Mondes caribéens

Génie de l’errance: Wilfredo Lam, Aimé Césaire

GÉNIE DE L’ERRANCE – WIFREDO LAM, AIMÉ CÉSAIRE

René Hénane

 

Y a-t-il un génie de l’errance ? Nous pouvons raisonnablement nous poser cette question au regard de ces consciences ouvertes aux souffles de l’esprit, animées d’une irrépressible tension qui les porte au mouvement, aux voyages, pérégrinant sans répit vers des contrées exotiques au sol natal – consciences ouvertes aussi aux autres cultures dont s’imbibe leur production et dont leur créativité porte le sceau de l’étrange.

Arthur Rimbaud, Wifredo Lam… Deux créateurs de génie ayant marqué leur art, deux hommes frappés de dromomanie impénitente, dont la vie a été dominée par l’échange, le mouvement – Wifredo Lam, le Rimbaud de la peinture !

Comme Arthur Rimbaud s’écriant : « J’ai de mes ancêtres l’œil bleu… », tout en clamant ses liens spirituels avec la “chose noire”  « Je suis une bête, un nègre… j’entre au vrai royaume des enfants de Cham… »[1], Wifredo Lam révèle la conscience de son ancestralité, sa “cosa negra”[2], conscience ancestrale noire qui se fond dans l’inconscient de ses racines cubaines, indiennes, chinoises et espagnoles.

Génie de l’errance – « je suis un vrai juif errant »[3] – qui conduit au déploiement hors des frontières communes, d’une culture et de visions créatrices, polymorphes, du monde, marquées par le syncrétisme et l’universalité errance qui culmina à l’ineffable rencontre, Wifredo Lam – Aimé Césaire.

Wifredo Lam est né le 8 décembre 1902 dans un petit village cubain Sagua la Grande d’un père chinois, Lam Yam, érudit, cultivé, commerçant respecté et d’une mère « mulâtresse [qui] descendait de Noirs Congo déportés à Cuba. Parmi ses ancêtres comptaient aussi des Espagnols. Et elle n’était pas dépourvue d’un reste de sang indien. Réunissant en elle les trois races, celle des origines, celle des conquérants, celle des esclaves, elle incarnait le métissage historique de l’île, mais surtout la persistance, la prédominance de l’Afrique, sa fécondité, sa puissance de vie »[4]

Le jeune Wifredo – de son nom complet, Wilfredo, Oscar de la Concepción y Castilla – hérita de cette ascendance un génome, véritable mosaïque de races, sangs et cultures, comme le souligne son ami Michel Leiris :

« … si l’on accorde quelques valeurs aux symboles, qu’en cet homme appelé à élaborer un art authentiquement antillais, mais profondément universaliste, quatre mondes s’étaient unis : l’Asie, l’Afrique, l’Europe et, par son lieu de naissance, l’Amérique… noter aussi qu’à ce blason géographique s’ajoute depuis quelques années… une figure qui est venue le compléter en direction du nord : la présence aux côtés de Wifredo Lam, de sa femme, l’artiste peintre suédoise Lou Laurin. Éventail, donc, si largement ouvert qu’on serait prêt à se demander par quelle bizarre raison l’Océanie en est exclue, d’autant que Wifredo Lam rapporte… que quand, tout jeune homme, il vit pour la première fois des reproductions des tableaux de Gauguin, les personnages à peau cuivrée qui étaient montrés sur ces toiles lui semblèrent être des parents »[5]

L’enfant révèle un talent précoce pour le dessin, la rêverie et la vision fantastique, comme le montrent ses premiers dessins et portraits dès l’âge de cinq ans. Cette pulsion à la rêverie le poursuivra toute sa vie ; adulte il avouera à son biographe Max-Pol Fouchet : « Quand je ne dors pas, je rêve ».

Notons à cette époque, la marque qu’imprime sa marraine, Mantonica Wilson (voir Lexique), sa “Madrina” sur l’éveil de sa jeune conscience. Wifredo est sensible au merveilleux, aux mystères de la nature, aux esprits qui peuplent forêts et rivières, aux mythes yoruba de la santéría cubaine, l’équivalent religieux du vaudou haïtien. Son imaginaire est peuplé de visions rêvées, presque hallucinées, comme le montre les épisodes du miroir et de la chauve-souris :

« Quand j’étais petit, j’avais peur de mon imagination… chez moi on parlait de morts. Je n’ai pas vu de fantômes mais je les inventais… Les miroirs furent pour moi un mystère… »[6]

Un matin, l’enfant s’éveillant, voit au-dessus de son lit, une forme mouvante, pendante, avec un petit corps et de grandes ailes dentelées. C’était une chauve-souris dormante et l’animal lui parut avoir deux têtes :

« Pour moi, cette figure avait deux têtes… les rayons de lumière pénètrent par toutes les fentes et se projettent changeant la pièce en lanterne magique, inversant toutes les images qui surgissent et disparaissent aussi vite sur le mur… Toutes ces ombres chinoises qui se dévorent l’une l’autre : un cheval qui passe, des hommes… je ressens pour la première fois la peur de n’être qu’une chose parmi les choses… Cela se passait en 1907… Dans cette chambre, dont l’armoire ouverte montre, comme un homme décapité, les vêtements de mon père, le miroir reflétait la féerie des images immobiles, ma propre image et celle de la chauve-souris réveillée, au vol oscillant, à la poursuite de son ombre. De ce matin de 1907, de la présence de cet oiseau affolé, date le premier moment de ma conscience d’être là »[7]

En effet, la ténébreuse chauve-souris avec ses angulations alaires, image qui frappa l’imagination inquiète de l’enfant, peuplera désormais les peintures de Lam adulte.

La vocation de peintre s’affermit, Wifredo entre à l’École des Beaux-Arts et expose ses premières œuvres à « La Sociedad, Cercle de Culture » de Sagra la Grande avant le grand départ pour Madrid nanti d’une bourse d’études de l’État cubain, en 1923 – il a 21 ans.

Le séjour espagnol dure 14 ans : découverte des grands musées, Le Prado, le musée d’archéologie – choc fasciné devant Le Triomphe de la Mort de Breughel Le Vieux et les tableaux de Jerôme Bosch, dont les yeux vides, les visages et les corps enténébrés de souffrance hanteront les visions futures du jeune peintre. Il fréquente l’atelier du peintre Fernández Alvarez de Sotomayor, conservateur du musée du Prado et maître de Salvador Dali.

C’est en Espagne, à cette époque, et non à la déclaration de sa naissance, à Cuba, qu’une erreur administrative omet le l de son prénom Wilfredo, d’où Wifredo que le jeune homme sensible à l’euphonie du nom, acceptera définitivement.

1929 – Wifredo Lam se marie avec Éva Piris, jeune espagnole de l’Estramadure ; le jeune couple a un enfant, Wifredo-Victor et peu après, frappé en quelques mois par la mort de sa jeune femme et de son fils, foudroyés par la tuberculose, Wifredo sombre dans une dépression dont il ne se remettra que lentement et douloureusement, vidé de toute énergie et créativité.

Sa fréquentation de grands intellectuels réveille peu à peu sa force : Federico Garcia Lorca, Miguel Angel Asturias, Carl Einstein, Alejo Carpentier, Nicolas Guillen, sympathisants du parti républicain.

Lors d’une visite au musée du Prado, il rencontre Balbina Barrera qui devient sa compagne.

La guerre d’Espagne : Wifredo s’y engage avec une saine conviction et participe à la défense de Madrid : « La guerre d’Espagne a été d’un point de vue humain, une très grande école et je l’ai reflétée dans ma peinture… La peinture s’est convertie en moi en un instrument de combat. »[8] Son engagement dans la lutte est direct ; Wifredo réalise des affiches révolutionnaires et obtient un poste élevé dans une usine d’armement. Intoxiqué par les fumées explosives délétères, au cours des combats, il est hospitalisé et traité, en établissement spécialisé près de Barcelone.

Il rencontre Héléna Holzer, d’origine allemande, biologiste de la tuberculose, qui le rejoindra à Paris et qui deviendra son épouse.

1938 – Wifredo Lam s’installe à Paris où il rencontre Picasso, rencontre primordiale pour le jeune peintre qui, ému, lui remet la lettre de recommandation du sculpteur Manolo Hugué.

« Même si tu n’étais pas venu avec la lettre de Manolo dans ta poche, lui dit Picasso, je t’aurais vu dans la rue et je me serais dit : – Je veux être l’ami de cet homme ». Picasso ouvre toutes grandes, au jeune Wifredo, les portes des cénacles artistiques et littéraires parisiens : Leiris, Miró, Léger, Matisse, Tzara, Éluard, Braque, Pierre Loeb, le grand galiériste qui lui offre des expositions. Il est introduit au sein du mouvement surréaliste et côtoie André Breton et Benjamin Péret

1940 – La grande débâcle. C’est l’épisode de Marseille. Lam rejoint ses amis surréalistes au Château Air-Bel accueillis par l’Américain Varian Fry[9] et aidés matériellement par l’Emergency Rescue Commitee. Wifredo Lam illustre Fata Morgana long poème d’André Breton, censuré par Vichy et dont seuls cinq exemplaires sont édités. Heureusement, Fata Morgana, Breton-Lam, paraît d’abord en langue anglaise, dans la revue New Directions in prose and poetry, puis l’année suivante, en 1942, uniquement en Argentine, dans la revue Sur, éditions des Lettres françaises dirigées par Roger Caillois. Les dessins de Lam se ressentent de l’influence de Picasso avec notamment l’apparition d’une syntaxe visuelle faite de graphismes féminins, tête et seins fragmentés et entremêlés à un décor de formes fantastiques.

Wifredo crée aussi les remarquables dessins des cartes du jeu de Marseille, notamment les cartes de Lautréamont[10] et Alice au Pays des Merveilles. Ces dessins de Marseille portent l’empreinte de Picasso que Wifredo vient de rencontrer, dessins marqués par une pâte africaine avec visages lunaires et masques Senoufo.[11]

1941 : Wifredo Lam quitte l’Europe pour rejoindre Cuba et les États-Unis pour tous ses autres ompagnons, Breton, son épouse Jacqueline et a fille Aube, Marc Chagall, Max Ernst, Jacques Hérold, Victor Brauner, Claude Lévi-Strauss… Une providentielle occasion se présenta sous la forme d’un cargo, le Capitaine Paul-Lemerle, qui, en route pour la Martinique, accepta d’embarquer plusieurs centaines de passagers dont André Breton, sa femme Jacqueline et sa fille Aube, Pierre Mabille, un jeune ethnologue Claude Lévi-Strauss et… Wifredo Lam, rêvant de son retour à Cuba, son île natale, rejoint par Héléna Holzer qui venait de purger plusieurs mois de prison en France, comme sujet allemand. Les circonstances du voyage ont été relatées par Claude Lévi-strauss, dans Tristes Tropiques et par André Breton dans Martinique charmeuse de serpents (Eaux troubles)

Là, se situe la fameuse rencontre entre Aimé Césaire et André Breton qui lui présenta son ami artiste peintre, Wifredo Lam. La rencontre de ces deux hommes, Aimé et Wifredo, de ces deux consciences blessées, est tout simplement due au prodige du hasard objectif.

Le passage de Wifredo est signalé dans la revue Tropiques[12]. Le peintre est cité à plusieurs reprises et Tropiques ouvre ses colonnes à un important article de Pierre Mabille, intitulé La Jungle. Aimé Césaire signe un article  Introduction à un conte de Lydia Cabrera, dans la revue Tropiques[13].

Après sept mois de voyage. Pierre Loeb, Benjamin Perret et Wifredo Lam arrivent à La Havane où le peintre se met aussitôt au travail.

1942 – Wifredo Lam fréquent le cercle d’intellectuels cubains que lui ouvre l’amitié de Lydia Cabrera[14], ethnographe-folkloriste et le journaliste critique Alejo Carpentier. Lydia Cabrera traduisit en espagnol, le Cahier d’un retour au pays natal, illustré par Lam avec une préface de Benjamin Péret.

Guide éclairé, Lydia Cabrera conduisit et initia Wifredo Lam sur les sites les plus remarquables des cérémonies de la santéría cubaine.

1943 – Création de La Jungle, le plus célèbre de ses tableaux, celui qui fut comparé au Guernica de Picasso – La Jungle, qui, lors de sa première exposition à New-York, provoqua un énorme scandale – véritable athanor où bouillonne la prodigieuse alchimie de l’œuvre lamienne

 « …Wifredo Lam dont la démarche exemplaire… indique en outre la vocation que des Antilles enfin égalitaires, et purgées de leur ferments d’inauthenticité devraient savoir mener jusqu’à son degré suprême ; admission de l’irrationnel (car il n’est pas raisonnable de négliger l’irrationnel, fusion dionysiaque et de l’apollinien (deux faces de la vie dont on saurait repousser l’une sans que l’homme soit mutilé).[15] »

 

1946 – Lam rencontre André Breton et Pierre Mabille, en Haïti. Assistant à de cérémonies rituelles, ils ont la révélation du vaudou haïtien, imprégné des traditions guinéenne et dahoméennes.

Suit une longue période de transhumances, Haïti, Cuba, New-York, Mexico, Brésil (Matto Grosso), Colombie, Vénézuela, Caracas, Angleterre, Italie, Allemagne, Moscou, Stockholm, Paris où il rencontre une artiste peintre suédoise Lou Laurin Lam qui deviendra sa femme, New-York, en1960. L’art, de Wifredo Lam s’épanouit comme sa notoriété et son lustre pictural, embrassant toutes les cultures et les civilisations, notamment avec ses grandes œuvres totémiques et mythiques et ses personnages : Le sombre Malembo(1943), Malembo, le mauvais génie tapi aux carrefours, titre choisi par Lydia Cabrera, Harpe cardinale (1944), Ogun, dieu de la ferraille (1945)Le présent éternel (1946), Bélial, empereur des mouches (   1948), Embo pour Yemaya (1969), Les Abaloches dansant pour Dhambala, dieu de l’unité (1970), etc.

En 1949, à Cuba, il crée sa toile la plus imposante, Grande composition I dominée par l’image de la Femme-Cheval (291 x 421 cm). Il s’initie à la céramique, dans un studio de La Havane, technique à laquelle il reviendra en fin de vie avec de superbes réalisations.

En 1952, Lam s’installe définitivement à Paris. Il se rend régulièrement en Italie, à Albisola Mare, sur la côte ligure, où il installe sa résidence et son atelier. Il s’adonne à la céramique d’art.

À cette époque, il illustre l’œuvre de son ami Gherasim Luca, Apostroph’Apocalypse, édité à Milan, par Giorgio Upiglio, maître-graveur et éditeur de la prochaine Annonciation Lam-Césaire, comme il illustre, de René Char, Contre une maison sèche et Le rempart de brindilles, d’Édouard Glissant, La terre inquiète.

1955, Wifredo Lam rencontre l’artiste-peintre suédoise Lou Laurin, à la galerie du Dragon, à Paris. Ils se marieront le 21 novembre 1960, à Manhattan.

1970 : Lam voyage en Inde et travaille intensément à la création, dans son atelier italien.

C’est à cette époque que Wifredo Lam crée l’importante série d’eaux-fortes, intitulée Annonciation, série sur laquelle Aimé Césaire compose plusieurs poèmes, dans Moi, laminaire… analysés dans la présente étude et édités par Giorgio Upiglio en 1982 – remarquable harmonie dans la composition de l’œuvre inspiré, pictural et poétique, véritable communion d’esprit entre le peintre et le poète, connivence

1978 : Une première alerte : Wifredo Lam est affecté par un accident vasculaire cérébral au cours d’une séance de travail à l’atelier de gravure de Giorgio Upiglio. Il restera définitivement paralysé, en fauteuil roulant.

1982 – Wifredo Lam la série de sept eaux-fortes et aquatintes, série accompagnée de sept poèmes d’Aimé Césaire et intitulée Annonciation achève avant de s’éteindre le 11 septembre 1982.

Aimé Césaire en est douloureusement affecté et publie Moi, laminaire…où paraissent, dans le climat pathétique et désenchanté qui caractérise ce recueil, plusieurs poèmes, hommage à la mémoire de l’ami perdu.[16]

 

Césaire-Lam – Le même idéal brûlait l’âme du peintre et du poète – signe du Destin (Breton aurait évoqué le « hasard objectif », avatar surréaliste du Destin) qui toucha le front de ces deux hommes du sceau prophétique, marque des consciences ouvertes à tous les souffles du monde

«… non seulement la pensée de Césaire n’était pas étrangère à celle du peintre mais encore pouvaient-elles, l’une et l’autre se renforcer réciproquement… le moyen de se libérer de l’enfer et de le combattre: le dire, le montrer, le dénoncer. Toute image, pour le peintre, se transforme en exorcisme, en arme – une arme pour tous. Lam va y employer son art… sa volonté de lutter contre les pourrisseurs de la dignité rejoint celle d’Aimé Césaire, le poète des Armes miraculeuses »[17]

Le sens de l’universel, la métamorphose qui transfigure l’être humain en forêt, feuille, plante, la communion avec les mystères de la vie, unissent ces deux hommes qui se reconnaissent une authentique connivence :

« Wifredo Lam fixe sur la toile la cérémonie pour laquelle tous existent : la cérémonie de l’union physique de l’homme et du monde… Wifredo Lam célèbre la transformation du monde en mythe et en connivence… le grand rendez-vous terrible : avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, les graines volantes,, la pluie, la liane, le serpent, la peur, le bond, la vie… » [18]

La thèse de Dominique Brebion résume parfaitement dans son titre même cette connivence entre le trait pictural et la parole poétique, dialogue entre la fonction visuelle et la fonction langagière, toutes deux commandées par le génie flambant de l’écorce cérébrale : « Les armes miraculeuses d’Aimé Césaire et Les armes enchantées de Wifredo Lam ou le dialogue du scriptural et du figural »[19]

Une amitié profonde, fraternelle, lia depuis, Aimé Césaire et Wifredo Lam, amitié que rappelle Lou Laurin-Lam, la femme de l’artiste:

« c’était le chant du cygne de Wifredo – une collaboration parfaite bâtie sur des années d’amitié, de compréhension, de complicité[20] »

Je ressentis, moi-même, l’indéfectible affection qui liait ces deux hommes ; en effet, l’un des fils de Wifredo Lam, son fils aîné, Stéphane Manuel né en 1958, vit à Lyon avec sa mère, d’origine suisse, Nicole Raoul. Stéphane, artiste, musicien, conteur, créateur est marié à Mathilde et ont deux enfants, Nelson et Akéa. J’invitai Stéphane et Mathilde à m’accompagner à Fort-de-France, à la rencontre d’Aimé Césaire – ce que nous fîmes ensemble en 1996. Je me souviens de l’accueil que lui réserva Aimé Césaire et de sa chaleureuse étreinte : « j’ai cru voir entrer mon frère Wifredo Lam ! » s’exclama – t-il. En effet, Stéphane Lam, homme de haute taille, très mince, d’une grande beauté physique, est le sosie de son père Wifredo. Césaire s’entretint longuement avec lui et lui offrit l’un de ses recueils qu’il agrémenta d’une affectueuse dédicace.

Un dialogue[21] s’instaure entre le peintre et le poète, dialogue d’où naissent des œuvres à la beauté hybride, à la fois poétique et picturale, comme Annonciation, cette série d’eaux-fortes qu’Aimé Césaire a merveilleusement poétisée: Passages, Nouvelle bonté, Que l’on présente son cœur au soleil, Connaître, dit-il, Insolite bâtisseur, Façon langagière, Rabordaille.

Admirable osmose entre les sensibilités picturale et scripturale. Mais le phénomène biologique de l’osmose suppose deux milieux différents qui s’absorbent mutuellement. Ces sensibilités sont-elles si différentes, le poème et l’eau-forte sont-ils deux substances étrangères l’une à l’autre ? Elles nous paraissent au contraire, duales, en interaction permanente, l’une avec l’autre. Wifredo Lam, le peintre se sent proche du poète Aimé Césaire; ne dit-il pas qu’il invente ses tableaux

«… toujours à partir d’une excitation poétique. Je vis mon être de façon intense. Je crois dans la poésie. Elle est pour moi la plus grande conquête de l’homme. La révolution par exemple, est une création poétique. Je dis tout à travers l’image… »[22]

Aimé Césaire, le poète, n’a jamais dit autre chose.

Wifredo Lam occupe la poésie d’Aimé Césaire comme nul autre. Aucune figure – fût-elle poétique comme Asturias, Perse, Éluard, Senghor, Damas, Gratiant, historique, politique comme Delgrès, Toussaint-Louverture, Aliker, familiale comme sa fille Ina, artistique comme Loeb – n’occupe avec une telle densité et une telle persévérance l’œuvre césairienne[23] – sans compter l’hommage posthume que lui rend Aimé Césaire dans la revue XXeme siècle et les écrits dans la revue Tropiques. La conscience d’Aimé Césaire est habitée par l’image de « son frère Wifredo » et étonnamment, aucune image de Césaire ne germa jamais sous le pinceau de Lam.

La « fraternité totale » que proclame le Rebelle, osmose entre le monde sensible et l’Homme, apparaît avec la même force évocatrice dans la poésie de Césaire et la peinture de Lam :

… mes pensées qui sont des lianes sans contractures et je salue ma fraternité total.

Les fleuves enfoncent dans ma chair leur museau de sagouin

des forêts poussent aux mangles de mes muscles

les vagues de mon sang chantent aux cayes…

… Pauvres dieux, faces débonnaires, bras trop longs chassé d’un paradis de rhum, paumes cendreuses visitées de chauves-souris et de meutes somnambules…(Et les chiens se taisaient, acte III)

Ces images de nature anthropomorphe, cette forêt qui s’entremêle à la chair démantelée, cette métamorphose végétale, animale, ces faces de dieux débonnaires, ces longs bras, ces museaux de sagouin, ces chauves-souris, ces meutes de diablotins droit sortis d’un cauchemar, évoquent avec une étrange prescience – dès 1941-1943, où fut écrit l’oratorio lyrique Et les chiens se taisaient – les grandes compositions apocalyptiques de Lam qui suivirent à partir de 1946, La Jungle, Le Présent éternel, etc…

Arrêtons-nous quelque peu sur La Jungle, œuvre monumentale créée en 1943,

« La Jungle : lieu de menaces, d’agressions, de périls connus ou inconnus. Poème barbare, monumental, superbe »[24],

avec ses quatre figures « irrépressibles coryphées d’un délire verbal »[25], et qui fit scandale, à New-York tout en éveillant la stupéfaction des milieux artistiques, confondus devant les fulgurances jaillissantes et le miracle d’une communion à la fois intime et monstrueuse entre l’humain, l’animal, le végétal, chimères prodigieuses qui effaçaient toute frontières entre les règnes et révélaient le monde nouveau de l’onirisme.

Au même moment, sous le même ciel caraïbe, à quelques lieues de là, la voix d’Aimé Césaire proclamait :

À la base de la connaissance poétique, une étonnante mobilisation de toutes les forces humaines et cosmiques… En nous l’homme de tous mes temps. En nous tous les hommes. En nous, l’animal, le végétal, le minéral. L’homme n’est pas seulement homme. Il est univers.[26]

La forêt, les lianes pullulent dans ces tableaux lamiens et encerclent de leurs volutes proliférantes, les créatures anthropomorphes, les diablotins, les « Femme-cheval , les chauves-souris, les croupes fastueuses, les seins, les symboles phalliques…

André Breton, même, est subjugué par cette liane : « Lam, l’étoile de la liane au front et tout ce qu’il touche brûlant de lucioles »[27]

Et que dit Aimé Césaire ? :

… Je démêle avec mes mains mes pensées qui sont des lianes sans contractures… les forêts poussent aux mangles de mes muscles / les vagues de mon sang chantent aux cayes… tous mes marécages / tous mes volcans / mes rivières pendent à mon cou comme des serpents et des chaînes précieuses… (Et les chiens se taisaient)

Le même saisissement, les mêmes fulgurances imagières, nous traversent de leurs vibrations devant un tableau de Wifredo Lam et le poème d’Aimé Césaire

Étrange harmonie du scriptural et du pictural, étrange communion de ces deux consciences, Césaire et Lam.

Une intéressante remarque est faite par Daniel Abadie qui nous indique le fait que cette profusion végétale, inconnue à Cuba, ne fait pas partie du patrimoine imaginaire des îliens. « La Jungle, le tableau le plus emblématique de cette période de l’œuvre de Lam [porte] un titre sans rapporte avec les types de végétation existant à Cuba… Cette étrange intrusion de la nature dans l’œuvre du peintre était parallèle à celle qui se marque dans les dessins lors de leur séjour commun à la Martinique par André Masson et dont une partie illustrera le livre d’André Breton, Martinique, charmeuse de serpents… »[28]

Ce qui est exact et assuré par Lam lui-même :

« … de toute façon, le titre lui-même [La Jungle] ne correspond pas à la réalité naturelle de Cuba où l’on ne trouve pas de jungle, mais le bosque, le monte, la manigua – le bois, la montagne, la campagne -, et le fond du tableau est une plantation de cannes à sucre. Ma peinture devait communiquer un état psychique »[29]

Au cours de leur séjour en Martinique, en mai 1941, Aimé Césaire et René Ménil conduisirent leurs hôtes, André Breton, André Masson, Wifredo Lam, dans une promenade au Gouffre d’Absalon, l’un des plus beaux sites de l’île – déchaînement végétal, opulence de la sylve, racines aériennes échevelées et entremêlées, eaux ruisselantes, le tout dans une lumière crépusculaire et sous une pluie battante ! Cette équipée est contée par Aimé Césaire sous la forme d’un poème opaque comme la nature environnante, Femme d’eau-Nostalgie[30].

Breton, Masson et Lam furent fascinés par cette prodigieuse exubérance végétale, aux formes étranges, lianes ophidiennes, troncs anthropomorphes…

« La forêt nous enveloppe ; elle et ses sortilèges… Te souviens-tu d’un dessin que j’ai intitulé  “délire végétal” ? Ce délire est là… Nous sommes un de ces arbres à étages, portant au creux des branches un marais en miniature avec toute sa végétation parasitaire greffée sur le tronc fondamental… et gréée du haut en bas de lianes à fleurs étoilées »[31]

– image obsessionnelle de la liane et de l’étoile !

La Jungle est donc le fruit d’une expérience intime qui ne peut se réduire à aucun schéma pré-établi et échappe à toute catégorisation. Comme Césaire ne peut ressembler qu’à Césaire, Lam ne peut que ressembler à Lam.

« L’œuvre de Lam qui s’enracine dans le tréfonds de plusieurs cultures, ne saurait se réduire à aucune d’entre elles : elle les déborde en les conciliant. Ainsi faudrait-il inventer un autre langage critique[32], qui concilierait le chant, la mélopée, l’hymne, l’élégie, le roman, l’essai, le poème en prose pour se tenir en harmonie constante avec ce cœur ténébreux traversé d’éclairs venus de tous les horizons »[33]

Cette somptueuse et angoissante composition apparaît comme un syncrétisme, véritable synthèse qu’effectue le peintre avec les règles de la composition occidentale contemporaine, les canons de la peinture classique du Grand siècle français, de l’impressionnisme et du fauvisme, le tout mâtiné de l’art totémique africain et cubain :

Ainsi, répondant à une question relative à la présence de ciseaux et de « fesses somptueuses » présentes sur le tableau La Jungle, Wifredo Lam répondit :

« Les ciseaux signifient qu’il était nécessaire de rompre avec la culture coloniale, que c’en était assez de rester soumis culturellement. Les grandes fesses, je les ai mises à cet endroit comme un volume qui correspond à la diagonale sur laquelle repose le poids de la composition dans cette partie. Évidemment cela a tout à voir avec l’aspect formel de l’art européen. J’ai réalisé ma peinture selon les critères de l’art du XVIème siècle, et surtout des peintres français comme Cézanne et Matisse. Je fais usage des conquêtes cézaniennes dans ce tableau qui est lié à l’Afrique pour ce qui est de sa poésie, mais également à la culture occidentale et à Cuba »[34]

Les deux hommes, Césaire, le poète et Lam, le peintre, ignorent, voire s’insurgent, contre les théories d’écoles, contre l’embrigadement de la pensée et contre le messianisme aussi altier qu’arrogant, de la pensée occidentale, en lui opposant un langage propre, dépouillé de toute servilité, de toute « décalcomanie », une œuvre originale, tout imprégnée des grands mythes premiers :

Ah moi, je ne suis pas prisonnier de la langue française… J’ai toujours voulu infléchir le français[35]… j’ai forgé ma mythologie[36]… » s’écrie Aimé Césaire.

Et Wifredo Lam qui connaît les valeurs noires et imprégné de valeurs occidentales, loin d’avoir été absorbé par l’Europe, avait conscience de sa nature et fondé un art original, pas « décalcomanie »[37].

Les mêmes déterminations façonnent l’itinéraire vécu de Césaire et de Lam et ces harmonies entrent en résonance pour donner naissance à cette admirable amitié entre les deux hommes. Tous deux parviennent par leur art à domestiquer, à neutraliser le messianisme occidental qui régente cultures et civilisations en Afrique et aux méso-Amériques. Tous deux, tout en étant de pur produits de « l’Europe et ses parapets » parviennent non seulement à sauvegarder leur gisement profond, leur amadou qui brûle au fond d’eux-mêmes, mais imposent, goguenards et dominateurs, à l’impérialisme colonial admiratif – et parfois inquiet- une pensée et une tradition native – prise de conscience : l’arme de la conquête de Césaire est sa négritude, celle de Lam, sa cosa negra. Les deux hommes ont le même vocabulaire, celui enseigné par l’Académisme, mais vocabulaire, sculpté, recyclé, parfois démantelé, selon le mode de leurs déterminations intimes.

La prise de conscience se défait des complexes intériorisés par plusieurs siècles de domination et érige une culture noire poétique et picturale, vibrant aux rythmes et aux parfums de l’afrique ; et cette libération se tourne contre les complexes fixés par l’histoire dans la conscience enfiévrée de l’opprimé :

« … instauration dans la conscience des esclaves, à la place de l’esprit refoulé, d’une instance représentative du maître[38], instance instituée au tréfonds de la collectivité… ce qui explique le complexe d’infériorité du peuple antillais »[39]

Cette nouvelle identité, lamienne et césairienne, forgée par les concepts de l’Occident, se dresse désormais devant lui, avec des monuments, des totems d’un autre monde.

Le rôle du surréalisme n’est pas anodin ni étranger à l’éveil identitaire au sein de la conscience de Césaire et de Lam. André Breton ne s’y est pas trompé qui note la nouveauté de ce « chemin inverse » qui, partant de la magie primordiale intime aboutit à l’œuvre achevée au plus haut « point de conscience » :

« Il est probable que Picasso a trouvé chez Lam la seule confirmation à laquelle il pouvait tenir, celle de l’homme ayant accompli par rapport au sien le chemin inverse : atteindre, à partir du merveilleux primitif qu’il porte en lui, le point de conscience le plus haut, en s’assimilant pour cela les plus savantes disciplines de l’art européen… »[40]

Étrange connivence entre Michel Leiris et André Breton sur le destin lumineux de Wifredo Lam :

« Son père l’appelait volontiers lucero, « étoile » ou « brillant », ce qu’on ne peut se défendre de rapprocher – même s’il n’y a là que rencontre – de cette opinion du grand ethnographe et essayiste cubain Fernando Ortiz estimant qu’on pourrait admette que « l’art de Lam est simplement un art luciférien, mais ni angélique ni diabolique, seulement “porteur de lumière”… »[41]

« Lam, l’étoile de la liane au front et tout ce qu’il touche brûlant de lucioles »[42]

Cette plongée commune aux deux hommes dans les tréfonds de la conscience, cette communion dans l’univers onirique de la pensée première où l’homme devient chimère, se fondant dans la sève végétale et la griffe animale, apparaîtra dans le lyrisme des poèmes qu’Aimé Césaire dédia à son “frère” Wifredo Lam[43].

  

II – Les grandes écritures sur Wifredo Lam

 

Aimé Césaire 

LAM ET LES ANTILLES

(Wifredo Lam, XXème siècle, n°52 Juillet 1979.

 

Ces pays roulent bord à bord leur destin de misère. Depuis des siècles. Bord sur bord leur cargaison de bêtes hagardes ou lasses. Depuis des siècles. Au grand soleil. À une grande lame Atlantique. À grandes lames de terre fruitée et d’air jeune. Et la peinture de Wifredo Lam roule bord sur bord sa cargaison de révolte : hommes pleins de feuilles, sexes germés, poussés à contre sens, hiératiques et tropicaux : des dieux.

Dans une société où la machine et l’argent ont démesurément agrandi la distance de l’homme aux choses, Wifredo Lam fixe sur la toile la cérémonie pour laquelle tous existent : la cérémonie de l’union physique de l’homme et du monde.

Engageant délibérément l’intelligence et la technique dans une aventure fabulatrice qui met à nu comme par des secousses sismiques les couches les plus lointaines de l’écorce cérébrale Wifredo Lam célèbre la transformation du monde en mythe et en connivence. La peinture, une des rares armes qu’il nous reste contre la sordidité de l’histoire. Wifredo Lam est là pour l’attester. Et tel est une des sens de la peinture riche plus qu’aucune de Wifredo Lam : elle arrête le geste du conquistador ; elle signifie son échec à l’épopée sanglante de l’abâtardissement par son affirmation insolente qu’il se passe désormais quelque chose aux Antilles Quelque chose qui n’a rien à voir avec le contingentement des sucres et des rhums, les cessions des bases, les amendements aux constitutions ; quelque chose d’insolite ; d’éminemment inquiétant pour les ententes économiques et les plans politiques et qui risque, si on n’y prend garde, de faire éclater tout ordre qui le méconnaîtrait.

Il se passe capitalement ceci que des hommes qui, de tout temps, se débattaient assaillis de doutes, de sollicitations contradictoires, incertaines, se sont, à force de tâtonnements- nerveux, d’incohérences, de fulgurances, trouvés. Et que c’est au nom de ces hommes, au nom de ces rescapés du plus grand naufrage de l’histoire, que parle Wifredo lam.

Bien entendu tout cela n’a pas été sans héroïsme.

Il fallait rompre avec de puissants amateurs de cartes postales. Rompre avec ceux qui sont nombreux à trembler qu’une razzia de l’imagination ne les vienne dessaisir de ce que leur petit bon sens a thésaurisé de bonheur lâche et de quiétude hébétée. Wifredo Lam n’a pas hésité à faire office de grand perturbateur. Parce qu’il porte en lui le secret du souffle, du germe, de la croissance, Wifredo Lam a mis le pied dans le plat des académismes et des conformismes.

En définitive, ce qui, par ses soins, triomphe aux Antilles, c’est l’esprit de création. Et cela prend une importance singulière, si on réfléchit que nulle part qu’aux Antilles le vieux problème de la forme et de l’esprit ne se pose avec plus d’acuité.

Par les soins de Lam, les formes saugrenues, toutes faites, rugueuses, ininspirées qui barraient la route, sautent aux grands soleils des dynamites. Par les soins de Lam, la forme se fait docile, donc légitime. Par les soins de Lam, l’esprit premier, je veux dire le sentiment, le rêve, l’hérédité, se projette et hallucine.

Wifredo Lam, le premier aux Antilles, a su saluer la liberté. Et c’est libre, libre de tout scrupule esthétique, libre de tout réalisme, libre de tout souci documentaire, que Wifredo Lam tient, magnifique, le grand rendez-vous terrible : avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, les graines volantes, la pluie, la liane, l’épiphyte, le serpent, la peur, le bond, la vie.

Wifredo Lam ne regarde pas. Il sent. Il sent le long de son corps blême et de ses branches vibrantes passer riche de défis, la grande sève tropicale.

Nourri de sel marin, de soleil, de pluie, de lunes merveilleuses et sinistres, Wifredo Lam est celui qui rappelle le monde moderne à la terreur et à la ferveur premières.

 

Michel LEIRIS

 

EPI OU ÉPITAPHE[44]

 

Flamme fière

et lame roide,

l’ami des sylphes et des sylphides

WIFREDO LAM

– vrai elfe ou farfadet

aux doigts frêles mais rapides –

redorait à vif

le dôme de l’âme vide

ivre du mal de vivre

ô perfide alarme,

credo viscéral

du froid et fol Hamlet

 

POUR WIFREDO[45]

 

Du caillou

l’arête

De la plante

l’épine

De la bête

les dents

De l’homme ou dieu

le pic ou la foudre

En flèche toujours

et dans l’étau de l’angle aigu

jusqu’à presque fermer ses ailes…

  

TROPIQUES et WIFREDO LAM

Tropiques, n°2, juillet 1941, p.77 :

Nouvelles : … À la Martinique :

Saluons également le passage de Wifredo Lam, l’étonnant peintre nègre cubain chez qui on trouve en même temps que le meilleur enseignement de Picasso, les traditions asiatiques et africaines curieusement et génialement mêlées.

Tropiques, n°6-7, février 1943, pp.61-62 :

Revue des revues – Correspondances.

Cahier d’un retour au pays natal

Cuba.- Nous apprenons de Cuba la publication du poème d’Aimé Césaire : « Cahier d’un retour au pays natal » traduit en espagnol par Lydia cabrera, illustré par Wifredo Lam et précédé d’une préface de Benjamin Péret dont nous reproduisons la copie :

« J’ai l’honneur de saluer ici un poète, le seul grand poète de langue française qui soit apparu depuis vingt ans. Pour la première fois retentit dans notre langue une voix tropicale, non pour agencer une poésie exotique, bibelot de mauvais goût d’un intérieur médiocre, mais pour faire éclater une poésie authentique issue des troncs pourris d’orchidées et de papillons électriques dévorant la charogne, une poésie qui est le cri sauvage d’une nature dominatrice sadique, qui mange les hommes et leurs machines comme les fleurs avalent les insectes téméraires.

Aimé Césaire ne doit rien à personne : son langage n’est qu’à lui, ou plutôt c’est le langage flamboyant des flèches de colibris zébrant un ciel de mercure. Non pas que Césaire interprète la nature tropicale de la Martinique ; il en est une partie composante, à la fois juge et partie de cette nature. Sa poésie a l’allure souveraine des grands jacquiers et l’accent obsédant des tambours du vaudou. La magie noire enceinte de poésie, en elle, s’oppose jusqu’à la rébellion aux religions des esclavagistes où toute magie s’est momifiée, toute poésie est morte à jamais.

J’ai l’honneur de saluer ici le premier grand poète nègre qui a rompu toutes les amarres et s’en va sans se soucier d’aucune étoile polaire,d’aucune croix du Sud intellectuelle, guidé par son seul désir aveugle… »

 

* * *

 

Wifredo Lam.

En octobre dernier, l’exposition à New-York des gouaches de W.Lam a eu le succès qu’elle méritait.

Voici un article de Pierre[46], – ce grand ami de Picasso, – qui fit connaître à Paris, l’œuvre de W. Lam.

« Un jour, il ya longtemps, très longtemps, un an peut-être avent cette guerre que les Américains appellent World War II , j’étais comme chaque soir à la terrasse d’un café qui s’appelait « Le Flore » dans une ville qui s’appelait Paris auprès de Picasso et son entourage familier.

Nous étions là, très serrés les uns près des autres dans cette atmosphère de malaise qui précède les cyclones, celles que sentent toutes les bêtes et quelques hommes… Picasso appela : Lam ! et je vous vis arriver, grand, très mince, vos longs bras terminés par de longues mains très fines. Votre visage d’africain dessiné par un chinois raffiné et subtil, votre épingle de tête coiffé[47] d’un moelleux casque matelassé de ouate noire ! Vous ne saviez que quelques mots de français et sembliez très intimidé. C’est ainsi Lam, que je vous connus, que je sus que vous étiez peintre. Sur l’insistance de Picasso, je visitais votre atelier.

Quand on doute ou quand on est mis en présence d’une œuvre inconnue, on cherche à étayer un jugement, à le baser et je dis à Picasso : il est influencé par les nègres ! Picasso, furieux me répondit avec brusquerie : « Il a le droit, lui « Il est Nègre ! ».

Votre art n’était pas nouveau pour moi, cependant, je l’attendais. Depuis longtemps, je vivais entouré de sculptures pahouines de crânes ornementés de masque de la Côte d’Ivoire, de fougères arborescentes des Nouvelles-Hébrides, de flotteurs sculpté de Papouasie, de fétiches désolés de l’île de Pâques. Attiré par la beauté plastique des uns, par l’invention et par le mystère étrange des autres, j’aimais toucher quelquefois avec des précautions de chat, cette magie concrétisée.

Picasso, témoin anticipateur des convulsions d’un monde, Miro, l’homme des cavernes ont appuyé, vérifié, confirmé leur vision sur ces bois mystérieux.

Ébloui par les dernières fusées joyeuses qui s’élancent des pinceaux de Bonnard et de Matisse, bouquet final d’un grand feu d’artifice. Un monde tire son chapeau et s’en va…

Depuis plus d’un demi-siècle, sournoisement, à pas feutrés, l’homme de l’Extrême-Orient d’abord, l’Aztèque et le Maya, l’Africain et le Papou s’approchent de l’homme blanc.

Degas, Lautrec, Van Gogh se penchent sur Hok’Sai et sur Outamarro ; Matisse qui les suit examine de son regard de juge derrière ses lunettes à fine monture, l’artisan de Perse, l’ornemaniste arabe. Picasso et les Fauves s’entourent de divinités des rivières du Sud, des pagnes de Nouvelle-Guinée, vivent dans une atmosphère de sorcellerie. Et pas seulement pour des raisons plastiques.

Je repars à la guerre. Après la une, la deux. Elles m’amènent exsangue, désemparé ici chez vous Lam ! Je vous retrouve toujours plus maigre, plus long, dégingandé, dressant aux cieux vos longues branches si minces. Vos yeux roulent du profond au traqué. Vos silences donnent place à une volubilité excessive.

Comme Aimé Césaire, votre frère dont vous m’avez fait connaître les cris les plus déchirants qui soient sortis d’un cœur d’homme depuis Rimbaud, ces appels sourds du tam-tam issus des profondeurs de l’homme et de la forêt, je pense Lam, que vous avez beaucoup, beaucoup à dire.

Pierre.

Havane, 4 août 1942.

 

* * *

 

Tropiques, n° février 1944, p.11

Le texte suivant signé d’Aimé Césaire, introduit la contribution de Lydia Cabréra, à Tropiques, un conte intitulé Brégantino, Brégantin (conte nègre-cubain).

 

Introduction à un Conte de Lydia Cabréra[48]

Poème au désir, à la peur, à la mort, à la puissance, à la catastrophe, à la vie ; tragédie fumante du sadisme, du complexe d’Œdipe ; drame amer d’une expérience sociale dominée par l’arbitraire et l’esclavage ; pacte d’amitié avec le soleil, la lune, les astres, l’animal, la forêt ; et surtout hymne fou à la Liberté, épitomé[49] vibrant, traversé par le grand coup de tafia poivré de l’humour, son importance n’échappera à personne.

Je dis que nous sommes en pleine poésie. Et que cette poésie – terreur et clameur – nous aide à comprendre ces animaux fantastiques, ces monstres, ces sexes, ces ongles, ces dents, ces rictus, ces choses inquiètes et perverses et tendres et chuchotées qui naissent, s’éclipsent, se hantent à même les toiles mystérieuses de Wifredo Lam, en la voix de qui je n’hésite pas à reconnaître tout le pathétique antillais délivré : Mumbo – Jumbo[50].

Grand est le mérite de Lydia Cabréra qui nous fait sentir avec une intensité rarement atteinte le vouloir-vivre, la fluidité, l’animisme

frate foco e sor l’acqua

 

 

Tropiques, n°12, janvier 1945, pp.177-184.

PIERRE MABILLE

La Junglea

 

[…] De la personne de Wifredo lam.

1902 … pendant qu’un immense souffle de liberté soulève Cuba et marche vers la réalisation de son indépendance nationale, dans la province, au milieu d’un océan de canne à sucre, à Sagua la Grande, naît Wifredo Lam. Son père est un Chinois, un homme de 77 ans, qui n’est qu’à l’apogée de son âge : il mourra en 1928, à 103 ans. Non pas un coolie, mais un personnage cultivé, écrivain public, respecté de tous ; il connaît des milliers de caractères de l’écriture la plus complexe du monde ; on vient de loin le consulter et lui demeure mystérieux et secret dans un mutisme presque absolu. Il a épousé d’abord une femme blanche qu’il a répudiée parce que stérile, suivant les couples antiques. Sa second femme est une négresse jeune, très belle, enjouée, qui lui donne neuf enfants et les comble de cette affection que réservent à leurs petits les femmes d’Afrique. Sa propre mère d’ailleurs, était née au Congo ; importée à Cuba, le hasard heureux d’un mariage avec un mulâtre aisé l’avait délivrée de la servitude.

La jeunesse de Wifredo, ce sont des allées de flamboyants qui se perdent dans les vastes étendues de cannes, la grande chaleur où dans l’air, à midi, oscillent de sourdes présences, les coins d’ombres où flottent des formes inquiétantes. Des lumières étranges passent dans les yeux des hommes qui vivent autour de l’enfant : ce sont des feux d’espérance et d’inquiétude, espérance de la liberté, désir violent de mettre fin à la séculaire oppression, désir de s’élever au rang d’homme, de participer à ce que la culture européenne impose comme idéal de beauté ; inquiétude devant les vicissitudes politiques locales, dans lesquelles, par les voies de corruption, l’oppression cherche son expression nouvelle. Certains soirs, pendant que son père a rejoint ses compatriotes au casino chinois, Wifredo entend, partis des lointains de la plaine, les échos des cérémonies par lesquelles les noirs, frères de sang de sa mère, demandent aux forces de la terre, à la puissance des herbes, un appui bienfaisant et le moyen d’assouvir leur vengeance.

Le père de Lam est un civilisé ; il sait mieux que ces Messieurs des Compagnies sucrières la valeur de l’intelligence et l’excellence du pouvoir sensible. Il laisse son fils s’engager dans la carrière de peintre, sans essayer de décourager sa vocation ; bien au contraire, il pressent que du fils jaillira la lumière et, souvent, l’appelle « Lucero ». Celui-ci commence ses études à la havane et, muni d’une modeste bourse de voyage fournie par sa ville natale, arrive à Madrid en 1923. Ce voyage était à l’époque une nécessité évidente. Malgré l’indépendance politique quelles avaient acquise si laborieusement, les républiques latino-américaines sont restées jusqu’à ces dernières années soumises à l’attraction du foyer d’origine de leur culture et à la tutelle spirituelle de l’Europe.

Le séjour de Wifredo à Madrid dure quinze ans ; je n connais par lui que les phases très générales de son évolution là-bas. L’analyse détaillée de sa vie qui y fut dramatique, mériterait d’être faite et je souhaiterais que sa femme, Hélène Lam, puisse en retenir les éléments. Il semble que dans une première période, il ait marché à la conquête de la tradition européenne avec une grande bonne volonté, une grande bonne foi et même un complet enthousiasme et que tout se soit présenté favorablement. Il se marie, a un enfant. Mais, presqu’aussitôt l’orage éclate qui anéantit ses projets d’intégration à la vie madrilène : femme et enfant meurent. Wifredo se trouve plongé dans un désespoir total ; il cesse de peindre. Rien ne l’attire plus, il voudrait comprendre mais ne sait encore que ce qu’il doit refuser : il refuse la peinture qu’il a faite, celle que l’on fait autour de lui, l’ordre social écrasant, source de son malheur. Son attitude est toute de dégoût et de révolte, de laisser-aller et de pessimisme. Il ne sort péniblement de cet état que vers 1934 ; transformé par crise intérieure, par ses lectures, il a maintenant conscience de sa réalité ancestrale qu’il n’a pas à cacher ou à trahir, qui ne comporte aucune infériorité. Il commence à s’intéresser de façon d’ailleurs imprécise, à ce qu’il appelle la « cosa negra ».

Madrid à cette époque était plongé dans une atmosphère que je me rappelle fort bien où se mêlaient l’inquiétude d’un coup d’état fasciste toujours imminent et l’immense espoir d’une conquête définitive de la liberté sociale et de la liberté humaine, atmosphère à la fois amollie par la détestable qualité des gouvernants de la république et étrangement vivifiée par la volonté de gagner la bataille que l’on pressentait à juste titre décisive […]

Il est très significatif que Lam, comme beaucoup de Cubains, comme beaucoup des fils américains de la culture espagnole, descendants des opprimés, ait, spontanément dès le premier instant, fait cause commune avec le peuple de l’Espagne dont la vie était menacée par la coalition oppressive la plus forcenée, à la plus brutale et la mieux organisée que le monde ait connue : coalition de toutes les réactions politiques et sociales contenues dans le fascisme. Et combien, hélas, la lucidité de Lam et de ses frères contrastait avec l’aveuglement des masses de l’ancien continent !

C’est à Madrid, que, pour la première fois, Wifredo voit les masques et les sculptures nègres. Pour lui, comme pour tous les Antillais de couleur, c’est par l’intermédiaire des ethnologues et des collectionneurs européens que le contact peut être repris avec l’art ancestral dont d’autres européens les ont brutalement séparés. C’est encore à Madrid, en 1936, qu’il assiste à la première exposition de Picasso, l’artiste qui devait avoir pour son évolution ultérieure une si grande importance. Les tribulations de Lam suivront pas à pas les phases de la tragédie occidentale : Madrid en guerre, Barcelone, paris en 1938, où il rencontre à la fois Picasso et le groupe surréaliste, puis la retraite sur Marseille, le pénible voyage du retour par la Martinique, Saint-Domingue et la Havane. […]

Du retour au pays natal.

Si une rencontre pouvait être émouvante, c’était bien celle qui eut lieu à Paris entre Lam et Picasso. Le Maître, dans la force de son génie et de sa gloire, encore puissamment marqué par la révélation déclenchée jadis dans sa sensibilité par l’art nègre, voyait se dresser devant lui un noir qui avait connu les valeurs occidentales, s’en était imprégné mais qui, loin d’avoir été absorbé par l’Europe, avait peu à peu repris conscience de sa personne et de ses moyens propres : un homme qui était arrivé à des formes semblables à celles qu’il avait exprimées par un chemin exactement inverse du sien. Picasso ne se trompa pas sur la valeur de Lam et celui-ci subit à son tour la séduction, le charme magnétique du Maître andalou.

Je me rappelle Wifredo à Paris, arrivant au café des « Deux-Magots », réservé, un peu gauche, agitant ses membres longs et maigres. Il venait d’Espagne et portait la trace des luttes subies. Mais il parlait peu de tout cela et nous étonnait davantage par la profondeur de sa culture dont le côté philosophique n’était pas des moins remarquables que le côté artistique. Il nous montrait des dessins d’une élégance extraordinaire, d’une liberté confondante.

Je le revois à Marseille, inquiet, cherchant comme l’aigle emprisonné les failles de la cage, puis à Ciudad Trujillo, ayant pu emporter de l’Europe en feu les quelques reproductions de Picasso , les quelques livraisons des « Cahiers d’art » et de « Minotaure », toute la richesse qu’il avait pu amasser au cours de dix-sept années de travail. Sa réintégration au pays natal n’alla sans grandes difficultés. Je regrette de n’avoir pas été près de lui pendant que, péniblement, il reprenait contact après tant d’années avec les tropiques de sa naissance.

Quand je l’ai retrouvé en, 1943, il venait de terminer l’œuvre qui, à mon avis, marque le tournant décisif de sa carrière : « La Jungle ». À tort ou à raison, je vois dans ce tableau un évènement dont l’importance peut être comparée à celle des découvertes de Paolo Uccello sur la perspective, découvertes si considérables que toute la peinture ultérieure, et avec elle toute la sensibilité occidentale, en furent influencées. Je crois devoir expliquer ma pensée. Depuis que l’homme existe, il a toujours constaté que les objets éloignés étaient vus plus petits que les objets rapprochés et que les lignes parallèles semblaient toutes converger vers un point appelé point de fuite. Si cette observation est immémoriale, la perspective européenne est, elle relativement récente ; elle consiste dans la volonté de mettre ce phénomène sensoriel en valeur et d’organiser l’ensemble de la composition autour d’un point central, (peu importe d’ailleurs que ce centre soit au milieu ou dans un des coins du tableau). Ce que l’artiste traditionnel entend par composition est justement l’organisation des différents éléments de la toile autour de ce centre ou foyer. Une pareille conception déborde infiniment le domaine de la peinture ; elle traduit l’idée générale de l’organisation du monde à partir d’un Dieu unique, de l’organisation sociale à partir d’un chef suprême. Une série de lois ou de rapports détermine strictement la position des parties de la périphérie en fonction du centre. Qu’i s’agisse du rite de la messe où tous les regards convergent vers l’officiant, de la pyramide sociale dont le sommet est le père, des manifestations de masses où le chef domine le rassemblement des cohortes disciplinées, ce sont les mêmes lois perspectives qui jouent. Ce sont d’autres lois qui règlent la composition de « La Jungle »

 

La Havane, Mai 1944.

 

Note :

a – Pierre Mabille, médecin, attaché culturel français à l’ambassade de France, à La Havane, ami de Wifredo Lam et de Breton, compagnon de route du surrréalisme. Son article, La Jungle, écrit à La Havane en mai 1944, fut d’abord publié, en langue espagnole, dans la revue mexicaine Cuadernos americanos. La version française parut en janvier 1945 dans Tropiques, puis fut reprise en espagnol, dans la revue Crónica, à La Havane.

 

André Breton

WIFREDO LAM[51] 

À la longue nostalgie des poètes

 

À la longue nostalgie des poètes, dès le XIXe siècle, à la flatterie plus concrète et plus insistante des peintres du XXe ne pouvait manquer un jour de répondre, séduite, l’âme de celle que Baudelaire appelle déjà « la superbe Afrique »[52]. Voici bientôt quarante ans que la grande déesse guinéenne de la fécondité, qu’on pouvait admirer à Paris au musée de l’homme, vint prendre rang dans l’art aux côtés des figures que nous tenons pour les plus expressives du génie d’autres peuples et d’autres âges. Dans le sillage de cette statue, l’œil moderne embrassant peu à peu la diversité sans fin des objet d’origine dite « sauvage » et leur somptueux déploiement sur le plan lyrique prit conscience des ressources incomparables de la vision primitive et s’éprit (jusqu’à vouloir par impossible la faire sienne) de cette vision.

Je me suis demandé s’il ne fallait pas voir là le secret de l’intérêt électif porté par Picasso à Wifredo Lam entre tous les jeunes peintres. Ceux que Picasso a envoyés, voire conduits en 1938 à la première exposition de Lam à la galerie Pierre l’auront vu, lui si difficile pour lui-même, porté à l’extrême de la satisfaction par ce qui vient d’un autre. Notons qu’il ne s’est pas lassé par la suite e soutenir Lam, veillant tout d’abord à ce qu’il ne manque pas pour peindre ni de lumière ou d’espace non plus que de matériaux, puis prenant en garde ses toiles laissées à Paris pour qu’elle ne disparaissent pas dans la tourmente. Il est probable que Picasso a trouvé chez Lam la seule confirmation à laquelle il pouvait tenir, celle de l’homme ayant accompli par rapport au sien le chemin inverse : atteindre, à partir du merveilleux primitif qu’il porte en lui, le point de conscience le plus haut, en s’assimilant pour cela les plus savantes disciplines, ce point de conscience étant aussi le point de rencontre avec l’artiste – Picasso – au départ le plus maître de ses disciplines mais qui a posé la nécessité d’un constant retour aux principes pour être à même de renouer avec le merveilleux.

Puisque, avec Lam, il s’agit comme jamais de peinture, la déférence me commandait de faire passer l’opinion de Picasso avant la mienne. Je témoigne avant tout de son plaisir si parfaitement informé devant de telles œuvres. Quiconque a vraiment pénétré dans le temple de la peinture sait que les initiés communiquent peu par les mots. Ils se montrent – très mystérieusement pour les profanes – tout au plus – en les circonscrivant d’un angle de main, tel espace fragmentaire du tableau et échangent un regard entendu. Cette sorte de mélomane aura tôt fait de se découvrir ici une magnifique proie.

Qu’il me suffise pour ma part de faire valoir tout ce que compte d’effusion sensible cet aspect de l’être humain issant à peine de l’idole, à demi enlisé encore dans le trésor légendaire de l’humanité et dont j’ai observé qu’on ne le goûte si bien qu’étendu, à la lisière du demi-sommeil, sous le retomber des palmes de la mémoire. L’architecture de la tête se fait dans l’échafaudage des animaux totémiques qu’on croyait avoir chassés et qui reviennent. La très petite décharge électrique du journal qu’on lisait se perd devant le hiératisme qui commande aux poses et aux contorsions millénaires.

Lam, l’étoile de la liane au front et tout ce qu’il touche brûlant de lucioles.

1941

 

WIFREDO LAM

La nuit en Haïti…

La nuit en Haïti les fées noires successives portent à sept centimètres au-dessus des yeux le pirogues du Zambèze, les feux synchrones des mornes, les clochers surmontés d’un combat de coqs et les rêves d’éden qui s’ébrouent effrontément autour de la désintégration atomique. C’est à leurs pieds que Wifredo Lam installe son « vêver »[53], c’est-à-dire la merveilleuse et toujours changeante lueur tombant des vitraux invraisemblablement ouvragés de la nature tropicale sur un esprit libéré de toute influence et prédestiné à faire surgir, de cette lueur, les images des dieux. Dans un temps comme le nôtre, on ne sera pas surpris de voir se prodiguer, ici nanti de cornes, le loa Carrefour – Elegguà à Cuba – qui souffle sur les ailes des portes. Témoignage unique et frémissant toujours comme s’il était pesé aux balances des feuilles, envol d’aigrettes au front de l’étang où s’élabore le mythe d’aujourd’hui, l’art de Wifredo Lam fuse de ce point où la source vitale mire l’arbre-mystère, je veux dire l’âme persévérante de la race, pour arroser d’étoiles le DEVENIR qui doit être le mieux-être humain.

Port-au-Prince, 9 janvier 1946.                                                                      

 

Édouard GLISSANT

L’art primordial de Wifredo Lam[54]

 

C’était dans la Caraïbe, sur l’épaule gauche des dieux. Lam, attentif à débusquer la Trace…

Wifredo Lam est à la fois comme un arbre et comme une forêt. D’abord (c’est-à-dire au moment où il vient à Cuba, au début des années quarante), il remplit la toile, ce sera un geste commun aux artistes du continent : cette étendue américaine ne ruse pas avec ses bordures, pas plus qu’avec ses profonds.

La toile pleine, où aucune échappée ne court vers des lointains, visibles ou supposés, n’est donc pas un enfermement. Poétique de la végétation totale. L’art ne tissera pas ici un espace de la profondeur (jusqu’à ce vertige allusif du tableau dans le tableau, comme il en est chez Vélasquez), il multipliera des espaces en extension totale, et enroulé sur eux-mêmes.

 

Le peintre découvre aussi une multiplicité, qui avait pris corps dans la caraïbe et s’était le plus souvent développée à partir du peuplement nègre. Réhabilitation des formes africaines saisies non pas dans une convention du représenté, mais à même de ce mouvement qui les aura transmutées dans les terres nouvelles de leur diaspora. Voyez les triangles aux yeux stupéfaits qui se losangent en boucliers, les poussées de mil encornées de lunes, ces anthologies anatomiques et ces panthéismes : obstination de pieds nappés dans la terre, visages grands ouverts sur le spectacle aveugle du monde, inclinaison sumérienne des bustes vers des chœurs de divinités qui vous hèlent leur confidence.

L’homme dominé avait apposé là son génie, tout simplement sa capacité à retrouver la Trace…

La peinture de Lam n’est ni nègre, quand même elle a retrouvé la Trace, ni chinoise, ni amérindienne ni hindoue, ce serait là tout au plus un beau folklore, ni « universelle », ce serait une plaisante vacuité, une élégante suspension dans un non-lieu sans vertiges. La peinture de Lam lève en nous le lieu commun des imaginaires des peuples, où nous nous renouvelons sans nous altérer. Elle exerce une synthèse irréductible de toutes les postures des humanités, dieux et démons, humiliés, offensés. Elle ouvre sur tout le possible.

Lam considère les figures, les bras, les jambes, mains et pieds, les chevelures, la posture, il prend en compte, avent tout paysage et toute habitation, le corps immémorial, qui s’est distribué en tant que représentations dans tant de cultures du monde, pour lui ce sont des lunes sempiternelles, troncs et souches, racines et adventives, liane (« Lam. L’étoile de la liane au front », AndréBreton, 1941), mais proposées loin de tout désordre. La violence du monde n’et pas à copier tout simplement, aucune imitation littérale n’en saurait capter les flux.

Ces lianes font rite et flamboient fixement.

Chaque toile de Lam est ainsi une cérémonie des premiers temps. Chaque métamorphose des corps (de la forme indienne à l’africaine, de celle des dieux à celle des hommes) est un tableau de genre du mystère. Chaque transmutation «apporte » aux autres moments de cette alchimie, où ces corps se renouvellent. Nulle perspective : l’instantané du transfert. C’est ce que le peintre appelle « un symbolisme réfléchi ».

Symbolisme, parce que nous procédons par là d’un réel manifesté à un réel caché, oblitéré qu’il faut soumettre à vue. Réfléchi, parce qu’il s’agit d’ausculter longuement le Tout-Monde et sa Relation imprédictible (comment est-ce faisable en peinture ?), et que les humanités si longtemps dévirées de leurs vrais lieux, par tant d’aveuglantes forces, aient à s’y trouver sans se perdre. C’est là notre Poétique.

Raisons pourquoi Lam va droit aux corps, par le travers desquels il désigne les paysages, dont il lèvera parfois les hauts rideaux bruissants. Nous répondons à la question, à peine l’avons-nous posée : oui, il est possible en peinture, et aussi bien en sculpture, de nommer la Relation. Par cette symbiose des représentations patentes ou cachées des peuples (connus ou inconnus), et sans que l’artiste ait à en dédaigner aucun désormais.

L’ « universel », quand et si nous voulons en parler, n’est en rien une valeur ni une sublimation, c’est la quantité totalement réalisée de ces représentations.

Tout cela s’apaise et s’alentit, sans s’alourdir, durant la première période, celle d’Albisola Mare, de la famille, Lou et les enfants, et à nouveau de paris. Si alors et depuis longtemps Lam ne remplit plus la toile de matières entassées ou de profonds opaques, si l’espace de celle-ci est souvent d’évanescence et de transparence, il n’abdique pourtant pas l’obstinée présence qui gravit la hauteur et suit la trace et se méfie des allusions de la perspective et se garde des orgueils de la profondeur.

Sur cette épaule des dieux, l’œuvre de Wifredo Lam est une épure enluminée de tous les possibles du monde.

III – Césaire et Lam : une fraternité caraïbe

 Les poèmes

Les liens fraternels qui lièrent Aimé Césaire et Wifredo Lam depuis leur rencontre en 1941 jusqu’à la mort du peintre en 1982, se concrétisèrent par une inspiration mutuelle et des échanges affables et permanents. Citons :

– En 1943, trois dessins de Wifredo Lam dans le Cahier d’un retour au pays natal, dans sa traduction espagnole par Lydia Cabrera[55].

– En 1947, seconde publication du Cahier d’un retour au pays natal, illustré en frontispice par une gouache de Wifredo Lam datant de 1939 et appartenant à Aimé Césaire.

– en 1946 : Les Armes miraculeuses d’Aimé Césaire sont publiées avec deux poèmes dédicacés à Wifredo Lam : Tam-tam II (Les armes miraculeuses)et À l’Afrique (Soleil cou coupé). Ce dernier recueil, Soleil cou coupé, porte sur la première de couverture l’image d’une tête coupée, statuette africaine d’origine mbédé, initiative de Wifredo Lam.

– En 1982, publication du porte-folio Annonciation comportant dix poèmes d’Aimé Césaire dont sept illstrés par des eaux-fortes aquatintes de Wifredo Lam, à Milan.

 

Rappelons les poèmes où apparaît Wifredo Lam[56] :

* À l’Afrique (là où l’aventure garde les yeux clairs…devenu Prophétie, Les armes miraculeuses)

* Tam-tam II

* À L’Afrique (Paysan frappe le sol de ta daba…, Soleil cou coupé)

le recueil Annonciation comprenant dix poèmes :

* Wifredo Lam…

* conversation avec Mantonica Wilson

* genèse pour Wifredo Lam

sept poèmes, titres des sept eaux-fortes aquatintes de Wifredo Lam, réalisées en 1979 et éditées par Giorgio Upiglio, Grafica Uno, Milan 1982 et intitulées :

* connaître dit-il,

* façon langagière

* passages

* rabordaille

* que l’on présente son cœur au soleil

* insolites bâtisseurs

* nouvelle bonté

 

À l’Afriquea

à Wifredo Lam

 

là où l’aventureb garde les yeux clairs là où les femmes rayonnent de langage là où la mort est belle dans la main comme un oiseau saison de laitc là où le souterraind cueille de sa propre génuflexion un luxe de prunelles plus violent que des chenillese là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétauxf là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d’une ruche plus ardente que la nuitg là où le bruit de mes talons remplit l’espace et lève à rebours la face du temps là où l’arc-en-ciel de ma parole est [57]chargé d’unir demain à l’espoir et l’infant à la reine, d’avoir injuriéh mes maîtres mordu les soldats du sultan d’avoir gémi dans le désert d’avoir crié vers mes gardiens d’avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes

je regarde

mais[58] la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant de la scène ourle un instant la lave de sa fragile queue de paon puis se déchirant la chemise s’ouvre d’un coup la poitrine et je la regarde en îles britanniques en îlots en rochers déchiquetés se fondre peu à peu dans la mer lucide de l’air où baignent prophétiques[59]ma gueule ma révolte mon nom.

paysan frappe le sol de ta daba

dans le sol il y a une hâte que la syllabe de l’évènement

ne dénoue pas

je me souviens de la fameuse pestea qui aura lieu en l’an 3000[60]

il n’y avait pas eu d’étoile annoncière

mais seulement la terre en un flot sans galet pétrissant d’espace

un pain d’herbe et de réclusion

frappe paysan frappe

le premier jour les oiseaux moururentb

le second jour les poissons échouèrent

le troisième jour les animaux sortirent des bois

et faisaient aux villes une grande ceinture chaude très forte

frappe le sol de ta daba

il y a dans le sol la carte des transmutations et des ruses de la mort

et dans le vent griot des concordes

la haute navigation de cavale des promesses du mauvais œil

frappe pour la femme sans ombre et sans poussière pour la route faiblement obsidienne où la jolie main du hasard se crispe sur la pomme de la canne à journée

pour le tour du monde où l’aventure une à une contre les arbres brise les sutures la soif nos armes et pose sur son cou inconnu une tête rouleuse à bec d’oiseau

frappe

il y a au pied de nos châteaux-de-fées pour la rencontre du sang et du paysage la salle de bal où des nains braquant leurs miroirs écoutent dans les plis de la pierre ou du sel croître le sexe du regard paysand pour que débouche de la tête de la montagne celle que blesse le vent

pour que tiédisse dans sa gorge une gorgée de clochese qui se parfilent en corbeaux en jupes en perceuses d’isthme

pour que ma vague se dévore en sa vague et nous ramène sur le sable en noyés en chair de goyaves déchirées en une main d’épure en belles algues en graine volante en bulle en souvenance en arbre précatoire

soit ton geste une vague qui hurle et se reprend vers le creux des rocs aimés comme pour parfaire une île rebelle[61] à naître

il y a dans le sol demain en scrupule et la parole à changer aussi bien que le silence

et j’emmerde ceux qui ne comprennent pas qu’il n’est pas beau de louer l’Éternel et de célébrer ton nom ô Très-Haut

car tu n’as ni la force luisante du buffle ni la science mathématique de l’ibis

ni la patience du nègre

et la bouse de vache que tu roules avec moins d’adresse que le scarabée

le cède en luxe aux mots noués sous ma langue

Éternel je ne pense pas à toi ni à tes chauves-souris

mais je pense à Ishtar mal défendue par la meute friable de ses robes que chaque parole zéro des luettes plus bas vers où feignent de dormir les métaux avec leur face encline

le quatrième jour la végétation se fana

et tout tourna à l’aigre de l’agave à l’acacia

en aigrettes en orgues végétales

où le vent épineux jouait des flûtes et des odeurs tranchantes

frappe paysan frappe

il naît au ciel des fenêtres qui sont mes yeux giclés et dont la herse dans ma poitrine fait le rempart d’une ville qui refuse de donner la passe aux muletiers de la désespérancec

frappe le sol de ta daba

il y a les eaux élémentaires qui chantent dans les virages du circuit magnétique l’éclosion des petits souliers de la terre

attente passementerie de lamproies j’attends d’une attente vulnéraire[62] une campagne qui naîtra aux orteils de ma compagne et verdira à son sexe

le ventre de ma compagne c’est le coup de tonnerre du beau temps

les cuisses de ma compagne jouent les arbres tombés le long de sa démarche où boivent les rossignols du feu

attente

le sexe de ma compagne est l’alibi du pain que n’arrivent pas à grignoter les écureuils du tremblement de terre

frappe paysan frappe

lorsque les vautours et les daims du sang de l’homme passent changeant d’aire et de climat il y a dans le sol des mégathériums de l’invisible et du souffre[63] qui enveloppés

de leur crinière murmurante brisent l’envoûte[64] et le sceau du gravat

je me rappelle la grande peste qui dépeuplera l’ouest et les constatations des journaux savants au loin la terre et le ciel conspiraient dans la langueur économique d’un crocodile

les lèvres percés

nous tournions doux comme le grain et comme le mot retour la porte neuve de notre jeunesse sur des premières calcinées d’îles allaitées de marsouins secrets

paysan j’arbitre des tâtonnements de continents avec au cou un collier de linguams[65]

un grand poumon éponge de miracles

et les serpents qui balancent au fond de nos exils des cheveux de sycomore

enchiffre[66] d’ombre et de connaissance

paysan le vent où glissent des carènes arrête autour de mon visage la main lointaine d’un songe

ton champ dans son saccage éclate debout de monstres marins que je n’ai garde d’écarter

et mon geste est pur autant qu’un front d’oublig

frappe paysan je suis ton fils

à l’heure du soleil qui se couche le crépuscule sous ma paupière clapote vert jaune et tiède d’iguanes inassoupis

mais la belle autruche courrière qui subitement naît des formes émues de la femme me fait de l’avenir les signes de l’amitié

 

Notes :

 

a – variante : l’édition K 1948 fait suivre : qui aura lieu en l’an 3000

b – variante : l’édition K 1948 : mourront

c – variante : l’édition K 1948 fait suivre :

Frappe le sol de ta daba

il y a les eaux élémentaires qui chantent dans les virages du circuit magnétique l’éclosion des petits souliers de la terre

attente passementerie de lamproie j’attends d’une attente vulnéraire une campagne qui naîtra aux oreilles de ma compagne et verdira à son sexe

le ventre de ma compagne c’est le coup de tonnerre du beau temps

les cuisses de ma compagne jouent les arbres tombés le long de ma démarche

il y a au pied de nos châteaux-de-fées…

d – variante : K 1948 : paysan

e – variante : K 1948  fait suivre : qui se parfilent en corbeaux en jupes en perceuses d’isthmes

f – variante : K 1948 fait suivre :

et j’emmerde ceux qui ne comprennent pas qu’il n’est pas beau de louer l’éternel et célébrer ton nom ô Très-Haut

car tu n’as ni la force luisante du buffle ni la science mathématique de l’ibis ni la patience du nègre

et la bouse de vache que tu roules avec moins d’adresse que le scarabée le cède en luxe aux mots noués sous ma langue

 

Éternel je ne pense pas à toi ni à tes chauves-souris

Mais je pense à Ishtar mal défendue par la meute friable de ses robes que chaque parole zéro des luettes plus bas vers où feignent de dormir les métaux avec leur force encline

Et les serpents qui balancent au fond de nos exils des cheveux de sycomore enchiffre d’ombre et de connaissance

g – K 1948 : interligne double après oubli

 

a – Poème publié pour la première fois dans la revue Poésie 1946, n°33, juillet 1946, p.3, dédié à Wifredo Lam. Il est ici présenté dans sa forme originale, y compris la disposition typographique. Il présente d’importantes variantes par rapport aux éditions ultérieures (voir À l’Afrique, Cadastre, Soleil cou coupé).

Ce poème en prose est contemporain des Armes miraculeuses (1940-1946). Il constituait la strophe de tête du poème À l’Afrique et commençant par les vers : « là où l’aventure garde les yeux clairs / là où les femmes rayonnent de langage… » Par la suite, Aimé Césaire, jugeant peut-être, son contenu non pertinent avec le reste du poème, la déplaça pour en faire la strophe d’ouverture du poème Prophétie, publié en 1970 dans Les armes miraculeuses (édition Gallimard), le poème Prophétie,[67] lui-même remplaçant L’irrémédiable, définitivement supprimé.

Le poème À l’Afrique, portant dédicace à Wifredo Lam, sera repris et publié dans Soleil cou coupé, aux éditions “K, Le Quadrangle”, en 1948, pp.72-73.

Ces mouvements et ses multiples variations dont Aimé Césaire est coutumier, modifient la structure interne du poète et en compliquent la thématique et la compréhension.

Les points précédents sont contestés par Roger Toumson et Dominique Brebion qui écrivent :

« À l’Afrique est publié en 1948 dans le recueil Soleil cou coupé par K éditeurs. Il est maintenu dans Cadastre, Éditions du Seuil de 1961. La confusion est née de la publication par Alain Jouffroy, en 1975, dans le Nouveau Monde, du poème Prophétie sous le titre À l’Afrique. Le numéro 52 du Cahiers d’art du XXème siècle de 1979, réitère ce quiproquo »

b – le mot aventure doit être compris selon son sens archaïque ; en vieux français aventure signifie ce qui doit arriver, c’est à dire l’avenir. Nous retrouvons la racine du mot aventure dans le verbe advenir et la langue anglaise a conservé l’orthographe ancienne adventure

là où l’aventure garde les yeux clairs se comprend donc comme “là où l’avenir est clair, lumineux”.

c – saison de lait : Dans l’imaginaire césairien, le lait est la vision métaphorique de l’enfance. En effet, le petit tète le sein gorgé de lait. Un oiseau saison de lait est un oiseau dans l’enfance, un petit oiseau.

d – le souterrain cueille de sa propre génuflexion… suite métaphorique difficile à saisir. Le souterrain évoque un lieu d’ombre, de ténèbres. C’est l’endroit où vit celui qui est enfermé, privé de lumière, privé de liberté… le souterrain, c’est l’enfermement, c’est l’enfermé… C’est l’Antillais enfermé dans un monde qui l’oppresse, l’opprime, l’écrase entre les parois sombres du souterrain de l’oubli.

e – … luxe de prunelle plus violent que des chenilles…L’Antillais est asservi, il est l’esclave de ses besoins artificiels, de cette débauche consommatrice d’objets sans valeur et cet asservissement est aussi opprimant que les chaînes de l’esclavage – c’est une autre forme d’esclavage (prunelles , chenilles,voir Lexique)

f – …nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux… notre les allitérations avec la consonne labiales v : vigoureuse – vitesse – gétaux: le son v exprime, en poésie, le souffle, le glissement doux, le mouvement. Les mots vigueur et vitesse sont en accord sémantique car ils expriment une énergie mouvante.

g – Invocation nocturne dans un tableau cosmique : Au sein de l’espace, la lumière… la lumière céleste, stellaire, puis la beauté sublime de l’arc-en-ciel. La parole prophétique est un arc-en-ciel, une arche qui unit l’avenir à l’espoir et l’infant à la reine. Elle prophétise l’espérance dans l’avenir rayonnant de la Martinique, union sacrée de la justice et de la paix (symbolisées par la fonction royale), union aussi forte que celle qui unit l’enfant-roi à la reine-mère.

h – … d’avoir injurié… brutal changement de ton – à la douceur lénifiante du climat cosmique succède la tragédie terrestre de l’esclavage, de la barbarie. Le cri de révolte est lancé contre les Barbaresques, les marchands d’esclaves arabes, comme connoté par les mots sultan, désert et caravanes, la traite orientale qui cheminait à travers les déserts africains pour atteindre les ports de l’Afrique orientale, en Somalie, pour atteindre l’Arabie.

 

 

Tam-tam II

Première publication : VVV (New York), n°2-3, mars 1943.

Ce texte fait partie d’un groupe de cinq poèmes, du recueil Colombes et menfenils[68] (1945). Les cinq poèmes sont :

– Annonciation (Colombes et menfenils)

– Tam-tam I (Colombes et menfenils)

– Tam-tam II (Colombes et menfenils)

– Légende (poème inséré dans Les pur-sang)

– Tendresse (poème inséré dans Les pur-sang)

– Première publication de Tam-tam II : VVV n° 2-3, mars 1943.

– Poème traduit en anglais par Gregson Davis[69].

Variante : Dans la version Colombes et menfenils, le vers : … à grands pas de trouée d’étoiles de trouée de nuit de trouée de fruit sauvage…, devient dans toutes les éditions suivantes : … à grands pas de trouée d’étoiles de trouée de nuit…

pour Wifredo[70]

 

à petits pas de pluie de chenille

à petits pas de gorgée de lait

à petits pas de roulements à billes

à petits pas de secousses sismiques

les ignames dans le sol marchent à grands pas de trouées d’étoiles

de trouée de nuit de trouée de Sainte

Mère de Dieu

à grands pas de trouée de paroles dans un gosier de bègue

orgasme des pollutions saintes

alleluiah

Notes :

Ce poème est dédié à Wifredo Lam qui, avec Benjamin Péret et André Breton, comme déjà souligné, fit escale à Fort-de-France, en avril 1941, venant de Marseille et se dirigeant vers les côtes cubaine et américaine, à bord du cargo “Capitaine Paul-Lemerle”.

Rappelons que c’est au cours de ce bref séjour en Martinique que Césaire rencontra Wifredo Lam et que se noua une indéfectible et fraternelle amitié : … une collaboration parfaite bâtie sur des années d’amitié, de compréhension, de complicité (Lou Lam, 65,29). Outre Tam-tam II, Césaire dédia plusieurs poèmes à Wifredo Lam, poèmes publiés dans le recueil Moi, laminaire… en 1982, l’année de la mort du peintre.

L’architecture de ce poème est voisine de celle de Tam-tam I : phrases nominales brèves, un seul verbe, timidement en retrait comme égaré au milieu des mots, rythme haletant des fragments. Comme Tam-tam I, Tam-tam II commence par une anaphore, à petits pas répétée à quatre reprises et s’achève sur un cri.

Cette écriture porte la marque stylistique de l’écriture césairienne avec ses énigmes. La syntaxe est parfaite dans sa simplicité, sa cohérence et sa sécheresse rythmique. L’incohérence apparaît avec le télescopage des représentations imagières arbitraires et déroutantes : une pluie de chenilles, une gorgée de lait, des roulements à billes et une secousse sismique. Aucun lien logique ne peut s’établir entre ces quatre éléments issus de la zoologie, de la nutrition, de la mécanique et de la physique du globe.

En fait, aucun sens ne semble devoir être recherché dans ce chaos sémantique et dissonant car la signification semble résider essentiellement dans le rythme tambourinaire qui ressort avec une présence vive lors d’une lecture à haute voix. L’anaphore à petits pas est structurée avec la labiale plosive p et la palatale t, deux consommes spécifiques du rythme tambourinaire qui apparaissent dans les référents tam-tam, tambour, tobol, tabala, l’onomatopée rantanplan, etc… Les quatre premiers vers résonnent comme une batterie de tambour de garde champêtre qui, rassemblant la foule, établit le silence, capte l’attention avant de procéder à la proclamation.

Que nous annonce cette proclamation ? Une profération. Les mots sont lancés avec une violence vindicative proche du blasphème dans un espace éclaté, aux limites improbables – exemple de « transcendance vide » (Hugo Friedrich) où le cri éclate la dimension terrestre et se répand dans un espace indistinct. Le discours est dissonant, paradoxal dans son expression avec des contrastes provocants. L’igname, fruit souterrain, marche à grands pas dans le champ des étoiles. La trouée, perte de substance, se rapporte à des concepts immatériels insécables : comment trouer l’espace stellaire, la nuit, la Sainte Mère de Dieu, la parole ?

En fait, ces complexes d’images antinomiques, véritable aporie sémantique qui trouble la raison, tirent leur force de ces contradictions et créent une tension émotive d’où jaillit une vision. Le réel est disloqué, ses éléments éparpillés et ce choc de nos sens révèle des visions nouvelles, fugitives, relevant davantage de l’émotion que de la réalité objective. Cet éparpillement de la réalité visible au profit d’une vision imaginaire, assombrie est proclamée par Aimé Césaire :

Femme

tu es un dragon dont la belle couleur s’éparpille et s’assombrit

jusqu’à l’inévitable teneur des choses

(La femme et la flamme, Soleil cou coupé)

 

Ces visions nous emportent, à grands pas, à la fois dans un cosmos disloqué, troué et dans un corps humain déréglé. Les petits pas du début du poème cèdent la place au mouvement qui s’amplifie, s’accélère avec fracas, jusqu’à la marche à grands pas qui nous entraîne à la fois, dans les étoiles et dans le fond d’un gosier bègue.

trouée de Sainte Mère de Dieu…

            trouée de parole…

La Mère et la parole de Dieu sont entraînées dans le flux d’un ressentiment vindicatif, dans un cri blasphématoire qui va jusqu’à comparer ces grandes icônes religieuses à une déjection spermatique, orgasme des pollutions saintes.

 

Le poème s’achève sur Alleluia, cri d’allégresse qui se transmue en un cri d’ironie sauvage. Cet Alleluia salue le rejet de la vision chrétienne, évacuée de la conscience comme le corps évacue son sperme en un spasme orgasmique.

 

 

[1] Arthur Rimbaud, « Mauvais sang », Une saison en enfer.

[2] Pierre Mabille, « La Jungle », Tropiques, n°12, janvier 1975, p.178.

[3] Wifredo Lam, cité in : Jean-Louis Paudrat, Lam métis, éditions Dapper, 2001, p.73.

[4] Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam, Éditions Cercle d’Art, 1989, pp.29-300.

[5] Michel Leiris, Wifredo Lam, Didier Devillez éditeur, 1997, p.36. Effectivement, l’œuvre de Lam est riche en toiles d’inspiration polynésienne comme L’île de Pâques, Au centre de Pao-Pao ?, La fiancée de Kiriwina.

[6] Wifredo Lam, cité in : Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam, Éditions Cercle d’Art, 1989, p.42.

[7] Wifredo Lam, cité in : Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam, Éditions Cercle d’Art, 1989, pp. 45 et 48.

[8] Cité in : Peggy Bonnet-Vergara, La femme dans l’œuvre de Wifredo Lam – Représentations et visions ». Thèse de doctorat d’histoire de l’art – Université de Paris X-Nanterre, 2006, p.84.

[9] Varian Fry, secrétaire de l’Association pour le sauvetage des intellectuels menacés par le nazisme – voir l’excellent livre de Mary Jayne Gold, riche américaine engagée dans la lutte contre le nazisme, qui a vécu cette époque, à Marseille et relatant ces épisodes : Marseille années 40, Éditions Phébus, 2001.

[10] Il peint le tableau, La chevelure de Falmer , directement inspiré d’un personnage des Chants de Maldoror, exposé à la galerie Maeght, Le Surréalisme, Paris 1947.

[11] thèse Peggy Bonnet-Vergara, op.cit. p.122.

 

[12] Tropiques, n°2, juillet 1941, p.77 et n°10 février 1944

[13] Tropiques, n°10, février 1944, p.11.

[14] Lydia Cabrera auteur de la remarquable et monumentale étude sur les religions afro-cubaines et médecine sacrée à Cuba, La forêt et les Dieux, Éditions Jean-Michel Place, 2003.

[15] Michel Leiris, op.cit. pp.62-63.

[16] Sa femme, Lou-Laurin Lam, ses enfants, Jonas, Eskil et Timour entretiennent la flamme de la mémoire avec l’édition du catalogue raisonné de l’œuvre complet de Wifredo Lam.

 

[17] Fouchet, Max-Pol – Wifredo Lam. Éditions du Cercle d’art. 1976, pp.180 et 188.

[18] Aimé Césaire, Wifredo Lam, XXème siècle, n° LII, 1979.

[19] Dominique Brebion, GRELCA, Dir. Roger Toumson, Université Antilles-Guyane, Fort-de-France, 1995-1996.

[20] Lou Laurin Lam. Une amitié caraïbe in : Europe Aimé Césaire, n°832-833, août-septembre 1998, p.28.

[21] Dominique Brebion. Les armes miraculeuses d’Aimé Césaire et les armes enchantées de Wifredo Lam ou le dialogue du scriptural et du figural, dir. Roger Toumson, GRELCA-D.E.A. Université Antilles-Guyane, 1995-1996

[22] Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam, Éditions du cercle d’Art, 1976, p.204.

[23] Rappelons les poèmes où apparaît Wifredo Lam : À l’Afrique (là où l’aventure garde les yeux clairs…devenu Prophétie, Les armes miraculeuses), Tam-tam II, La femme et le couteau, À L’Afrique (Paysan frappe le sol de ta daba…, Soleil cou coupé), le recueil Wifredo Lam comprenant : Wifredo Lam…, conversation avec Mantonica Wilson, connaître, dit-il. Les sept poèmes suivants, genèse pour Wifredo, façon langagière, passages, rabordaille, que l’on présente son cœur au soleil, insolites bâtisseurs, nouvelle bonté, se réfèrent à l’ensemble d’eaux-fortes et aquatintes de Wifredo Lam, intitulé Annonciation édité par Giorgio Upglio, Grafica Uno, Milan 1982.

 

[24] Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam, Éditions Cercle d’Art, 1989, p.202.

[25] Michel Leiris, Wifredo Lam, Didier Devillez éditeur, 1997, p.54.

[26] souligné par Aimé Césaire.

[27] André Breton, « Wifredo Lam », Le surréalisme et la peinture III, Œuvres complètes, Pléiade Gallimard, 2008, p.556.

[28] Daniel Abadie, Lam et les poètes, Éditions Hazan, 2005, p.10-11.

[29] Cité in : Wifredo Lam, Ulrich Krempel, Repères, Cahiers d’arts contemporain, n°49, 1988, p.13.

[30] Voir analyse et commentaire du poème in : René Hénane,  Les armes miraculeuses d’Aimé Césaire, une lecture critique , « Femme d’eau-Nostalgique », L’Harmattan, 2008, pp.187-192.

[31] Cette fascination est exprimée par Masson conversant avec Breton, in : «Dialogue créole » publié aux Lettres françaises à Buenos-Aires en janvier 1942, puis repris dans Martinique charmeuse de serpents, Éditions J.J.Pauvert, 1972, pp.17-18. (Voir thèse Peggy Bonnet-Vergara, op.cit. p.149.

[32] souligné par Alain Jouffroy.

[33] Alain Jouffroy, Lam, Biblio Opus, Éditions Georges Fall, 1972, p.25.

[34] Cité in : Jacques Leenhardt, Lam, HC éditions, 2009, p.210

[35] Aimé Césaire, entretien avec Jacqueline Leiner, in : Imaginaire, Langage, Identité culturelle, Négritude, Études littéraires françaises n°10, Gunter Narr, Jean-Michel Place, 1980, p.144.

 

[36] Aimé Césaire à Georges Desportes, « Aimé Césaire, tel qu’en lui-même et par lui-même », Le Rebelle n°4, Centre césairien d’études et de recherches (Christian Lapoussinière) 1997, p.25.

[37] Pierre Mabille, Tropiques, n° 12, janvier 1945, p. 183.

[38] Souligné dans le texte.

[39] René Ménil, « Situation de la poésie aux Antilles », Tropiques, n°11, mai 1944, p.132.

[40] André Breton, « le Surréalisme et la peinture », Œuvres complètes, tome IV, Pléiade Gallimard, 2008, p.555.

[41] Michel Leiris, Wifredo Lam, Didier Devillez, éditeur, 1997, p.39

[42] André Breton, « Wifredo Lam », in : André Breton, Écrits sur l’art, Le Surréalisme et la peinture, III, Œuvres complètes, la Pléiade Gallimard, tome IV, 2008, pp.553-556.

[43] La présentation des poèmes d’Aimé Césaire relatifs ou dédiés à Wifredo Lam seront présentés selon l’ordre chronologique.

[44] Poème publié dans Repères, cahiers d’art contemporain Galerie Maeght – Lelong, n°33, 1986, p.3.

[45] Poème publié dans la revue L’Éphémère, n°19-20, hiver 1972, avec les sept eaux-fortes aquatintes, L’Annonciation de Wifredo Lam.

[46] Il s’agit de Pierre Loeb, marchand d’art français qui, le premier reconnut le talent de Wifredo Lam et exposa ses œuvres avec celles de Picasso, en 1939, à la Perls Gallery de New-York. Ami des surréalistes, André Breton, Antonin Artaud, Jean Arp, Éluard, Pierre Loeb rencontra Aimé Césaire en 1941, lors d’un séjour à la Martinique. Denise Loeb, la sœur de Pierre Loeb, se rendit à la Martinique, en 1948, à l’invitation d’Aimé Césaire. Celui-ci dédia à Pierre Loeb le poème Cheval (Soleil cou coupé)

 

[47] sic

[48] Lydia Cabréra (La Havane, 20 mai 1899 – Miami, 19 septembre 1991) Célèbre écrivain et anthropologue cubaine qui se passionna pour la culture afro-cubaine lorsqu’elle vint à Paris, en 1927, pour étudier l’art et les religions asiatiques. Elle vécut onze ans à Paris et retourna à Cuba en 1938, d’elle quitta définitivement pour l’exil pour s’installer à Madrid. Elle vécut à Miami où elle mourut en 1991. Elle traduisit en espagnol le Cahier d’un retour au pays natal, illustré par Wifredo Lam avec une préface de Benjamin Péret

Importantes contributions à la littérature, l’ethnologie et l’anthropologie. Son ouvrage le plus célèbre El Monte (La Forêt) vient d’être publié en France sous le titre La Forêt et les dieux, aux éditions Jean-Michel Place, 2003.

[49] Épitomé : précis d’histoire, abrégé d’un ouvrage historique.

[50] Mumbo-Jumbo : plusieurs sens (voir Lexique). Ici désigne une divinité de la mythologie du Congo. « Faites attention à ce que votre main fera / Autrement Mumbo-Jumbo, le Dieu du Congo… vous envoûtera » (Poème de Vacel Lindsay, cité in Jean-Claude Bajeux, Antilla retrouvée, Éditions caribéennes, 1983, p.242)

[51] « Wifredo Lam », in : André Breton, Écrits sur l’art, Le Surréalisme et la peinture, III, Œuvres complètes, la Pléiade Gallimard, tome IV, 2008, pp.553-556.

[52] Citation d’après Le cygne de Baudelaire.

[53] Vêver : terme appartenant à la religion haïtienne ; désigne le dessin symbolique tracé sur le sol par le prêtre houngan, autour du pilier central du péristyle, le poteau-mitan. Chaque dieu ou figure du vaudou possède son vèvè exprimant sa voix (voir Lexique)

[54] Texte publié in : Wifredo Lam, figures caraïbes, Catalogue de la galerie Tessa Hérold, Paris 2002, cité in : Lam et les poètes, exposition au Musée Campredon/ Maison René Char, à l’Isle-sur-la-Sorgue, juillet-octobre 2005,

[55] Ritorno al pais natal, La Havane, Molina y Cia, 1943.

[56] Dans nos ouvrages précédents, Aimé Césaire, le chant blessé et « Les armes miraculeuses »  d’Aimé Césaire, une lecture critique, nous avons évoqué et traité le poème d’Aimé Césaire La femme et le couteau (Les armes miraculeuses) comme inspiré par le tableau de Wifredo Lam, Le présent éternel (1946), œuvre monumentale où figure un être d’essence féminine armé d’un couteau. Ce tableau comporte aussi plusieurs éléments picturaux cohérents avec l’imagerie du poème de Césaire. Notre certitude est ébranlée et, malgré nos recherches, nous ne sommes pas sûr qu’Aimé Césaire ait vu cette œuvre, Le présent éternel. Nous préférons donc ne pas prendre en compte ce poème dans la série césairienne dédiée à Lam. Par ailleurs, au Musée des Beaux-Arts de Lyon figure une œuvre de Lam, intitulée La femme au couteau , 1950, don de Jacqueline Delubac.

[57] Thèse Dominique Brebion, op.cit. p.7.

[58] ms : la fumée se précipite… suppression de mais.

[59] ms : où baignent ma gueule… suppression de prophétiques.

[60] ms : qui aura lieu en l’on 3000 : supprimé dans les autres éditions.

[61] une île à naître, dans toutes les éditions ultérieures

[62] vulnéraire : Du latin vulnus, plaie, blessure – cet adjectif qualifie tout ce qui peut guérir une blessure Botanique : Plante légumineuse autrefois utilisée pour guérir les plaies (voir Lexique)

 

[63] …et du souffre, sic

[64] Envoûte : archaïsme ; du latin involvere, envelopper, entourer – désigne l’enveloppe, l’emballage., l’entourage.

[65] linguam : S’écrit aussi lingam, mot d’origine indienne : Représentation du dieu hindou Shiva, symbole phallique (voir Lexique)

[66] enchiffre : archaïsme, s’écrit enchifre, enchifrer – du vieux français chief, la tête, et frener, brider – enchiffre veut dire retenu, bridé, asservi (voir Lexique)

[67] Prophétie, lecture et analyse in : René Hénane, Les armes miraculeuses, d’Aimé Césaire, Une lecture critique, L’Harmattan, pp.265-277.

[68] Voir René Hénane, « Les armes miraculeuses » d’Aimé Césaire, une lecture critique, L’Harmattan, 2008, pp.15-16.

[69] Gregson Davis, Aimé Césaire, Cambridge University Press, 1997, pp.87-89.

[70] Il s’agit probablement du poème auquel Aimé Césaire fait allusion dans sa lettre du 22 septembre 1943, adressée à André Breton : « Je vous envoie ci-joint… le texte que j’ai envoyé à Wifredo et que vous avez en mains est un texte certainement fautif – refait de mémoire. Je vous envoie le texte initial. »