Ou Aix qui danse, à l’automne
Aix est une ville bénie pour l’opéra et tout autant pour la danse. La présence d’Anjelin Preljocaj et de son ballet, de ses invités n’empêche pas d’autres événements, l’été dans le cadre du festival Danse à Aix puis tout au long de l’année au Grand Théâtre de Provence (GTP). Et le public est au rendez-vous, à preuve le spectacle proposé par le Ballet de l’Opéra de Paris, programmé quatre soirs de suite au GTP (1400 places) et qui a fait salle comble dès le premier soir. Bref compte rendu de quelques spectacles récents :
Le Ballet de l’Opéra de Paris s’est produit du 27 au 30 septembre dans un spectacle éclectique qui a permis de découvrir plusieurs aspects de la danse classique, soit quatre pièces ou extraits de pièces programmées à l’Opéra de Paris (Garnier ou Bastille) en 2023.
Le spectacle commence par un « grand pas classique » pour une danseuse et un danseur, chorégraphie de Victor Gsovsky sur la musique de Daniel Auber, créé par Yvette Chauviré et Wladimir Skouratoff au Théâtre des Champs-Élysées à Paris en 1949. On sait qu’on entend sous l’appellation « grand pas classique » des morceaux destinés à montrer la virtuosité des danseurs, insérés dans un ballet (Le Dieu et la bayadère en l’occurrence) sans être destinés à faire avancer le récit. Valentine Colosante et Marc Moreau (deux Étoiles du Ballet) sont impressionnants dans ces exercices qui réclament autant de technicité que d’endurance. Le morceau suivant, In the Night, sur de la musique de Chopin et chorégraphié par Jerome Robbins, qui fait appel à trois couples de danseurs – parmi lesquels les Étoiles Valentine Colosante (à nouveau), Sae Eun Park et Mathieu Ganio – est au contraire tout en retenue et lenteur. Viennent ensuite des extraits de Who cares ?, chorégraphie de Balanchine sur une musique de George Gershwin, créée par le New York City Ballet en 1970, où se distinguent parmi les quatre danseurs les Étoiles Amadine Albisson et (à nouveau) Marc Moreau.
Après l’entracte, le spectacle se poursuit par deux extraits du ballet Raymonda sur une musique d’Alexandre Glazounov, chorégraphié par Marius Petipa lors de la création au Bolchoï en 1898 et revisité par Noureev à Paris en 1983. Le premier extrait réunit six danseurs dont Sae Eun Park dans le rôle titre. Le second extrait est un autre « grand pas classique », cette fois pour vingt danseurs dont les Étoiles Myriam Ould-Braham (Raymonda) et Mathias Heymann dans le rôle de Jean de Brienne.
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Le 30 septembre, c’était l’ouverture de la saison du Pavillon Noir. Les amateurs étaient tout d’abord conviés à la répétition du Cabaret de la rose Blanche, la nouvelle pièce du franco-tunisien Radhouane El Meddeb, en résidence à Aix après Strasbourg et Toulouse. On attendait de ce fait bien davantage de ce Cabaret sur lequel on préfère jeter un voile pudique.
Arthur Perole s’est révélé par contre passionnant dans son solo intitulé Nos Corps vivants. Cet artiste, de formation initiale circassienne, est un ancien du CNSMDP. Installé désormais à Marseille, il a chorégraphié récemment Le Lac des cygnes pour le Ballet Preljocoaj junior. Nos Corps vivants est une performance impressionnante, malgré un début brouillon dont on perçoit mal la finalité. Installé sur une petite estrade carrée entouré par le public public assis sur des chaises, le danseur se donne à fond, sans jamais ou presque reprendre son souffle pendant un heure. S’il faut un peu de temps pour entrer dans sa démarche, dont on ne voit, au début – on l’a dit – que le côté désordonné, on se laisse prendre lorsque la danse saccadée et apparemment sans objet vire de plus en plus à la pantomime, avec des moments qui évoquent irrésistiblement certaines attitudes chaplinesques. Cette pièce sans parole mais qui inclut une chanson devient alors de plus en plus humoristique, avec des adresses au public, des incursions dans la salle ou près des deux régisseurs musique et lumière. C’est un discours muet qui n’en dit pas moins long sur ce que nous sommes, avec des changements de rythme, une chanson – on l’a dit – en play-back, une veste en (fausse) fourrure qu’on enlève et qu’on remettra, et pour finir une ronde façon derviche tourneur.
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À Aix, on y danse, on y danse et les spectacles ne se ressemblent pas. Le 5 octobre, toujours au Pavillon Noir, la Québécoise Catherine Gaudet présentait Les Jolies Choses, une pièce pour cinq danseurs, soit ce soir-là trois danseuses dont une Noire aux longs cheveux verts et deux danseurs (la distribution est différente sur la photo). Pendant cinq bonnes minutes, au début, une danseuse officie seule et en silence tandis que les autres demeurent figés sur le plateau ; elle fléchit les genoux et propulse les avant-bras devant elle, sans jamais varier d’un iota. Le spectateur prend son mal en patience tant il va de soi que cette mise en bouche quelque peu provocante ne durera pas, que les quatre autres danseurs ne sont pas là pour la figuration. De fait, ils se mettent en branle progressivement, chacun dans son coin, animé par un mouvement qui n’est qu’à lui, tiré d’un répertoire des assouplissements tels qu’on les pratique dans les salles de gymnastique mais avec un petit quelque chose en plus qui prouve qu’on n’est pas dans un gymnase mais bien sur un plateau de danse. Si l’on se doute que les cinq danseurs finiront par se coordonner, leur première très brève tentative dans ce sens n’arrive qu’au bout d’une quinzaine minutes. Pour le reste, chacun continue à s’occuper de ses petites affaires sans se rencontrer sinon, fortuitement. Si par hasard, un garçon se trouve derrière une fille, il se lance dans une gesticulation aussi mystérieuse qu’incongrue pendant quelques secondes…
Ce n’est que dix minutes plus tard, soit après vingt-cinq minutes, que le ballet trouvera sa configuration définitive : les cinq danseurs alignés forment comme le diamètre d’un cercle qui tourne (le diamètre) autour de son centre, jusqu’à la fin, pour les saluts, où ils se présentent, toujours alignés, face au public.
Les Jolies Choses ? Le choix de ce titre demeure mystérieux car les danseurs font penser à des pantins plus qu’à autre chose et leurs mouvements saccadés, mécaniques, sur une musique répétitive de quelques notes, ne sont ni jolis ni gracieux. Soit Catherine Gaudet était en panne d’inspiration – ce qui ne semble pas le cas à voir ce dont elle est capable comme chorégraphe – soit elle a voulu avec ce titre nous mettre sur une piste, mais laquelle ? Ce que l’on retiendra surtout de ce spectacle, c’est sa virtuosité, sa précision. Le lecteur a bien compris – cela va sans dire – que ces danseurs qui tournoient sans s’arrêter ne se contentent pas de modifier à l’improviste leur mouvement collectif, que chacun fait des efforts pour se différencier des autres, avec comme résultat, en général, de se voir imité, durablement ou pas.
Ils ne se touchent jamais sauf à un moment très bref où ils s’effleurent la taille (on ne saurait dire qu’ils se « prennent » par la taille), un détail mais qui a son importance. Ces Jolies Choses si curieusement nommées fascinent comme une danse de derviches – musique lancinante, tournoiement – quoique pas du tout comme chez Perole (vois ci-dessus) car la ronde se prolonge ici pendant environ une demi-heure…, au point qu’il peut arriver, par moments, que l’on trouve le temps un peu long… Ce n’est pourtant certes pas l’ennui qui domine mais plutôt l’émerveillement devant l’endurance des danseurs, leur capacité à suivre leur propre partition sans casser la dynamique de l’ensemble et le talent de Catherine Gaudet qui a su imaginer et régler au millimètre ces subtiles variations.
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Retour au GTP le 7 septembre avec l’Israélo-londonien Hofesh Shechter. Ce chorégraphe de renommée mondiale qui n’hésite pas à balancer de la fumée, comme dans Clowns, la première pièce présentée ce soir-là, pour évoquer l’atmosphère polluée des grandes métropoles. Ancien de la Batsheva Dance Company (Jérusalem), formé à la méthode « gaga » de Ohad Naharin, il en a retenu le principe de base suivant lequel l’expression passe avant la technique et du pays natal il a encore retenu les pas des danses folkloriques juives qu’il utilise, transformés.
Clowns est une pièce proprement enthousiasmante et le public ne s’y est pas trompé : les onze danseurs et danseuses s’agglutinent, puis se séparent en courant, traversent le plateau, sortent pour re-rentrer immédiatement, esquissent des couples qui se dissipent aussitôt. Les tableaux qui se succèdent à un rythme d’enfer sont séparés par des noirs, la lumière joue un rôle essentiel ainsi que la musique composée et souvent interprétée par Hofesh Shechter, avec des emprunts ici ou là, comme le Can Can d’Offenbach au début de la pièce.
Ces personnages qui s’agitent continuellement ont un penchant qui les pousse à s’assassiner mutuellement, mais comme ils ne sont que des clowns (sans en avoir le costume, le leur semble inspiré de ceux des manants, au XVIIe siècle, avec quelques élégances plus modernes), tout cela reste sympathique et drôle.
Cette pièce s’achève en apothéose par les saluts qui sont à eux seuls un grand morceau chorégraphique. Après l’entracte, la seconde pièce au programme est intitulée The Fix (comme un « fix » d’héroïne?). Un choix malencontreux, car passer du rythme soutenu et enjoué de Clowns à cette deuxième pièce plus grave, plus lente et qui n’innove en rien sur le plan chorégraphique entraîne automatiquement une déception. Et que penser du final où les danseurs, abandonnant le plateau, s’avancent dans les travées et prennent quelques spectateurs dans leurs bras, sinon que cet appel à la fraternité universelle apparaît bien convenu ?
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La danse continuera tout au long de l’automne avec, au GTP, Colette Baïz et le groupe aixois Grenade en novembre, puis Blanche Neige par le Ballet Preljocaj en décembre. Au Pavillon Noir, Preljocaj présente trois pièces à la mi-octobre ; Arthur Perole revient début novembre avec Tendre Carcasse (pour quatre danseurs) ; il sera suivi en novembre et décembre par plusieurs chorégraphes invités parmi lesquels Fouad Boussouf et sa pièce Näss (1) et La Veronal avec Firmamento (2).
(1) Voir sur Madinin’Art, « Aperçu du festival SEIBA », https://www.madinin-art.net/apercus-du-festival-ceiba-mars-2023/
(2) Voir sur Mondesfrancophones, « Pasionaria de Marcos Morau, décapant mais… », https://mondesfrancophones.com/scenes/pasionaria-de-marcos-morau-decapant-mais/