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« La Tentation d’Odala », entre réalité et fiction

Les plus anciens lecteurs de Mondesfrancophones devineront peut-être sous les initiales « AL » l’identité de celui qui se cache sous le pseudonyme Alix Lecomte emprunté par l’auteur de La Tentation d’Odala. Autre indice, son roman se situe au Moyen Âge, plus précisément au VIe siècle, au temps des rois mérovingiens, une période marquée par les luttes entre les héritiers de Clovis. Quand commence le roman, en 531, Clotaire (498-561) a vaincu le roi de Thuringe, Hermanfred et emmené en captivité Odala, nièce de ce dernier. Elle est pourvue d’une bonne éducation, connaît le latin et quand elle a atteint l’âge de 15 ans, elle devient contre son gré l’épouse du roi Clotaire. Animée en effet d’une foi ardente, elle avait la volonté de se consacrer au Christ. Après que Clotaire ait fait assassiner son frère Berthaire, elle s’enfuit et obtient de l’évêque Médard qu’il annule son mariage et la reçoive comme moniale. Elle a fondé ensuite le monastère de la Sainte-Croix à Poitiers, tout en laissant la place d’abbesse à son amie Agnès. En 571, elle reçut en cadeau de l’empereur de Byzance, Justin II, une relique de la Vraie Croix. Elle mourut en 587. Entre-temps, elle était devenue l’amie du poète hagiographe Venance Fortunat, lequel composa à sa demande l’hymne Vexilla regis prodeunt (les étendards du roi s’avancent) à l’occasion de l’arrivée de la relique de la Sainte-Croix et fut ordonné prêtre en 576.

Tous les faits ci-dessus sont véridiques sinon qu’Odala n’a jamais existé et que ces événements réels rapportés dans le roman concernent Radegonde, princesse thuringienne, reine des Francs par son mariage avec Clotaire, fondatrice de l’abbaye Sainte-Marie qui devint abbaye Sainte-Croix après le don de la relique par l’empereur byzantin. Médard, Agnès, Fortunat sont tout aussi réels que Clotaire. Ils seront tous les trois canonisés, de même que Radegonde. Tout au plus peut-on disputer quelques dates. Selon la plupart des sources Radegonde aurait été plus proche de dix-huit ans que de quinze lors de son mariage. La relique serait arrivée à Poitiers avant la fin des années 560 plutôt qu’en 571. Des vétilles.

Mais pourquoi Odala au lieu de Radegonde ? L’auteur s’en est expliqué lors d’un entretien (1) qu’il faut lire absolument pour mieux situer le contexte historique et ses intentions : en quelques mots La Tentation d’Odala n’est pas un roman historique qui chercherait à coller d’aussi près que possible à la réalité. Sous la forme d’un roman épistolaire Lecomte s’accorde le droit de nous dire qui furent vraiment selon lui nos lointains ancêtres des premiers siècles de l’ère chrétienne, en fouillant ce qu’ils avaient de plus intimes : leur foi et leur sexualité.

Même si cette histoire se situe plusieurs siècles avant la réforme grégorienne, le principe de la continence parfaite pour tous les clercs était acquis dès le début du IVe siècle. Voir en particulier les conciles d’Elvire ( 305) et de Nicée (325). On sait que la règle était loin d’être toujours respectée dans les faits, mais comment les chrétiens les plus convaincus, les plus habités par une présence divine, des futurs saints se comportaient-il face aux tentations de la chair ? Quelles transgressions sont imaginables ? Leurs confesseurs qui connaissaient seuls la réponse étaient tenus au secret, secret que Lecomte, auteur omniscient, lève néanmoins pour nous.

Son livre évoque la figure d’une autre moniale, Baudovinie (Baudonivie ou Baudonie en réalité), auteure d’une Vie de sainte Radegonde (600). Ainsi imagine-t-il que son Odala racontait par écrit ses miracles à sa future biographe et c’est grâce à ces lettres qu’il nous fait connaître aussi bien les miracles de la future sainte que les querelles qu’elle aurait eues avec le diable. Au début du livre, un certain Liber Torquatus aura rapporté le miracle de sa propre conversion, l’occasion pour Lecomte de nous enseigner ce qu’était la religion des païens en ce temps-là.

Sous une forme attrayante, Alix Lecomte (quelle que soit sa véritable identité !) nous en apprend beaucoup. La Tentation d’Odala devrait intéresser ainsi tous les curieux du passé qui ne reculent pas devant la peinture de certaines transgressions.

(1) https://mondesfrancophones.com/publications/la-tentation-dodala-un-entretien-avec-lauteur-alix-lecomte/

Alix Lecomte, La Tentation d’Odala, Shreveport (LA), Éditions Tintamarre, 2024, 278 p.