Mondes africains

Récit testimonial des enfants en détresse dans le roman francophone

« Récit testimonial des enfants en détresse dans le roman francophone : le cas de BIRAHIMA dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou KOUROUMA et de Faustin NSEGUIMANA de L’Aîné des orphelins de Tierno MONÉNEMBO »

   Résumé        

La présente étude propose un décryptage de la tragédie que vivent les personnages-enfants dans l’univers du roman francophone en examinant les différentes mises en forme de la mémoire narrative. Les récits de ces structures sociales apparaissent davantage comme des témoignages de situations réelles d’un monde chaotique. Les narrateurs-enfants semblent engouffrés. Ils sont aux prises avec leur environnement et doivent se battre pour leur survie, quitte à griller tous les feux rouges du code social. Aussi lèguent-t-ils le testament de leurs combats quotidiens dans un projet eschatologique. La tragédie qu’ils vivent se décline sous plusieurs formes, allant des maltraitances physiques jusqu’aux traumatismes psychologiques en passant par des privations, des emprisonnements. Ils s’appuient sur la mémoire qui leur permet d’exorciser un passé douloureux à travers ces récits mnémoniques. Allah n’est pas obligé[1] d’Ahmadou KOUROUMA et L’Aîné des orphelins[2] de Tierno MONÉNEMBO sont des spécimens de la tragédie des enfants dans la littérature francophone.

Mots clés : personnage-enfant ; témoignage ; sémiologie, détresse, maltraitance, mémoire.

 

Charles Sylvain ELOUNDOU MVONDO est titulaire d’un doctorat Ph/D obtenu à l’Université de Yaoundé I. Ses travaux de recherche s’intéressent essentiellement aux questions de l’enfance et d’identité dans une perspective sémiotique et comparatiste. Le récit mnémonique est son champ de prédilection, car il y explore les différentes mises en forme de la mémoire des narrateurs-enfants pour comprendre le monde adulte. Par ailleurs, il est enseignant de lettres au Lycée bilingue d’Étoug-Ébé (Yaoundé).

Introduction

Le personnage de l’enfant constitue une curiosité dans le roman francophone de par les rôles et missions que les écrivains lui assignent. Il a tantôt la responsabilité de porter haut les préoccupations d’une catégorie sociale, l’enfance, tantôt celle de ramener les adultes sur les traces de leurs premiers pas. Dans ce cas de figure, l’enfance devient source d’inspiration et présente l’image de l’enfance-source[3]. Ce petit être en devenir convoque sa mémoire pour atteindre pleinement la mission à lui assignée. Mais il faut bien se rappeler que c’est l’auteur adulte qui écrit dans la posture de l’enfant. D’ailleurs, Françoise DOLTO permet de comprendre ce transfert de compétence narrative entre l’auteur-adulte et le narrateur-enfant en ces termes : « dans la littérature du souvenir, dans les ouvrages de mémoires, l’enfant n’est que projection de l’adulte. »[4] Il est clair que l’auteur choisit un canal par lequel on peut reconnaître une certaine efficacité dans la restitution des faits passés. Ce choix est aussi justifié par une certaine littérature qui présente l’enfant comme l’artisan de la vérité. Jean-Paul Sartre souscrit à cette thèse quand il déclare : «la vérité sort de la bouche des enfants. Tout proche encore de la nature, ils sont les cousins du vent et de la mer. Leurs balbutiements offrent à qui sait les entendre des enseignements larges et vagues. »[5]  On peut comprendre que le personnage-enfant est le moyen indiqué pour faire tomber toutes les hypocrisies qui masquent les graves blessures dont souffrent les sociétés et leurs membres.

Mais on ne doit pas perdre de vue que les enfants mêmes sont souvent de dangereux manipulateurs, capables de mettre les adultes en difficultés. Dans ses rapports avec l’adulte, l’enfant viole souvent les barrières naturelles et traditionnelles pour se positionner dans la communauté. Cet état de choses peut être justifié par les considérations controversées dont cet « humain à humaniser »[6] a souvent fait l’objet. Dans la littérature médiévale, les enfants étaient considérés comme des êtres démoniaques dont il fallait se méfier. Les qualificatifs les plus dévalorisants ont été utilisés pour le désigner. Françoise DOLTO propose certains clichés de cet être en devenir en ces termes :

   Dans la littérature médiévale de l’Europe occidentale, l’enfant a eu la place du pauvre sinon du pestiféré, du paria. C’est la volonté de l’Église. Les textes de clercs rappellent que l’enfant est un être dont il faut absolument se méfier parce qu’il peut être le siège de forces obscures. Le nouveau-né appartient encore à l’espèce inférieure et il est encore à naître à la vie de l’esprit. Il porte la malédiction de l’homme chassé du paradis. Il paye pour les vices des adultes, comme s’il était toujours le fruit du péché. Les termes dont on use à son égard sont méprisants, voire injurieux. [7]

     Il ressort clairement de cette déclaration que l’enfant est un être dont les adultes se méfient et qui ne peut par conséquent faire l’objet de quelque considération que ce soit. Peut-on alors lier la tragédie que vit cette structure sociale dans la littérature francophone à ces antécédents historiques ? Cette tragédie peut-elle se justifier par les conjonctures et autres conflits qui émaillent cet environnement ? Quels types de rapports découle-il de cette situation ?

En réponse anticipée, on peut établir que le personnage de l’enfant dans le roman francophone est victime des crises et conjonctures de son milieu de vie. De cette hypothèse générale découlent deux hypothèses secondaires : le personnage de l’enfant, à travers son récit testimonial, mobilise les ressources mnémoniques pour exorciser les forces qui l’écrasent. Il entre en conflit avec le monde adulte pour atteindre ses objectifs. Le recours à la mémoire ne relève pas du simple souci de narration des faits, mais de celui d’éduquer la société contre des tragédies avenirs.

Pour mieux analyser cette situation de détresse que vivent les personnages-enfants dans Allah n’est pas obligé dAhmadou KOUROUMA et L’Aîné des orphelins de Tierno MONENEMBO, nous trouvons judicieux de convoquer la sémiotique du personnage. Cette approche permet de procéder à une investigation complète des trois aspects que sont : la figuration, l’anthropomorphisation et la projection qui permettra de comprendre davantage les raisons d’une telle cabale contre un être sans défense comme le recommande Philippe HAMON[8]. La sémiotique du personnage permet aussi de décrypter les différentes mises en forme de la mémoire narrative. Elle rend possible l’identification des facteurs ayant quelque lien avec la mémoire, réceptacle des souvenirs. Cet aspect est d’autant plus intéressant que le personnage-enfant recourt à sa mémoire pour susciter de l’émoi dans l’opinion générale et faire agir dans le sens de stopper de telles pratiques sur des êtres sans défense.

Cette étude va d’abord s’intéresser aux formes du tragique dans les deux romans choisis, ensuite elle sera consacrée aux manifestations de la détresse et elle va se refermer sur la signification du tragique chez KOUROUMA et MONENEMBO.

  1. Les formes du tragique dans Allah n’est pas obligé et l’Aîné des orphelins

Allah n’est pas obligé et l’Aîné des orphelins appartiennent au sous genre de roman de l’enfance tragique et ironique. Ces deux romans sont semblables aux reportages des tribulations d’enfants aux prises avec des forces qui les écrasent comme des machines sans le moindre sentiment. Les personnages-enfants qui convoquent leur mémoire pour rendre témoignage de ce qu’ils vivent, transposent tous les abus et humiliations dont ils sont victimes dans leur environnement. Ces deux romans restent fidèles à ce sous genre, car ils racontent non seulement les misères de l’enfance au contact d’une société instable, mais aussi les relations tumultueuses qui découlent de sa rencontre avec l’adulte. La tragédie se décline alors sous plusieurs visages qui meublent les instances narratives.

1.1-La souffrance physique

La souffrance physique désigne l’ensemble des sensations pénibles, des turpitudes, des douleurs et déchirements qui se manifestent sur le corps de la victime en accentuant son déséquilibre physique. Elle peut être infligée par un groupe dans une intention précise ou par un autre personnage qui voudrait par cet acte imposer sa volonté à ses victimes. Elle est donc, dans le cas de cette étude, conséquence des violences perpétrées sur les personnages-enfants. Elle traduit manifestement la tragédie perceptible dès les incipit comme on peut le lire d’abord dans Allah n’est pas obligé : « Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas ».[9] Cet introït résonne comme un détonateur qui répand son funeste contenu. C’est l’expression du ras-le-bol d’un enfant excédé par les épreuves de la vie. Il concède même à Allah le droit de rester indifférent à tous ces bouleversements que connait le monde qu’il a si bien créé. Ensuite dans L’Aîné des orphelins, la phrase seuil : « Je n’en veux pas au sort [10]», est révélatrice du drame que vit le narrateur qui choisit d’en prendre acte.

La souffrance physique est déjà bien présente dans l’univers de KOUROUMA où les pratiques traditionnelles telles que l’excision et la circoncision traumatisent les petits enfants. S’agissant de l’excision, elle renvoie à une pratique traditionnelle et rituelle qui est un véritable moment de torture physique pour les petites filles. Elle concerne toutes les jeunes filles vierges destinées plus tard au mariage. Pendant cette cérémonie rituelle particulièrement dangereuse et douloureuse, les adultes qui s’en chargent s’adonnent à cœur joie. On comprend dès lors que les auteurs de la souffrance physique des enfants s’efforcent à légitimer leurs actes et à les justifier. Dans le cas sus-évoqué, la tradition est brandie comme argument d’autorité qui balaie tout reproche ou procès à l’encontre des exciseuses.

Douloureuse, l’excision n’est pas moins un rite mortel. La souffrance atroce des jeunes filles infortunées côtoie par moment la mort durant cette pratique moyenâgeuse, soit parce que l’âge des jeunes victimes ne leur permet pas de supporter la douleur aiguë qui les tenaille, soit enfin parce qu’elles perdent beaucoup de sang durant l’ablation fatale. C’est le cas de la jeune Batifimi, mère du narrateur d’Allah n’est pas obligé, qui a failli mourir sur la place de l’excision comme l’illustre ce passage : « On a coupé quelque chose à ma mère, malheureusement, son sang n’a pas arrêté de couler. Son sang coulait comme une rivière débordée par l’orage… Donc maman devait mourir sur l’air de l’excision. »[11] On le voit bien, les sujets excisés ressentent une douleur indescriptible du fait de la tradition qui ne peut justifier le bien fondé de cette pratique. Certaines victimes payent de leur vie. Celles qui s’en sortent restent à jamais traumatisées.

Si la souffrance physique occasionnée par l’excision est légitimée par la tradition, les autres formes de violence que subissent les personnages-enfants dans leurs différents milieux sont injustifiées et inexplicables. Les victimes ne connaissent aucune forme d’épanouissement. Certaines sont même exposées à la mort. Dans le cas des romans choisis pour cette analyse, les personnages-enfants sont victimes des crises sociales que connait leur milieu de vie. Le narrateur d’Allah n’est obligé est enrôlé de force dans les différentes brigades des enfants-soldats au grand dam des dispositions naturelles et législatives qui protègent les enfants de son âge, lui qui n’a que huit ans. La crise aidant, l’autre forme d’encadrement est de les occuper, quitte à les détourner de leur destinée. On peut lire avec désolation ce témoignage de Birahima : « Là-bas, il y a la guerre tribale. Là-bas, les enfants de la rue comme moi devenaient des enfants-soldats qu’on appelle en pidgin américain small-soldiers. »[12]

Cette déclaration pleine de naïveté témoigne à suffisance de la situation de précarité que vivent les personnages-enfants, premières victimes de la guerre civile. Birahima ressasse les accidents, parfois mortels, auxquels sont exposés les enfants-soldats qui manipulent des engins explosifs tels que des mines anti-personnelles. Quand on y a passé sa vie, on s’en sort avec de graves mutilations des membres. L’un des enfants-soldats en a fait la triste expérience et son camarade narrateur en témoigne en ces termes :

     Kik avait sauté sur une mine. Le spectacle était désolant. Kik hurlait comme un veau, comme un cochon qu’on égorge. Il appelait sa maman, son père, tout et tout. Sa jambe droite était effilochée. Ça tenait à un fil. C’était malheureux à voir. Il suait à grosses gouttes et il chialait : « je vais crever ! Je vais crever comme une mouche. »[13]

L’expression de la douleur physique atroce est sans ambiguïté dans cet extrait. Il apparait dès lors que les enfants-soldats ne bénéficient d’aucune protection. Bien au contraire, ils ne sont pas mieux traités que du bétail à l’abattoir. La comparaison faite avec un cochon qu’on égorge est suffisamment éloquente. La souffrance physique s’intensifie et devient à la limite insupportable. Ces amputations occasionnent parfois la mort du fait de l’hémorragie qui en résulte.

Comme on peut le souligner, la situation du personnage enfant est bien sombre, malheureuse, et désespérée. Ce dôme est aux prises avec des forces qui l’écrasent littéralement. Il faut aussi relever que ces clichés sombres de la situation des enfants n’est pas l’apanage d’Allah n’est pas obligé. On pourrait même dire que L’Aîné des orphelins lui dispute la vedette.

Les personnages-enfants victimes des souffrances physiques sont dans la plupart des cas condamnés à des peines privatives de liberté et dans le cas pratique du narrateur de L’Aîné des orphelins, Faustin NSENGHIMANA, il est condamné à la peine capitale depuis l’âge de dix ans. Cette privation de liberté est consécutive à la crise sociale qu’a connue le Rwanda en 1994. Le pauvre petit garçon qui a pris part au génocide doit payer pour ses crimes comme l’illustre cet extrait : « Je m’appelle Faustin, Faustin Nsenghimana. J’ai quinze ans. Je suis dans une cellule de la prison centrale de Kigali. J’attends d’être exécuté. »[14]

     L’univers carcéral dans lequel Faustin évolue l’expose à plusieurs formes de souffrance physique du fait de la promiscuité ; de la drogue ; de la violence qui est le principal mode de résolution des malentendus entre détenus. Les détenus sont entassés dans les cellules où facilement ils peuvent contracter une maladie. Ils vivent comme en enfer tel que le démontre ce témoignage :

Ma cellule porte un numéro : le 14. Nous sommes une trentaine dans cet abominable réduit coincé entre le numéro 12 et le numéro 15. (…) Au club des minimes, on n’a pas une chance sur deux d’attraper une mycose, une tuberculose ou un coup de couteau au ventre. On l’attrape un point c’est tout, en général avant deux mois, et il n’est pas rare que tout cela vous arrive dans la même foutue semaine.[15]

   On voit bien que les pensionnaires de la prison vivent toutes sortes de souffrance physique pouvant entrainer leur déséquilibre. En dehors des brutalités qui sont régulièrement servies par les gardes, les codétenus, pour assurer leur survie, recourent régulièrement à la violence. C’est la loi de la jungle qui prévaut, car les plus faibles sont à la merci des plus forts. Faustin n’en a pas été épargné comme l’illustre le témoignage ci-après : « Ayirwanda s’avança vers moi avec son gourdin et son poing américain. Je crus que mon œil s’était détaché de mon orbite et que mes côtes étaient parties en morceaux. Je refusai néanmoins de vider le seau hygiénique sans que ce soit mon tour et de me soumettre à ses caprices sexuels. »[16]

Comme on peut s’en rendre compte, la moindre désobéissance est punie avec la dernière énergie. Nul n’a le droit de contester les ordres du plus fort. Faustin l’a appris à ses dépens, lui qui a régulièrement le visage amoché par les bastonnades qu’il encaisse dans sa cellule comme l’atteste cet autre témoignage : « le bougre, il me saisit par les deux oreilles et me leva, mes pieds à la hauteur de sa poitrine (…). Ses grosses mains s’abattaient sur mon front et ses genoux cognaient dans mon ventre… »[17] Cet extrait illustre à suffisance le calvaire que vit le personnage de l’enfant dans sa prison. Il faut tout de même relever que le narrateur n’est pas le seul à vivre les affres de ce monde déshumanisant. D’autres personnages-enfants plus jeunes et plus faibles ont fait l’amère expérience. Et le narrateur s’appesantit sur les conséquences fâcheuses qui découlent de ces maltraitances sur les victimes. Le témoignage ci-après en est une illustration éloquente : « Agide, qui partage ma natte, a les couilles en compote. Quand la lumière du soleil arrive à percer les lézardes du mur, on peut voir ses boules qui flottent dans le pus et les vers blancs qui lui grouillent entre les jambes. »[18]

On voit dès lors que les souvenirs relevant de l’univers carcéral sont marqués du sceau de la tristesse. Ce qui confirme la thèse que la prison n’est pas un monde pour enfant. Elle constitue même un facteur dégradant des droits de ce petit être à qui on vole délibérément l’enfance et la joie de vivre.

Au nombre des indices de la souffrance physique dans l’univers de KOUROUMA, on peut retrouver la misère. Les enfants vivent en effet une extrême pauvreté qui va jusqu’à la privation des choses indispensables à la vie. Le premier besoin primaire échappant gravement à cette structure sociale reste indubitablement la nutrition. Peu ou très mal nourri, la seule planche de salut du personnage-enfant affamé qui se bat désespérément contre la mort est l’indécence. Il ne se sent plus l’obligation de se soumettre aux règles édictées par la morale. Aussi se livre-t-il au pillage et au chapardage pour survivre. L’extrait ci-après est fort édifiant : « Mais on bouffait mal, alors là, très mal. Du manioc bouilli et pas en quantité suffisante. (…) Avec les copains, nous avons fait la débrouillardise. Nous avons pillé et chapardé de la nourriture. »[19]

Or des dispositions législatives et des conventions relatives aux droits des enfants prévoient qu’ils soient protégés en toutes circonstances. Comme pour s’opposer à ces dispositions, les événements et les conjonctures de toute nature ne leur accordent aucun traitement de faveur. La misère est partout présente, menaçante et foudroyante. Ainsi, si certains small-soldiers se livrent au pillage et au chapardage pour atténuer l’indigence, les autres, moins pudiques, sombrent dans la mendicité et la prostitution. Leur capital dignité prend un autre coup des plus insupportables. En se livrant aux adultes pédophiles, les enfants désespérés s’accrochent à tout ce qui peut leur procurer une lueur d’espoir, fût-il illusoire.

La souffrance physique apparait aussi sous la forme du viol. Défini comme une relation sexuelle effectuée contre le consentement de l’une des parties prenantes de l’acte, le viol est évoqué dans la mésaventure des small-soldiers qui inondent les champs de conflits. La pratique établit un rapport de force entre un bourreau et une victime. Le viol fait partie des exactions inhumaines qui volent non seulement l’innocence et la pureté des personnages-enfants, mais détruisent aussi leurs rêves de bonheur. C’est le cas de la petite Sarah, violée par un adulte d’une barbarie démentielle :

 Il offrit des bonbons, et d’autres friandises à Sarah. Sarah le suivit de bonne foi vers les halles, loin de toute habitation. Là, il déclara à Sarah qu’il allait lui faire l’amour en douceur sans lui faire du mal. Sarah eut peur, se mit à courir et à crier. Le monsieur plus rapide et plus fort attrapa Sarah, la renversa, la maîtrisa au sol la viola. Il alla si fort que Sarah fut laissée comme morte.[20]

D’autres petites filles sont aussi malheureusement victimes de cette ignominie que les personnages-adultes leur infligent sans façon. Certaines sont même assassinées comme on peut le lire dans le témoignage ci-après : « Donc un matin, au bord de la piste menant à la rivière, une des filles fut retrouvée violée et assassinée. Une petite de sept ans, violée et assassinée. »[21] Cet extrait traduit à suffisance la méchanceté du personnage-adulte vis-à-vis des personnages-enfants dont la tragédie prend toutes les formes les plus ignobles.

L’abandon des enfants fait partie des composantes de la tragédie que vivent les personnages-enfants dans les univers de KOUROUMA et MONENEMBO. Les victimes, désaffectées par leurs géniteurs ou devenues orphelins, s’exposent à beaucoup d’autres problèmes. Le narrateur de L’Aîné des orphelins et ses frères ont subi cette forme d’humiliation. Ils ont été délibérément abandonnés par leurs parents qui sont allés chacun de son côté sans le moindre remords. C’est désormais à lui l’aîné qu’incombe la responsabilité de la protection de ses cadets ainsi que l’illustre l’extrait ci-après : « Ils étaient couchés en quinconce à même le sol, plus mal fichus que je ne l’imaginais. Il était impropre de dire qu’ils avaient maigri, ils auraient plutôt rétréci, seraient redevenus les enfants que j’avais connus. J’avais neuf ans, Esther sept, Donatienne quatre, Ambroise deux. »[22] La souffrance est à son comble et la tragédie des personnages-enfants prend les proportions les plus déconcertantes.

Le personnage-enfant de l’univers de MONENEMBO est aussi sous l’emprise de la misère. Sa nutrition n’est pas la préoccupation des adultes qui ont naturellement le devoir de sa protection. Il doit alors se battre comme il peut, quitte à violer les exigences de la morale. C’est le cas de ces mineurs remplis dans les prisons de Kigali. Ils mangent à peine ou presque pas du tout. Mais ils doivent vivre et pour cela, ils se livrent à des actes indignes et répréhensibles ainsi qu’on peut le lire : « Un matin, je me faufilai dans le poulailler, tordis le cou à une dizaine de poulets que je cachai dans les sacs de jute dans lesquels Bizimungu mettait sa fournée de pain. »[23] L’enfant exaspéré en arrive à commettre des actes ignobles et compromettants, toutes choses qui le dégradent et le déséquilibrent.

La souffrance physique apparaît donc comme une forme de la détresse des êtres fragiles, transformés en suppliciés et martyrs innocents par des personnes dont la responsabilité est pourtant de les protéger des difficultés de la vie. On peut dès lors comprendre pourquoi les romans relevant de ce sous genre sont un accablant réquisitoire contre l’attitude ignominieuse de certains personnages-adultes, leur cruauté vis-à-vis des personnages-enfants. Le calvaire de Birahima, enfant-soldat à « 10 ou 12 ans » ; de Faustin Nséghimana, alors qu’il venait d’avoir 10ans et les autres formes de souffrances physiques subies par les différents personnages-enfants qui s’y trouvent sont suffisamment éloquents pour marquer les mémoires. Dès lors, cette instance narrative s’assigne de nobles missions qui vont au-delà de la simple restitution des faits passés comme le suggère Philippe Barrière (cité par Pierre Nora) :

   La mémoire est aussi volonté d’ancrer le passé dans le présent, de l’insérer à des fins sociopolitiques utilitaires. Ce passage du poids du passé conduit forcément à un usage de la mémoire qui, subitement, se mue en mémoire reconstruction (…) Cette reconstruction est permanente et se déplace au gré des circonstances de temps.[24]

   Cette réflexion établit l’importance de la mémoire qui permet d’anticiper et prévenir certaines dérives irréparables sur des êtres fragiles et sans défense. On le voit bien, la mémoire peut aussi jouer un rôle cathartique, car raconter des souvenirs douloureux peut permettre au narrateur de se refaire une nouvelle santé et en ressortir tout nouveau de cette épreuve de la souffrance. Faustin n’en dit pas le contraire lorsqu’il déclare : « C’est en prison qu’on se rend compte que les souvenirs servent à quelque chose. »[25]

Si le souvenir de la souffrance physique reste vivace dans la mémoire, les autres formes de détresse marquent aussi cette instance du souvenir et parfois de façon indélébile. Il apparait donc opportun de décrypter les autres déclinaisons de la détresse dont le personnage-enfant est victime dans les univers de KOUROUMA et de MONENEMBO.

1.2-L’expression de la réclusion

Elle désigne l’ensemble des douleurs et afflictions qui affectent considérablement l’état psychologique d’un être humain. La souffrance psychologique est le plus souvent la conséquence immédiate de la souffrance physique, car les meurtrissures vives, les douleurs âpres vécues sur le plan physique se prolongent sur le plan moral. Cette autre forme de souffrance peut avoir des motivations endogènes et des motivations exogènes. Dans Allah n’est pas obligé comme dans L’Aîné des orphelins, la souffrance morale se vit sous forme de tristesse et de remords.

Allah n’est pas obligé et L’Aîné des orphelins présentent étrangement des situations similaires d’enfants-soldats, d’enfants emprisonnés du fait de leur participation au génocide. Dans un cas comme dans l’autre, ces personnages ont vécu des traumatismes qui les ont marqués au point d’en constituer des souffrances morales.

La tristesse peut naître de toute situation de nature à déséquilibrer le personnage de l’enfant. Certains, abandonnés par leurs parents ou orphelins, se retrouvent dans un manque d’affection qui leur porte un sérieux coup. Les regrets qui se multiplient témoignent de la détresse pouvant fragiliser ce petit être. C’est le cas de Birahima qui, comme plusieurs autres enfants-soldats, vit mal sa condition et légitime tous les actes qu’il peut poser à son corps défendant ainsi qu’il suit : « Et quand on n’a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu’on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge que fait-on ? Bien sûr on devient enfant-soldat (…) pour manger et pour égorger aussi à son tour ; il n’y a que ça qui reste. »[26]

Il ressort de cet aveu que la solitude dont le personnage de l’enfant est victime est un véritable traumatisme. Dans cette condition d’absence totale de chaleur familiale, la seule chose qui lui reste est de se laisser enrôler dans les brigades des enfants-soldats et de commettre les crimes les plus abjects comme pour se venger de la nature. Cette regrettable déperdition du narrateur d’Allah n’est pas obligé semble aussi justifier le choix de Faustin, l’aîné des orphelins, abandonné avec ses cadets par leurs parents, de faire partie des « brigades de la mort » au point de se retrouver derrière les barreaux.

Ces personnages-enfants, transformés par le vice, sont paradoxalement en proie à la tristesse due soit aux agressions verbales dont ils sont régulièrement victimes, soit aux humiliations et autres dévalorisations diverses qui leur sont servies. Ce sentiment peut aussi émaner de l’environnement difficile, caractérisé par des événements difficiles qu’on vit malgré soi. C’est le cas de Birahima traumatisé par la maladie de sa maman comme le souligne l’extrait ci-après :

 Donc quand j’étais un enfant mignon, au centre de mon enfance, il y avait l’ulcère qui mangeait et pourrissait la jambe droite de ma mère. L’ulcère pilotait ma mère. L’ulcère pilotait ma mère et nous tous. Et, au tour de ma mère et de son ulcère, il y avait le foyer qui m’a braisé le bras.[27]

     Le narrateur est meurtri par la maladie qui ronge sa mère. En dehors de la pitié qu’il peut avoir pour elle, il se projette dans l’avenir et ne perçoit aucune lueur d’espoir, car le sort de sa mère semble être définitivement scellé. Cette situation va indubitablement impacter négativement sur le devenir du personnage-enfant qui voit ses rêves s’évaporer.

La tristesse est aussi le sentiment le mieux partagé dans L’Aîné des orphelins. L’environnement des personnages-enfants est enclin à la peine de sorte que la tristesse envahit facilement les fragiles petits êtres hors de protection. Elle peut naître de la désillusion ou de la déception par rapport à une attente. Faustin en a ressenti après son entretien avec le juge qui semblait lui signifier que rien ne peut le sauver dans sa situation. Le témoignage suivant illustre à suffisance ce traumatisme du narrateur :

 le juge m’a dit qu’il y a trois catégories de coupables : les complices (de zéro à cinq ans), les exécutants (de cinq à vingt ans) et les organisateurs (la perpétuité ou la potence). Mais toi, tu es un cas à part. tu as toujours été un cas à part, Faustin Nsenghimana. Elle avait dit ça sur un ton qui sentait la férocité…[28]

     On peut bien apprécier la détresse que peut générer une telle situation. L’enfant n’est pas situé, mais il a une idée de ce qui l’attend quand on lui parle avec une telle férocité. Or il serait louable qu’on le punisse pour qu’il prenne conscience de la gravité de l’acte qu’il a commis. D’ailleurs, certains théoriciens de l’éducation trouvent des valeurs à la violence et la légitiment en ces termes : « dans la vie, la violence ne se présente pas toujours dans les habits de la violence. Il y a un mal à partir de l’amour, il y a un désir de protection qui aboutit à l’étouffement, il y a une affection qui est maniée comme du chantage… »[29]

Cette approche philosophique de la maltraitance détermine les frontières de la violence et laisse comprendre clairement que la punition qui attend Faustin n’a aucune trace d’amour, bien au contraire, elle est remplie de rancœur et de vengeance. L’enfant s’en trouve déprimé et déstabilisé. D’ailleurs, l’univers carcéral dans lequel il vit le prédispose à cette détresse. Il est désormais un être transformé qui ne contrôle plus rien dans sa propre vie. Fort heureusement, il se console dans le caractère naïf des enfants qui pour lui « n’ont aucun sens du drame. La vie reste un jeu même en cas de désastre. »[30]

Le remords fait partie des facteurs de déstabilisation psychologique dont les personnages-enfants sont l’objet dans les romans de KOUROUMA et MONENEMBO. Il traduit l’ensemble des douleurs causées par la conscience d’avoir posé des actes ignobles dont on a honte. Birahima, Faustin et bien d’autres personnages-enfants vivent dans une perpétuelle situation d’angoisse d’avoir mal agi. Enfants-soldats ou « génocideurs », les uns et les autres retrouvent quelquefois le bon sens et regrettent leurs actes ignobles. On peut le voir déjà avec Birahima qui a traité sa mère de sorcière à cause de l’ulcère qui la rongeait. Mais quand il se rend compte de son erreur de n’avoir pas cru à l’innocence de sa mère, il est très tard, car la pauvre femme a succombé à son ulcère. Le remords prend dès lors une dimension métaphysique, car la douleur qui ronge l’âme de Birahima se justifie aussi par la peur de la malédiction de sa mère, morte de chagrin d’avoir été trahie par son fils comme on peut le relever : « À partir de ce jour, j’ai su que j’avais fait du mal à ma maman, beaucoup de mal. Du mal à une handicapée. Ma maman ne m’a rien dit mais elle est morte avec la mauvaiseté dans le cœur. J’avais ses malédictions, la damnation. Je ne ferai rien de bon sur terre. »[31]

Ce regret de n’avoir pas cru que sa mère était rongée par une maladie dont elle ignorait l’origine le fait souffrir et le meurtrit. Il redoute même la malédiction, mais il se fait très tard. La pauvre femme est morte avec le cœur rempli de rancœur et son fils en est traumatisé.

Le remords est aussi omniprésent dans L’Aîné des orphelins et fait son effet dévastateur sur les personnages-enfants qui en éprouvent. Faustin ne se remettra jamais d’avoir encouragé son camarade à tenter une aventure périlleuse, même si c’était pour l’aider. Malheureusement, Sembé a trouvé la mort. Le narrateur en est définitivement marqué et le fait savoir en ces termes : « Pauvre Sembé ! C’est moi qui lui avais suggéré d’aller voir Mukazano la folle puisque aucune femme ne voulait de lui […] Dire que je croyais faire son bonheur, à ce pauvre Sembé ! J’essayais de m’imaginer son cadavre sans y parvenir pendant qu’elle continuait de raconter. »[32]

Ce témoignage répand le regret qui ronge Faustin. Le pauvre n’avait aucune mauvaise intention de pousser son camarade d’infortune à la mort. Ce poids psychologique vient alourdir la tragédie qui est déjà insupportable. La situation conjoncturelle dans laquelle les personnages-enfants vivent est à l’origine de cette tragédie multiforme.

Il est impressionnant de constater que les personnages-enfants gardent la lucidité devant l’horreur banalisée qu’ils vivent. Dans cet univers chaotique de MONÉNEMBO où ils sont impliqués dans les massacres, certains d’entre eux ont encore la pudeur de regretter leurs actes. Ils en sont meurtris mais ils ne peuvent rien faire d’autres. Ils sont inéluctablement inscrits dans le cycle de violence qui sévit : « Des enfants ont tué des enfants, des prêtres ont tué des prêtres, des femmes ont tué des femmes enceintes, des mendiants ont tué d’autres mendiants, etc. Il n’y a plus d’innocent ici. »[33] Ce cycle de violence démentielle a pour conséquences des traumatismes et des meurtrissures quasiment irréparables.

Au demeurant, la tragédie que vivent les personnages-enfants dans les univers de KOUROUMA et MONÉNEMBO se manifeste sous deux formes : la souffrance physique et la souffrance morale. La souffrance physique renferme d’une part des pratiques traditionnelles et rituelles telles que l’excision et la circoncision qui s’accompagnent de douleurs vives chez l’enfant qui les subit. D’autre part, elle renferme toutes les meurtrissures dont sont victimes les personnages-enfants dans leur long et pénible itinéraire. Ces traumatismes sont constitués d’accidents, de viols, de la misère, de l’abandon… La souffrance morale par contre est sous-tendue par la tristesse, les remords et même quelquefois la soif de vengeance. Ce type de souffrance traduit le déséquilibre affectif dont les personnages-enfants sont victimes dans un monde qui leur a tout volé à l’âge tendre où il commence à s’ouvrir à la vie. Privés de parents, de frères et de sœurs pour certains, ils se créent de nouvelles familles dans le cercle vicieux des enfants-soldats ou des mineurs condamnés à mort. Dès lors, ils se laissent gagner par la haine et l’esprit de vengeance qu’ils considèrent comme le moyen le plus efficace de reconstituer le paradis perdu, le royaume d’enfance empli de merveilles.  

II-Figuration de la détresse dans les univers de KOUROUMA et MONÉNEMBO

   La présente analyse est consacrée à l’appréciation de l’impact de ce qu’il est convenu d’appeler la tragédie des personnages-enfants sous le prisme d’Ahmadou KOUROUMA et Tierno MONÉNEMBO. Il est évident que ces petits êtres en devenir, en proie aux traumatismes causés par les souffrances physiques et psychologiques, soient dans le désarroi et sombrent dans le désespoir. Il importe alors d’examiner ce désarroi à travers l’instabilité qui en découle et l’échec de l’éducation consécutif à une telle situation.

II-1. L’instabilité sociale

L’instabilité désigne toute situation non fixe ou non permanente. Dans les deux romans qui constituent le corpus de cette analyse, l’instabilité est causée par la guerre qui, dans le cas d’Allah n’est pas obligé, embrase la sous-région du Libéria et de Sierra Léone, en la transformant en un véritable enfer, tandis que, dans le cas de L’Aîné des orphelins, c’est une guerre fratricide, devenue génocide, qui déstabilise le Rwanda.

Les guerres sont à l’origine de la rupture de l’équilibre social et de la détresse de l’enfant. Par leur caractère meurtrier, elles endeuillent des familles, changent de statut aux enfants qui deviennent orphelins comme l’affirme Birahima qui se souvient de la mésaventure de Kit : « Dans le village de Kit, la guerre tribale est arrivée vers dix heures du matin. Les enfants étaient à l’école et les parents à la maison. Dès les premières rafales, les enfants gagnèrent la forêt… son père égorgé, son frère égorgé, sa mère et sa sœur violées et les têtes fracassées »[34]

   Ce funeste tableau est de nature à déstabiliser l’enfant qui reste alors que toute sa famille a été exterminée. Il est condamné au désespoir, abandonné qu’il est, il sombre dans l’errance et se retrouve dans l’encadrement machiavélique de certains adultes qui l’obligent à perdre son innocence : « et quand on n’a plus personne sur terre, ni père, ni mère, ni sœur, ni frère, on devient un enfant soldat, un small-soldier. »[35] Ce changement de statut social rentre aussi dans les manifestations de la détresse et traduit concrètement l’instabilité qui en est consécutive.

La guerre porte un sérieux coup à la liberté des personnes, à la sécurité des enfants, car pendant cette boucherie humaine, seule la loi du plus fort règne. L’enfant reste le plus grand perdant de l’instabilité sociale qui en découle. La folie des guerriers va même plus loin, puisque ces derniers, en plus de massacrer les enfants innocents, détruisent les structures symboliques de l’éducation des jeunes telles que les écoles, les églises… Ils ne s’arrêtent pas là, car ils vont même jusqu’à détruire les derniers retranchements de sauvetage comme les orphelinats où l’enfant se retire pour fuir la férocité des guerriers. Le témoignage suivant illustre suffisamment les débordements dont sont coupables ces meurtriers :

   On envoya Sarah chez les sœurs dans un orphelinat de la banlieue de Monrovia. Elle était là quand éclata la guerre tribale du Libéria. Cinq sœurs de cet orphelinat furent massacrées, les autres purent foutre le camp dare-dare sans demander leur reste. Sarah et quatre de ses camarades se prostituèrent avant d’entrer dans les soldats-enfants pour ne pas crever de faim.[36]

     Il est évident que les adultes sont responsables de l’instabilité sociale qui est l’une des formes de la détresse des enfants. Ils multiplient les stratégies pour les fragiliser. En détruisant ainsi les orphelinats qui sont leurs derniers recours, et en tuant les responsables de ces structures, ils ne laissent pas le choix à leurs victimes. Logiquement, les enfants sombrent, certains dans la prostitution, d’autres dans la drogue pour commettre des actes répréhensibles. Ainsi contraints par la misère et le désespoir, ils deviennent eux-mêmes des acteurs incontournables des conflits.

Il n’est plus possible pour l’enfant de connaître quelque bonheur que ce soit quand éclate la guerre. Non seulement il perd tous les êtres chers qui donnaient un sens à sa vie, mais aussi il est obligé de pactiser avec les fauteurs de troubles, les maîtres de la guerre au grand dam des préceptes de Jean CHEVALIER qui définit l’enfance comme étant : « un symbole d’innocence, état antérieur à la faute, donc état édénique, symbolisé en diverses traditions par le retour à l’état embryonnaire, dont l’enfance demeure proche. Enfance est symbole de simplicité naturelle, de spontanéité. »[37]

L’instabilité sociale n’est pas une trouvaille de KOUROUMA. Elle est visible dans toutes les sphères régies par la folie meurtrière de la guerre. Dans l’univers de MONENEMBO, l’ambiance est résumée par quelques mots : « le Rwanda est maudit »[38] Suffisant pour comprendre que dans ce pays où deux ethnies sœurs hutus et tutsis se déchirent violemment, la détresse de l’enfant atteint son paroxysme. La structure sociale n’offre aucun espoir au regard de ce qui se vit chaque jour. Le pays semble être sous l’emprise du diable qui dicte sa loi en répandant la haine dans le cœur des hommes. Ils deviennent insensibles, cruels… Le sorcier Funga a d’ailleurs prédit ce chaos en ces termes : « Le diable est partout ici ! clamait-il. Son feu est dans nos montagnes, sa cruauté dans nos cœurs. On ne sait jamais d’où ça vient, mais toutes les saisons, le sang jaillit de partout pour submerger les collines et les lacs… Pauvre Rwanda !… C’est peut-être l’enfer ! »[39]

   Ces propos du sorcier Funga renseignent suffisamment sur les mobiles de l’instabilité qui vient compléter le sombre tableau de la détresse dont les enfants sont victimes dans cet univers où règne la loi du plus fort. Les personnages-enfants s’en trouvent fragilisés et éprouvés à tous les coups. Ils sont traqués de manière permanente. Aussi se livrent-ils à la quête d’un refuge ou d’une cachette pouvant leur procurer une illusion de sécurité. On peut donc voir des déplacements non souhaités, traduisant concrètement l’instabilité sociale consécutive à une telle situation. Faustin n’a pas résisté à la tentation de rejoindre ses parents qui les avaient déjà abandonnés : « Après m’être enfui de mon village natal de Nyamata, je comptais rejoindre les grottes de Byumba, pour retrouver mes parents, quand je rencontrai le sorcier Funga sous un flamboyant. Mais je n’eus pas le courage de poursuivre mon chemin. »[40]

Il apparaît clairement dans ce témoignage que la sécurité n’est pas la chose la mieux partagée dans le village du narrateur. D’ailleurs, en l’absence des parents qui constituent une garantie de protection, on peut bien comprendre que les enfants essayent de s’en sortir. comme ils peuvent.

Il faut cependant relever que l’instabilité sociale ne fragilise pas seulement les enfants. Tout le monde est concerné, en dehors de ceux qui en sont des principaux instigateurs. Le narrateur-enfant présente un tableau traumatisant du fait de l’instabilité. Toujours à la recherche d’un refuge, les déplacements des populations d’un lieu à un autre, donnent des vertiges comme en témoigne l’extrait ci-après : « Je voyais les colonnes de réfugiés défiler à travers les hibiscus et les bananiers. Des collines de l’est, le bruit des canons se faisait plus intense, plus ordinaire. Les gens ne pressaient pas le pas pour autant. Ils allaient au même rythme, saisis dans le même silence glacial qui s’impose aux prières et aux processions… »[41]

Ce récit testimonial du personnage-enfant vient détruire tous les murs d’incrédulité sur la tragédie des personnages-enfants dans la littérature francophone. C’est une situation évidente. Traumatisé par les maltraitances physiques et psychologiques, le personnage-enfant est déstabilisé et l’environnement dans le quel il est condamné à vivre est totalement déstabilisé. Malgré lui, il devient lui aussi acteur de la déstabilisation, car à son corps défendant, il s’implique dans les activités qui l’exposent au péril. Faustin n’a malheureusement pas échappé à ce funeste sort : « …je fis ce que tout le monde faisait : aider les soldats à charger les machettes et les cadavres, à orienter les ambulances vers les blessés auxquels il restait une petite chance. »[42] Le narrateur est obligé de mettre la main à la pâte pour espérer obtenir la clémence des maîtres de la guerre qui répandent l’horreur partout dans le pays. Relevons même déjà que l’activité à laquelle est soumis ce personnage-enfant n’est pas de son âge. Il en ressort insensible puisque la mort est banalisée.

La guerre dicte sa loi dans le pays. Tout est sens dessus-dessous. Le narrateur de L’Aîné des orphelins mentionne avec beaucoup de désolation qu’aucune règle régissant le fonctionnement du pays n’est plus respectée : « …depuis ces fameux avènements [sic], tout fonctionne à l’envers. Chacun s’évertue à enfreindre les règles. »[43] La déstabilisation sociale est à son comble dès lors que l’état de droit disparaît.  

Il est clair que la déstabilisation sociale est une manifestation éloquente de la tragédie des personnages-enfants dans les univers de KOUROUMA et MONENEMBO qui ont pour dénominateur commun la guerre civile ou tribale. Les principales victimes sont des enfants sans défense. Certains sont abandonnés par leurs parents qui ont fui les massacres. Pour survivre, ils se livrent à la prostitution ou intègrent les brigades des enfants-soldats. À cause de la guerre, la famille est disloquée et chacun se débrouille comme il peut. Cette déstabilisation atteint toute les structures de la société. Les églises sont attaquées, les orphelinats sont détruits et ceux qui en sont responsables sont pourchassés quand ils ne sont pas grossièrement assassinés. Dès lors, l’instabilité sociale engendre une autre forme d’instabilité que nous désignons par instabilité spatiale.

II.2. L’errance spatiale.

Le corpus de cette étude nous offre deux types d’espaces qu’on peut qualifier d’euphorique et de dysphorique. Ces espaces constituent des supports pour un récit testimonial tel que le servent Birahima et Faustin. Il est d’ailleurs opportun de s’en intéresser, car BOURNEUF et OUELLET reconnaissent que l’espace narratif « s’exprime dans les formes et revêt des sens multiples jusqu’à constituer parfois la raison d’être de l’œuvre »[44]. L’analyse de la déstabilisation spatiale contribue à apprécier la tragédie des personnages –enfants dans leurs différents milieux d’évolution.

Cette autre forme de la détresse des personnages-enfants est consécutive à l’insécurité qui paralyse toutes les activités. À la quête d’un mieux être, les populations sont condamnées à l’errance. Les enfants en sont encore fortement marqués. C’est le cas de Birahima et les autres enfants d’Allah n’est pas obligé. C’est aussi le cas de Faustin, ses frères et tous les autres enfants de L’Aîné des orphelins, deux mondes régis par la cruauté, l’insensibilité de l’Homme. Et dans ce contexte où la guerre détruit tout, villes et villages n’en sont pas épargnés. Tout rêve est brisé. Les enfants sont condamnés à l’errance, à la recherche de la sécurité et même d’un bien être si possible, étant donné que la barbarie des armes n’en a pas donné l’opportunité dans le giron familial.

Le déplacement d’un espace à un autre implique ainsi une fantasmatique de la conversion, de la fuite, car il traduit un vif désir d’évasion, de débandade, loin de la réalité déprimante de l’horreur de la guerre. Les déplacements des personnages-enfants désespérés d’Allah n’est pas obligé et de L’Aîné des orphelins de village en village, de charnier en charnier, sont légitimés par l’espoir d’un bonheur dans l’ailleurs, le nouvel espace d’accueil.

Birahima et Faustin qui symbolisent les figures emblématiques de la détresse de l’enfant apparaissent comme représentants de l’instabilité spatiale. Le premier, ayant perdu ses parents, espère retrouver la chaleur familiale auprès de sa tante Mahan qui lui propose de l’emmener au Libéria. Il obtient aussi des garanties de bien être dans son nouvel espace d’accueil ainsi que l’illustre l’extrait ci-après : « Grand-mère, pour m’encourager, me convaincre de partir, m’a dit que là-bas, au Libéria, chez ma tante, je mangerai tous les jours du riz avec viande et sauce graine. Moi j’ai été content de partir et j’ai chanté parce que j’avais envie de bien manger du riz avec sauce graine »[45]

Mais le voyage ne se fait pas comme souhaité, car la tante persécutée par son ex-époux, un chasseur violent et hystérique, s’enfuit désespérée. Malgré lui, le narrateur d’Allah n’est pas obligé, accompagné de Yacouba, va s’engager dans de multiples déplacements périlleux dans l’espoir de rejoindre sa tante au Libéria. Il est d’autant plus engagé qu’il sera désormais à l’abri du besoin. Le changement qui se profile à l’horizon peut justifier tous les risques encourus.

L’instabilité spatiale dans l’univers de MONENEMBO est due au fait que les populations persécutées par les maîtres de la guerre, sont dans l’obligation de se trouver un asile qui leur offrirait plus de sécurité. Or, ces déplacements fragilisent davantage les enfants, condamnés à vivre comme des fugitifs. Cette situation est pleine de conséquences parfois irréparables. Faustin, l’enfant-orchestre de L’Aîné des orphelins s’y est retrouvé avec ses petits frères. Ses parents persécutés s’étant enfui sans aucun espoir de se refugier dans un espace sécurisé, les ont abandonnés sans autre forme de procès. La narrateur-enfant se retrouve entraîné par des adultes sans scrupules qui l’emmènent où ils veulent : « Nous parvînmes à Nyarubuyé après une heure de bitume un nombre incalculable de pistes de brousse qui n’étaient jamais les bonnes. »[46]

Au demeurant, l’instabilité spatiale se caractérise par tous les déplacements périlleux auxquels se laissent aller les personnages-enfants, et particulièrement Birahima et Faustin. Il faut tout de même signaler que ces déplacements sont motivés par l’espoir d’un asile sécurisé. Fort malheureusement, la plupart de ces aventures se sont soldées par des échecs cuisants. L’illusion de bonheur qu’affichent les personnages-enfants au début de leurs périples se transforme en cauchemar. Birahima n’a jamais retrouvé tante Mahan vivante. Bien au contraire, il a été transformé en une machine à tuer après avoir été drogué, enrôlé de force dans les brigades des enfants-soldats. Parti de Togobala avec un rêve, celui de retrouver de la protection et de la chaleur familiale, il a vu son projet s’écrouler comme un château de cartes pendant son séjour à Zorzor, Sanniquelie, Niangbo, Monrovia, Freetown et Worosso, espaces symboliques de l’instabilité spatiale.

L’instabilité spatiale évoque donc l’inutilité des déplacements des personnages-enfants abandonnés à la recherche d’un Éden consolateur. Les romans de KOUROUMA et de MONENEMBO apparaissent dès lors comme des cercles vicieux qui se referment impitoyablement sur les personnages-enfants. Birahima se retrouve dans sa situation de départ non sans avoir subi des transformations négatives. Faustin est broyé par la machine judiciaire qui l’a condamné à la peine capitale. Il n’aura pas eu le temps de s’échapper pour se rendre au Burundi voisin ou en Tanzanie.

Il ne fait plus l’ombre de doute que la détresse des personnages-enfants qui vivent la tragédie dans la littérature francophone se manifeste aussi par l’instabilité sociale et l’instabilité spatiale. Les mutations imposées par la guerre transforment la société en une jungle où les plus forts dictent leur loi avec pour conséquence des déplacements pour fuir et rejoindre un lieu sécurisé. Les personnages-enfants se retrouvent dans des lieux avilissants, prison pour Faustin, brigades d’enfants-soldats pour Birahima, qui les broient et les transforment en automates.

II.2. L’échec de l’éducation

L’éducation vise, par les moyens qu’elle met en œuvre, l’insertion, l’intégration sociale de l’enfant. Dans cette veine, elle s’intéresse à tous les plans de développement social à travers les aspects cognitif, socio-affectif et psychomoteur, ce qui fait dire à Émile DURKHEIM que « L’éducation est l’action exercée par la génération des adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux. »[47]

   L’échec de l’éducation est consécutif à l’instabilité sociale et même l’instabilité spatiale dont les personnages-enfants et certains adultes sont victimes. Il n’est pas possible d’enseigner des valeurs aux enfants dans un environnement bouleversé par la guerre. Bien plus, l’école perd sa crédibilité au sein de la société qui s’en méfie désormais, car on lui reproche de former des chômeurs comme l’atteste le témoignage ci-après : « j’ai quitté le banc parce que tout le monde dit que l’école ne vaut plus… »[48]

Le véritable drame n’est pas d’avoir des diplômes et de ne pas s’en servir, mais plutôt de n’avoir aucun encadrement, aucune éducation susceptible d’enseigner la bienséance et toutes les vertus qui permettent d’éviter la guerre ou de trouver des solutions en cas de malentendu entre les personnes partageant le même espace vital. Cet échec de l’éducation fait partie de la tragédie des personnages-enfants lorsqu’on peut lire un témoignage aussi poignant que celui du narrateur d’Allah n’est pas obligé : « Je suis devenu un enfant de la rue. Un vrai enfant de la rue qui dort avec les chèvres et qui chaparde un peu partout dans les champs pour manger. »[49] Il faut plutôt y lire un cri de détresse d’un personnage-enfant victime d’absence de tout préalable à l’éducation tel que préconisé par LUTZ : « La réussite d’un enfant dépend d’un certain dosage et d’une certaine quantité d’influences venues du monde environnant. Ces influences ont trait à trois domaines que la pédagogie nomme : les soucis matériels prodigués à l’enfant, l’instruction et l’éducation. »[50]

Il apparaît clairement dans cette thèse que l’éducation de l’enfant requiert des conditions de stabilité et de sécurité, puisque l’environnement en fait partie. On comprend dès lors que les personnages-enfants des univers de KOUROUMA et de MONENEMBO n’aient pas reçu des valeurs pouvant leur permettre de corriger l’échec des adultes qui cultivent la haine et sèment la guerre par tout dans le pays. Malheureusement, la principale victime de cette tragédie se trouve être l’enfant.

La société ne tient jamais compte de ses défaillances ou de ses manquements vis-à-vis des enfants pour lesquels elle n’a pris aucune disposition d’encadrement, de protection… S’il est démontré que l’action éducative permet d’intégrer le sujet éduqué dans la société dans le strict respect de la réglementation, il devient qu’une éducation mal assurée conduit à des dérives irréparables. Faustin, narrateur de L’Aîné des orphelins, aura payé le lourd tribut des manquements de l’éducation dont il est l’objet. Enrôlé de force dans les rebellions armées, il a commis des meurtres malgré son jeune âge. Il en est lourdement sanctionné. Pourtant, s’il avait reçu une bonne éducation, il aurait convoqué la mesure et la modération dans ses agissements. L’absence de ces principes l’a condamné à la tragédie : « Je m’appelle Faustin, Faustin Nsenghimana. J’ai quinze ans. Je suis dans une cellule de la prison centrale de kigali. J’attends d’être exécuté. »[51]

L’enfant qui vit dans une déstabilisation totale est voué à l’échec. Les fondamentaux de son éducation sont extrêmement fragiles lorsqu’ils ne sont pas tout simplement absents. Ainsi, les projets d’avenir d’un tel enfant manquent de noblesse et de clairvoyance. C’est toute la société qui en est exposée. D’ailleurs Javier PEREZ de CUELLAR fait une mise en garde du retour de l’ascenseur en ces termes : « La façon dont une société traite ses enfants reflète non seulement son aptitude à compatir, soigner, et à protéger, mais aussi son sens de la justice, son engagement face à l’avenir et son désir d’améliorer la condition humaine des générations futures. »[52]

Cette approche présente une situation d’interdépendance entre la société et ses enfants. Elle sera à l’image de l’éducation qu’elle aura donnée à ses fils. Ainsi, au regard de ce que vivent les personnages-enfants du corpus se demandent si la société n’est pas coupable du délit de non assistance à enfants en danger.

L’échec de l’éducation peut aussi se justifier par l’égoïsme de certains parents qui utilisent leurs enfants, ou ceux qui leur sont confiés dans des tâches mercantiles plutôt que de les envoyer à l’école. Même si on peut justifier ces actes par la précarité et la pauvreté dans lesquelles vivent ces familles, on ne peut pas tolérer de tels actes qui réifient les pauvres enfants comme on peut le lire : « Madame Kokui était commerçante et mère de cinq enfants. Elle fit de Sarah une bonne et une vendeuse de bananes. »[53] Cette situation lamentable est en tout point une tragédie qui meurtrit à jamais les victimes.

Au total, l’échec de l’éducation qui est incontestablement une forme de tragédie que vivent les personnages-enfants dans l’univers de la littérature francophone peut se justifier sous deux angles avec d’une part les causes endogènes, du fait des parents ou adultes absents, irresponsables, ayant fui devant leurs missions d’éducation, de protection et d’encadrement vis-à-vis des enfants, et d’autre part, une société détruite par la guerre, la haine et les égoïsme de toute nature. Certains adultes choisissent d’initier les enfants à la violence, à la haine, au vice, d’autres préfèrent simplement les détruire en les exploitant sexuellement ou à des fins mercantiles. Or, quand les fondamentaux de l’éducation sont détruits, il devient impossible de transmettre des valeurs susceptibles de promouvoir la paix et l’harmonie. On se retrouve dans la situation déplorable de ce personnage-enfant qui déclare avec désinvolture : « Je suis un enfant de la rue. Je m’en fou des bonnes mœurs. »[54] Cette arrogance est symbolique de la société de demain qui semble être inéluctablement vouée au chaos.

Il est établi que le tragique se manifeste à travers l’instabilité sociale et spatiale et sans doute aussi à travers l’échec de l’éducation. Les enfants qui sont supposés prendre la relève de la société des adultes n’arrivent pas à acquérir les moyens intellectuels et psychologiques pouvant leur permettre d’atteindre leur noble objectif. Ils deviennent plutôt dangereux pour la société. Aussi choisissent-ils d’en faire un testament mnémonique pour sensibiliser l’opinion générale. Des victimes qu’ils sont aujourd’hui, ils deviendront plus tard des bourreaux malgré eux. Cette transmutation trouve une signification dans les univers des auteurs choisis.

III- Symbolique du tragique chez KOUROUMA et MONENEMBO

Cette ultime partie de notre analyse se propose de dévoiler les réelles intentions des deux auteurs du corpus choisi. Ils ne se contentent pas d’exposer la misère des personnages-enfants meurtris dans leurs différents espaces de vie, mais ils projettent noblement de mettre un terme à de telles dérives en sensibilisant l’opinion générale. La protection, l’éducation et l’épanouissement des enfants incombent à toute la société. Les adultes qui la dirigent à leur guise doivent prendre la mesure de la lourde responsabilité qui est la leur. Ainsi, la signification du tragique des personnages-enfants se développe autour de l’appel au respect des droits des enfants et la condamnation des guerres.

III.1. Respect des droits des enfants

   Le récit testimonial des enfants en détresse dans la littérature francophone a permis d’examiner la question de la responsabilité des adultes. On constate avec beaucoup de regret que ceux-ci sont moins soucieux des intérêts des enfants et se dérobent ostensiblement de leurs obligations d’amour, de protection, d’éducation sans que cela n’émeuve personne. Pourtant, des organismes de protection des enfants multiplient chaque jour des chartes dans l’optique sus-évoquée. Or, aucun projet de société ne peut exclure la prise en charge des enfants. Mais que reste-t-il encore dans un environnement où tous les symboles de l’éducation ont été dévastés par la guerre ? On ne devrait trouver aucune excuse à tous les bourreaux qui s’attaquent à l’intégrité des enfants.

III. 1.1. Stricte observation du droit à la vie

     La tragédie que vivent les personnages-enfants dans la littérature francophone est l’expression de graves violations des principes et valeurs sociétaux. On retrouve de petits enfants qui attendent d’être exécutés dans les prisons parce qu’ils ont pris part au génocide, c’est le cas de Faustin Nsenghimana et de nombreux autres petits enfants dans L’Aîné des orphelins. Beaucoup d’autres crimes, des viols, des massacres d’enfants sont aussi signalés dans l’univers de KOUROUMA. Pourtant, le droit à la vie est le plus inaliénable. Tous les êtres humains doivent pleinement en jouir. Or, les narrateurs-enfants et tous les autres personnages-enfants du corpus vivent dans l’insécurité. Leur vie est menacée. Celle de Faustin est même déjà compromise, car il a été condamné à mort. Celle de Birahima tient sur un fil très peu solide, dans ses pérégrinations entre son village natal la ville où réside sa tante, dernier espoir de sécurité, il fait le tour des brigades des enfants-soldats sans aucun espoir d’en ressortir vivant.

Cette analyse interpelle toutes les parties en charge de la vie des enfants. Ainsi s’en trouvent épinglés les parents, les dirigeants voire tous les adultes. Les premiers sont, par leur statut, les premiers garants de la sécurité des petits êtres en devenir. Or, il est mentionné des cas d’abandon d’enfants dans l’univers de MONENEMBO. Les parents du narrateur ont fui laissant leur progéniture à la merci des seigneurs de la guerre. Cette irresponsabilité ne peut nullement être pardonnée quel que soit le niveau de persécution. En ce qui concerne la responsabilité des autres adultes vis-à-vis des enfants, le constat est alarmant. Les personnages-enfants sont pris dans les mailles du cynisme des adultes qui droguent, violent, condamnent à mort et tuent froidement leurs victimes.

On n’est pas très éloigné de l’apocalypse des personnages-enfants dans l’univers de KOUROUMA. Même si on a l’honnêteté de mentionner que l’insécurité de Birahima au sein de la famille est le fait du sort. Sa mère est rongée par un ulcère et par conséquent, elle est incapable de protéger son enfant. Son père était déjà mort. Mais les autres structures en charge de la protection de l’enfant sont manifestement absentes. Que Birahima se retrouve dans les brigades d’enfants soldats est un échec de la société. Ces bandes armées ne protègent pas la vie de ces petits êtres. Bien au contraire, ils sont des agneaux destinés à la boucherie. Cette analyse constitue donc une vive dénonciation dans le souci de mettre un terme à ce genre de dérives sociales qui n’attentent pas seulement à la vie des enfants, mais déstabilisent toute la société.

III.1.2. Le droit à l’éducation

Éduquer un enfant, c’est gagner toute la société. Les adultes s’en trouvent encore interpellés, car l’éducation est liée à la vie. On la définit comme étant un ensemble d’actions visant à développer les facultés morales, physiques et intellectuelles dans le but de s’intégrer dans le milieu social sans heurt. D’ailleurs les objectifs de ce droit inaliénable sont clairement définis dans le principe 7 des Droits de l’enfant de Jean CHAZAL qui stipule que l’enfant : « Doit bénéficier d’une éducation qui contribue à sa culture générale et lui permettre, dans les conditions d’égalité de chances, de développer ses facultés, son jugement personnel et son sens des responsabilités morales et sociales, et devenir un membre utile de la société. »[55]

Malheureusement, ce droit est obstrué par certains personnages-adultes qui se plaisent à enfermer les personnages-enfants dans l’ignorance afin de mieux les soumettre. Toute attitude qui vise à dévoyer l’enfant de la voie de l’éducation est condamnable. Faustin semble mettre son oncle en accusation, lui qui s’est contenté de le réduire en agriculteur sans l’avoir préalablement envoyé à l’école comme l’illustre l’extrait ci-après :

       J’avais reçu au marché hebdomadaire de Bugesera un message d’oncle Sentama : « Viens fils de ma sœur, disait-il. J’ai besoin que l’on m’aide à cultiver les patates et le taro. Comme ça, si tu as été poli et si tu as bien travaillé, je t’emmènerai en ville voir un film. Puis je te coudrai des habits neufs et je t’offrirai le vélo que je t’ai tant de fois promis quand j’aurai vendu mes pintades.[56]

   On peut clairement établir le viol du droit à l’éducation par cet homme dont ses seuls intérêts comptent. Ce sadisme est de nature à faire croire aux enfants qu’ils sont des êtres accessoires.

S’il est démontré que chaque société définit ses attentes vis-à-vis des enfants qui sont supposés assurer la relève, on peut alors comprendre le grand intérêt qu’il y a à les éduquer. Ainsi, le roman francophone devient pour la circonstance la tribune à partir de laquelle les romanciers se joignent à d’autres groupes pour justifier le bien fondé de l’éducation des enfants. À contrario, l’absence d’éducation entraine la dérive sociale et sous-tend des crises de tous ordres.

En somme, le non respect des droits des enfants est incontestablement une forme de tragédie que dénoncent les écrivains francophones. Les personnages-enfants, dans le cas de notre corpus, connaissent toutes les formes du tragique. Ils vivent dans une insécurité sans précédent, les différentes formes d’éducation ne sont pas à leur portée et la conséquence est qu’ils se comportent comme de vils animaux. Ceux qui sont enrôlés de force dans les brigades des enfants-soldats agissent comme des automates. Sans aucune expérience, ils meurent atrocement sur les différents champs de bataille. Cette absence d’éducation et de sécurité est provoquée par les guerres civiles et les multiples crises que KOUROUMA et MONENEMBO dénoncent avec la dernière énergie dans leur roman.

III.2. Condamnation des guerres

Le constat amer fait état de ce que la plupart des personnages-enfants de l’univers de la littérature francophone sont aux prises avec un environnement déstabilisé par les crises et les affrontements fratricides. Ainsi dans leur testament mnémonique, ils transposent les traumatismes pour dénoncer les guerres, interpeller l’opinion générale…Dans leur projet de s’opposer radicalement aux conflits armés, les narrateurs-enfants décrivent les crises qui avilissent les enfants avec des précisions déconcertantes.

Le roman d’Ahmadou KOUROUMA constitue une impressionnante fresque de la société de l’Afrique de l’Ouest dont l’unité est renforcée par la présence des personnages, d’espaces, d’événements et de moments identifiables dans la réalité. Comme par mimétisme, l’univers de Tierno MONENEMBO transpose les mêmes travers de la société de l’Afrique des grands lacs. Tous ces éléments constituent le fondement du témoignage mnémonique des narrateurs-enfants, Birahima et Faustin Nsenghimana rendent compte d’une conception du monde et condamnent les guerres en présentant une société qui soit la métaphore dans sa conscience de la réalité sociale et historique.

En lisant Allah n’est pas obligé et L’Aîné des orphelins, on a le sentiment que les sociétés de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique des grands lacs sont des vécus que KOUROUMA et MONENEMBO ont fictionnalisés et confiés la narration aux personnages-enfants à qui on reconnaît l’incapacité de biaiser la réalité. Parti de la Côte d’Ivoire, le narrateur d’Allah n’est pas obligé campe son récit au Libéria et en Sierra Leone, pays dévastés par des guerres fratricides. Ces pays ont été balkanisés par les seigneurs de la guerre : « quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que les bandits de grand chemin se sont partagé le pays. »[57] Birahima recourt à la technique du récit filmique pour restituer la véracité des faits, présenter les atrocités de la guerre dans toute leur dimension. Faustin ne s’en éloigne pas pour retracer tout le tragique des personnages-enfants.

Les deux auteurs du corpus ont choisi le parti du réalisme dans la description des faits en mettant un point d’honneur sur les conséquences irréparables sur les populations. En dehors d’énormes pertes en vies humaines, on enregistre des traumatismes indélébiles. Les droits de l’homme sont banalisés et simplement ignorés. Et comme police d’assurance à cette forme de narration, Éric LORET écrit : « c’est une satire de la guerre (…) satire horrible, qui saute à pieds joints dans l’effroi et raconte les scènes de torture, de viol, de massacre, la folie des chefs et l’aliénation des soldats à travers les yeux sans compassion. »[58]

Allah n’est pas obligé et L’Aîné des orphelins sont des romans-reportages dont les narrateurs-enfants se chargent de traduire la détresse des personnages-enfants victimes des guerres, privés des familles. Le rapport de l’UNICEF dénombre environ 300 000 enfants-soldats en Afrique et au Proche Orient en 2001. Ils ont été drogués et formés par des adultes pour tuer, piller, incendier… Ils ont perdu leur enfance à l’autel du cynisme des adultes insensibles. Par cette narration crue et violente des événements dans l’univers du roman francophone, les romanciers choquent volontairement les consciences pour appeler à la raison. Mettre les personnages-enfants, à travers eux, tous les enfants en sécurité maximale est le noble projet des auteurs du corpus.

 

Conclusion

Le récit testimonial de l’enfance en détresse dans la littérature francophone est en réalité l’évaluation de la tragédie que vit le personnage-enfant dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou KOUROUMA et L’Aîné des orphelins de Tierno MONENEMBO. Même si on veut aborder la question sous l’angle du récit mnémonique du personnage-enfant, on ne pourra pas éviter de focaliser sa préoccupation sur l’actualité qui sous-tend la détresse des personnages-enfants dans ces deux romans conjoncturels, mais davantage historiques. Les deux auteurs du corpus font une peinture réaliste du désarroi des enfants africains soumis à la fatalité de l’impossible : impossible sécurité, impossible éducation, impossible espoir de bonheur dans un univers pris en otage par le cynisme et la cruauté de certains adultes.

Les deux univers peints dans le corpus présentent plusieurs points de ressemblance en ce qui concerne les traitements dont les personnages-enfants font l’objet. En convoquant la sémiotique du personnage, nous avons pu décrypter les différentes mises en forme des mémoires qui témoignent pour comprendre chaque narrateur, chaque personnage-enfant dans son environnement, dans ses rapports aux adultes, aux autres enfants…Ainsi à travers le cœur des narrateurs-enfants, le témoignage mnémonique qu’ils font de leur condition montre un tableau sombre d’enfants sans avenir, désespérés, sans protection ni éducation, destinés au chaos. À travers Birahima, enfant-soldat perdu dans un univers où la violence est la chose la mieux partagée, et Faustin, enfant condamné à mort, KOUROUMA et MONENEMBO ramassent en une seule détresse collective tous les sanglots des victimes des folies humaines. Ces deux narrateurs-enfants symbolisent les différentes catégories que la guerre et la méchanceté injustifiée des hommes meurtrissent. Les principales en sont les enfants qui prennent la mesure de leur tragédie et décident de rompre le silence.

Dans leur témoignage mnémonique, les personnages-enfants portent préalablement leurs préoccupations sur peinture de la détresse dans ses différentes formes. On a ainsi apprécié la souffrance physique, la souffrance psychologique liées à plusieurs sources et dont le résultat est fatalement le même. La destruction de l’enfant. Ce récit testimonial s’est ensuite préoccupé des manifestations de la détresse des personnages-enfants dans la littérature francophone. Sur différents plans, l’instabilité s’est avérée comme l’un des facteurs de la détresse. Dans la même veine, l’échec de l’éducation, avec à l’arrivée des enfants sans amour, sans respect de l’autre, des enfants qui n’ont reçu aucune valeur et qui en retour ne connaissent que la haine, sous-tend aussi la tragédie des enfants. L’étude se referme par la signification de la détresse des personnages-enfants. Celle-ci se traduit par l’appel à la prise en compte et le respect des droits des enfants dans toutes les sociétés, la condamnation des guerres. Au total, KOUROUMA et MONENEMBO transposent les travers de la société africaine dans laquelle l’enfant meurtri vit sans espoir d’un lendemain meilleur. Ces auteurs dénoncent la méchanceté démentielle des adultes qui inhibent leur avenir dans leur égoïsme.

Références bibliographiques

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[1]- LORET, Éric, Libération du 21 septembre 2000.

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– NORA, Pierre, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux » in Lieux de mémoires, 1999.

– SARTRE, Jean Paul, Les mots, Paris, Gallimard, 1964.

 

[1] -Ahmadou KOUROUMA, Allah n’est pas obligé, Paris, Le Seuil, 2000.

[2] -Tierno MONENEMBO, L’Aîné des orphelins, Paris, Le Seuil, 2000.

[3] -L’enfance –source est l’objet d’étude de nombreux écrivains, Georges BERNANOS, Jean Loup BERNANOS, qui puisent dans leur fonds primitif (prime enfance) pour produire des textes exaltant la personnalité des individus en quête d’un paradis perdu dans leur vécu quotidien.

[4]-Françoise DOLTO, La Cause des enfants. En respectant l’enfant, on respecte l’être humain, Paris, Robert Laffont, 1985, p.49.

[5] -Jean Paul SARTRE, Les mots, Paris, Gallimard, 1964, p.26.

[6] -Ce concept est utilisé par Claude Halmos dans L’autorité expliquée aux parents, Paris, NIL, 2008. Pour lui, un enfant est un humain, mais un humain qu’il faut humaniser. Il vient au monde avec un potentiel d’humanité. Ce potentiel ne peut se développer que s’il bénéficie de l’éducation-humanisation de ses aînés.

[7]-Françoise DOLTO, La Cause des enfants. En respectant l’enfant, on respecte l’être humain, Paris, Robert LAFFONT, 1985, p.42.

[8]-Philippe HAMON, Le personnel du roman. Le Système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Émile Zola, Librairie Droz S.A., 1988 (première édition, 1983), p.9.

[9]Allah n’est pas obligé, op.cit., p.9

[10]L’Aîné des orphelins, op.cit., p.13.

[11]Allah n’est pas obligé, p. 22.

[12]-Idem, p.45.

[13]-Idem, p. 97.

[14]L’Aîné des orphelins, p.14.

[15]– Idem , pp. 20-21.

[16] – Idem, p. 26.

[17]-Idem, p. 56.

[18]L’Aîné des orphelins, p. 22.

[19] Allah n’est pas obligé, p. 141.

[20]Allah n’est pas obligé, p. 96.

[21]-Idem, p.84.

[22]L’Aîné des orphelins, p.73.

[23]-Idem, p. 80.

[24]-Pierre NORA, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux » in Lieux de mémoires, 1999, p.21.

[25]L’Aîné des orphelins, p. 22.

[26]Allah n’est pas obligé , p. 100.

[27]– Idem, p. 15.

[28]L’Aîné des orphelins, p. 87.

[29] -Éric , FIAT, « Approche philosophique du concept de maltraitance », in États des savoirs sur la maltraitance, p. 68.

[30]L’Aîné des orphelins, p. 95.

[31]Allah n’est pas obligé, p. 29.

[32]L’Aîné des orphelins, pp. 33-34.

[33]– Idem, p. 41.

[34]Allah n’est pas obligé, p. 100.

[35]– Ibidem.

[36]– Idem, p. 96.

[37] – Jean CHEVALIER et Alain GHEERBANT, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1969, p. 404.

[38]L’Aîné des orphelins, p. 15.

[39]– Ibidem.

[40] – Idem, pp. 35-36.

[41]-Idem, p. 36.

[42]L’Aîné des orphelins, p. 48.

[43] – Idem, p. 91.

[44]– Roland, BOURNEUF, Réal, OUELLET, L’Univers du roman, Paris, P.U.F. 1972, p. 100.

[45]Allah n’est pas obligé, p.36.

[46]L’Aîné des orphelins, p. 104.

[47] -Émile DURKHEIM, Éducation et sociologie, Paris, PUF, 1922, p. 51.

[48]Allah n’est pas obligé, p. 10.

[49]Allah n’est pas obligé, p. 15.

[50] – Joseph, LUTZ, Cahiers de psychologie, Paris, Flammarion, 1973, p. 36.

[51]L’Aîné des orphelins, p. 14.

[52]– Javier Perez DE CUELLAR cité par Enfants d’Asie du Sud, Paris, Ed. d’Amnesty international, 1985 .

[53]Allah n’est pas obligé, p. 115.

[54] -Idem, p. 60.

[55]– Jean CHAZAL, Les Droits de l’enfant, Paris, P.U.F., Coll. “ Que sais-je ?“, 5è éd., 1982, p. 13.

[56]L’Aîné des orphelins, p. 13.

[57]Allah n’est pas obligé, p.53.

[58]– Éric LORET, Libération du 21 septembre 2000, p. 13.