Pratiques Poétiques

Sonia Elvireanu, la fécondité du silence magnifié par les mots

Sonia Elvireanu : Ensoleillements au cœur du silence / Scintillii nel cuore del silenzio, poèmes.Edition bilingue français / italien, traduction Giuliano Ladolfi. (Giuliano Ladolfi Editore, 2022) http://ladolfieditore.it/index.php/it/. (Prix d’honneur au concours « Excellence 2022 », Académie poétique et littéraire de Provence, France).

Pour Sonia Elvireanu, la poésie est sacrée et l’inspiration poétique d’essence divine. La poésie se nourrit donc d’amour. Dans ce recueil, la parole alterne avec le silence, tous deux féconds, tous deux sources de sagesse sans qu’il y ait de contradiction.

L’amour / qui articule mon silence 

En effet, il s’agit bien de faire parler le silence par l’intermédiaire d’un amour intense, rêvé et peut-être idéalisé. Alors seulement s’élève l’âme en un souffle divin. La passion est mystique puisqu’elle permet d’élever l’âme jusqu’à Dieu.

La nature est toujours présente dans  Ensoleillements au cœur du silence ; ce sont souvent des fragrances venues d’Orient mais pas seulement, qui pénètrent l’âme de la poétesse, favorisant «  la voie royale pour fleurir le temps renversé »

Pour Sonia, ce temps renversé, c’est celui de l’amour retrouvé par-delà la mort qui lui arracha l’homme qu’elle aimait. Écrire de la poésie permet de retrouver les senteurs du paradis perdu. Au creux de cette poésie sensuelle, « la lumière de la vie » est éternité : la vacuité du temps disparaît.

Il y a aussi ces papillons blancs : symboles de pureté ? Les pommiers aux fleurs enivrantes, les chants des oiseaux et les insectes envahissants…qui révèlent toutes les beautés d’un monde harmonieux, disparu et ressuscité grâce à la beauté de sa poésie.

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Le paradis retrouvé dans les bras de l’Aimé, serait donc ce royaume du soleil levant qu’elle évoque en des vers aussi émouvants que le premier baiser ?

« je te chargerai les bras de scintillements / pour être vivant dans le mystère de la terre jusqu’à sentir / la lumière du dernier silence sur les paupières »

Pourquoi les premières amours ont-elles toujours le goût nostalgique d’un paradis envolé à jamais ? Peu importe qu’il n’y ait pas de réponse dans Ensoleillements au cœur du silence, puisque l’amour est lumière et réciproquement pour Sonia. Le sens est toujours à construire en harmonie avec la nature. L’arbre a des pouvoirs par la magie d’un regard amoureux :

« La floraison des arbres dans ton regard, / son éclat sous les paupières, / fais-la descendre en toi »

L’arbre est omniprésent ici. Il est la Vie, accomplissement et plénitude sur terre, le fidèle gardien de l’âme.

« mes arbres ont tous les horizons, / les couleurs de la rose des vents, / le levant, le couchant, le sud et le nord »

La nature personnifiée semble habitée par cette poésie : « Le ciel (qui) me sourit. », «  Le soleil me nettoie […] », nature providentielle au sens fort. Il y a là une seule respiration faite de douceur et d’harmonie. C’est un peu comme si Sonia avait accès à ce paradis perdu dont rêve encore un être privé de lumière et d’espoir. Le mot « âme » est récurrent : ainsi dans le poème intitulé L’âme de la colline , l’expression revient trois fois, soulignant une nostalgie plus douce qu’amère. Serait-ce la civilisation, l’être humain qui ont perverti une essence divine? La poétesse le suggère sur le mode mineur. Il est vrai que le silence feutré souvent évoqué et invoqué dans ces vers tient lieu de bréviaire, de philtre peut-être. Sonia confère à la poésie une dimension sacrale où « seule la lumière donne goût au silence ».

Ne nous y trompons pas : si cette poésie a le goût du sacré, c’est de la plus belle façon : peut-on parler de panthéisme ? Je l’ignore. Peut-on affirmer à l’instar de Lamartine que, pour Sonia Elvireanu, « borné dans sa nature, infini dans ses vœux,/ l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » ? J’aime qu’elle fasse référence aux dieux de la mythologie plutôt qu’à un seul Dieu. Pour elle, d’ailleurs, il ne saurait y avoir de contradiction, mais l’ expression du syncrétisme de sa pensée.

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«  Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru (…) »1

J’ai pensé à ce passage de Camus dont la beauté lyrique me transporta adolescent, en lisant et relisant ce recueil. Je me disais que ce sont parfois (souvent ?) les athées qui parlent le mieux de la divinité, du sacré et de la fusion de l’être humain avec une nature où subsiste parfois un goût d’innocence. Sonia, je pense, acceptera volontiers cette réflexion.

La poésie de Sonia Elvireanu est bien un arc-en-ciel. « arc-en-ciel de mon silence » , affirme-t-elle, mais aussi celui de la beauté blottie au creux de ses mots.

1 in Noces