La voix du poète est grave et pleine de piété devant « celui qui n’avait que des paraboles de tendresse », qui répond par amour à la haine. Elle raconte en même temps qu’elle livre les sentiments de l’assistance, celle du temps biblique (les soldats, les brigands, la Vierge Marie, Marie Madeleine, la foule) et de tous les temps qui semblent revivre l’événement, assister à la crucifixion par ce nous qui voit, attend, doute, exulte, unit les voix dans le chant de gloire à la lumière de la résurrection de Pâques.
Claude Luezior avait choisi dès sa jeunesse de porter témoignage de la souffrance de tous, incarnée par le Golgotha, symbole du destin christique de l’homme, du crucifié de tout temps (guerrier, exilé, migrant, stigmatisé, persécuté, malade) comme en témoigne son recueil Jusqu’à la cendre (2018).
Golgotha de Claude Luezior est chant de l’homme à la gloire de l’Homme, qui a racheté par son sang les péchés humains, rendant possible « l’enfantement renouvelé», interrogation et réflexion sur la nature humaine.
Le lecteur est aussi touché par les illustrations de ce livre, faites par l’auteur lui-même au même âge de dix-sept ans : des dessins abstraits, accompagnant les poèmes, évoquant par eux-mêmes la souffrance. Ils dévoilent un vrai talent graphique.
Ce dialogue entre les arts restera une obsession pour le poète. Mais adulte, il ne continuera plus d’illustrer ses recueils (hors quelques couvertures), sa passion de jeunesse pour le dessin sera un secret bien gardé toute sa vie. Mais il ne renoncera pas à sa passion pour les arts plastiques et collaborera avec des artistes contemporains pour illustrer ses poèmes dans ses livres d’artiste.