Mondes africains

Psychanalyse et littérature orale (Une approche psychanalytique de mythes et de fabliaux africains)

La psychanalyse, dès sa naissance, s’est beaucoup intéressée à la littérature[i], découvrant dans les œuvres littéraires confirmation des hypothèses nées de l’observation de patients en analyse.[ii] Très tôt, cet intérêt s’est orienté vers les mythes[iii] ainsi que les contes européens[iv]. Enfin, une auteure, Marthe Robert, a analysé d’un point de vue psychanalytique divers romans européens en se basant sur les théories psychanalytiques[v]. Pour ce qui concerne l’Afrique Noire, les tentatives de lectures psychanalytiques d’œuvres littéraires sont assez isolées. J’ai essayé ailleurs d’interpréter les mythes de fondation de différentes sociétés africaines en partant d’un point de vue psychanalytique ; mais il s’agissait d’une analyse de textes anthropologiques et non pas spécifiquement littéraires.[vi] En 2005, Léontine Troh-Gueyes a mené une approche critique des textes d’un auteur africain[vii].

1. Mythes et mutations sociales

Le problème de la perte par les hommes de leurs repères habituels – qu’il faut, avec Nietzsche, appeler la mort de Dieu[viii] – a fait l’objet de préoccupations resurgissant à chaque tournant significatif de l’histoire. Cette histoire est elle-même vécue comme une série de désordres venant périodiquement affecter l’harmonie existante, laquelle est toujours établie en fonction de certaines valeurs jugées sacrées, consignées dans les lieux de la parole. La place de l’homme lui est définie par rapport à des figures divinisées, de sorte que, les modifications touchant essentiellement à cette sphère du sacré, on peut concevoir qu’elles perturbent l’ordre habituel des choses. Toute société humaine est édifiée sur une croyance en des puissances divinisées. Elle se fonde donc en réservant cette place des dieux. Les périodes de transition, de passage entre une forme de société et une autre constituent aussi des moments de brouillage symbolique. Les mythes ont pour fonction de créer des liens entre un moment historique donné et celui qui l’a précédé, pour mettre un terme au sentiment de dévalorisation des images paternelles manifeste pendant ces périodes. La confusion des catégories essentielles de classification des êtres et des choses qui résulte de ces pertes « du monde qui forme le cadre de l’existence et l’objet du savoir de l’homme »[ix] produit-elle une indistinction du même ordre sur les êtres parlants ? Qu’advient-il lorsque la parole pour tous se tait ? (La réponse de Nietzsche reste d’une actualité cruciale : « … Plus le désert croît, plus la perte des repères est profonde, plus ceux qu’on appelle « les faibles », c’est-à-dire les volontés divisées ou déstructurées, risquent de s’investir sur des certitudes qui les stabilisent, les unifient, leur fournit ce supplément d’autorité qui leur fait défaut et que des gourous improvisés leur fournissent clés en main. »[x])

2. Babel et la Pentecôte

Au cours de son séminaire sur l’identité, Claude Lévi-Strauss expliquait à André Green que la primauté du lien mère/enfant qui conduit les psychanalystes à mettre le complexe d’Œdipe  au premier plan de leurs préoccupations n’apparaît pas dans les sociétés extra-occidentales, où ce lien ne fait pas – ou fait peu – 1 ‘objet de réglementations spécifiques : « Dans la plupart des cas, les sociétés que nous étudions normalisent le rapport entre le mari et la femme, normalisent le rapport entre le père et son fils, mais ne normalisent pas – ou en tout cas pas au même degré – le rapport entre la mère et ses enfants. »[xi]  (En Occident non plus, ce rapport mère/enfant ne m’apparaît pas si normalisé que cela). Ainsi donc, la mère qui, pour les psychanalystes, est l’objet fondamental, en tant qu’essentiellement frappée d’interdit[xii] (prescriptions négatives), ne semble pas prise en considération par les règles sociales positives. Il faut supposer qu’une société s’édifie sur le déni de ce qui la fonde. Ces règles et ces normes qui règnent en surface ne sont que discours de couverture destinés à masquer ce qui se passe en profondeur, c’est-à-dire en réalité[xiii].  Profondeur toujours menaçante, hors d’Occident aussi bien :

« Ce que la tradition proclame [chez les Trobriandais], c’est le droit maternel, c’est le principe que l’unité de la parenté n’existe que sous une forme matrilinéaire, et que cette unité est la condition de toute affection, de tous les droits et devoirs. Mais, dans la réalité, on constate que c’est l’amitié et l’affection pour le père, la communauté d’intérêt et de désirs personnels existant entre lui et l’enfant, ainsi que le désir de secouer les chaînes de la loi exogamique, qui sont les véritables forces vives de la vie sociale […] C’est ainsi que les sentiments individuels de l’individu représentent, pour ainsi dire, le négatif sociologique du principe traditionnel de la structure matrilinéaire. »[xiv]

Il faut croire que 1 ‘on aurait affaire à des espèces de formations réactionnelles qui règlent tout, sauf l’essentiel. Mais aussi, la difficulté à réguler le rapport à la mère vient de ce que ce rapport est toujours intime et singulier : elle a affaire à chacun de ses enfants, l’un après l’autre. Sa fonction est d’individuation. Le père lui aurait alors affaire au groupe tout entier, de sorte à former une collectivité. C’est ainsi que la Pentecôte pourrait être lue comme l’annulation de Babel. Dans le premier récit, des gens qui parlent la même langue (langue maternelle), ne réussissent pas à communiquer et à constituer une communauté. Malgré leurs efforts, ils se dispersent un par un, comme s’ils ne se comprenaient pas, comme si chacun parlait sa langue propre. Dans le second cas, c’est le fait d’être tous ensemble, dans le même lieu qui l’emporte sur la divergence des langues :

« Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler dans d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Actes 2 : 1-4).

Cette communauté fondée par le haut, par l’esprit du père, estompe toutes les différences individuelles : « La multitude de ceux qui avaient cru n’étaient qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux. » (Actes 4 : 32). La mère fait les fondations du groupe, le père apparaît comme un couvre-chef collectif.

3. Quand le roi est nu

Quand le roi est nu, et que seul l’enfant peut le dire, il devient un nourrisson savant :

« Mais qu’est-ce qu’un nourrisson savant ? C’est ce bébé, onirique ou réel, qui se met brusquement à faire preuve d’un savoir étonnant, effrayant, et dit les vérités les plus profondes et les plus cachées, tout particulièrement aux membres de sa famille. S’il fait cela, dit Ferenczi, c’est pour se protéger des adultes devenus fous furieux : il se transforme en psychiatre. On imagine aisément ce que les adultes en question ont envie de faire à ce wize baby : le faire taire, au mieux ; et probablement, puisqu’ils sont fous furieux, le massacrer ! » [xv]

Quand un adulte prend seul le risque de le dire, il devient un indépendant[xvi]. Il s’agit, dans ces situations-là, toujours, de certains types de discours qui se perdent, d’une parole ordonnant le monde et instituant de certaines façons de faire qui se tarit. De sorte que ces questions rejoignent des préoccupations qui apparaissaient déjà chez des penseurs de l’Antiquité :

« Dans le sillage de son traité sur les délais de la justice divine, Plutarque consacra un dialogue à la disparition des oracles. La question est claire : à Delphes, un groupe de philosophes s’interroge : « Pourquoi les oracles se sont-ils tus ? » Pourquoi ce brusque silence après des siècles d’inspiration et de prophétie ? […] Or cette question, nous en héritons, alors même que le temple de Delphes est déserté. Par delà Hölderlin, interrogeant jusqu’à la folie la  raison de la désertification du Monde par la Parole, elle nous est léguée à travers les conditions de possibilité de la locution. Que quelqu’un parle, en effet, et il se confronte à la question de son rapport à la Parole, donc à celle de l’oracle. Car ce qui me fait parler et fonde mon droit à le dire, n’est-ce pas cette Parole, qui autrefois portait un nom divin et confère un caractère sacré à toute locution. C’est ce qui colore de quelque terreur sacrée le locuteur dès lors qu’il prend la parole, car il faut bien qu’il la prenne … à Quelqu’un. »[xvii]

Certaines sociétés disent d’ailleurs que l’acte consistant à prendre la parole constitue un problème en soi : il semblerait donc qu’il vaille mieux la laisser telle quelle, telle qu’on l’a trouvée en arrivant.[xviii] Ce qui entraîne l’établissement de règles pour gérer son utilisation, car ce qui est dit est fait. Les Samo par exemple disent : « Que t’ai-je donc dit ? » (Ma wan pene don ?) pour dire : « Que t’ai-je fait ? Pourquoi m’en veux-tu ?» Les Mossi disent yeelé pour dire : « dis » et yellé pour dire « problème ». Les Bambara emploient koo, « le dire » pour dire « problème ». Les Peuls désignent « problème » par haala, « le propos ». Une « parole solide, lourde » constitue un « problème sérieux, grave » ; les Samo disent ainsi boo guguru, « parole lourde », pour dire : « grave problème ». Une parole doit-elle toujours trébucher, ne pas tenir debout, être maladroite ?[xix] Dans certaines de ces sociétés, l’être humain de sexe masculin doit avoir un rapport « dés-abusé » à la parole. Il peut pleinement l’utiliser s’il en fait un discours sans sujet (récits ornés de proverbes, de dictons…). La femme en revanche peut artistiquement aménager son langage ; elle a le droit de faire un usage abondant, coloré, poétique, de la parole, de la consommer sans modération. Du même coup la parole féminine est la seule « historique », celle de l’homme résonnant, identique à elle-même, à travers les âges. Par les proverbes, l’homme s’épargne de dire en prétendant tout dire ; ceux-ci ne disent pas grand-chose en effet, ils laissent deviner, ils ont besoin d’être interprétés. Il l’utilise donc de façon à actionner chez l’auditeur des mécanismes d’identification, d’appropriation… Des gens particuliers occupent une position qui leur permet d’être dans un rapport plus libre à la parole. Les membres de castes sont souvent les fonctionnaires du verbe, les techniciens de la verve : les griots sont ainsi les maîtres d’une parole qui réconcilie sans cesse avec l’histoire, et les forgerons, les détenteurs des mots qui réconcilient les membres du groupe. Les détenteurs d’autres pouvoirs sacrés (les guérisseurs par exemple}, sont aussi propriétaires de manières de dire « oraculaires », auxquelles nul ne comprend rien mais qui intimident et imposent silence et respect.

Selon André Green, « La mythologie va apparaître comme une conséquence de la règle ou de l’interdit. […] Le mythe serait alors l’inter-dit, sur l’insoumission à l’interdit. Au respect social de la règle va répondre dans le discours collectif un champ d’extraterritorialité, analogue à celui du fantasme, où peut se dire ce qui ne doit pas être agi. Ceci implique une stratégie qui va devoir trouver les lois d’une rationalité qui régit les rapports à la réalité extérieure pour ne pas être passible d’interdiction […]. Le mythe joue alors une fonction régulatrice dans une société donnée qui donne licence à l’imaginaire, sous réserve que celui-ci soit reconnu comme tel et ne menace pas d’envahir le champ du réel. »[xx]  Cette description me semble également convenir à d’autres types de récits, tels les contes et les fables dans les sociétés à tradition orale.

Joseph Brun a publié un ensemble de textes peuls « recueillis à Kayes dans la région du Haut Sénégal [Mali]. Ils ont été dictés presque tous par des Toukouleurs (Hal Poularen), quelques-uns par des Fulbé de la région de Nioro. »[xxi] Brun en donne une transcription en langue peule et une traduction parfois quasi littérale qui pourrait être discutée, avec des notes tentant de préciser davantage le contenu de certaines expressions.

4. Le marabout et le captif

Un homme, marabout (Tyerno)[xxii] illustre, connaissant les écritures, avait un captif. Ce captif s’appelait Vendredi. Il fait travailler lui, beaucoup, il ne donne pas à manger à lui, il ne donne pas à boire à lui, il ne donne pas à lui d’habits, il ne donne à lui rien du tout.

Vendredi se fâcha, il se sauva, il alla chez un marabout autre. Il lui dit : « Marabout, je me suis sauvé de chez mon maître ; je viens chez toi, pour que tu me fasses une chose (hunde[xxiii]), afin que mon maître libère moi. »

Le marabout dit à lui : « Assieds-toi, que je te fasse une chose. » Le marabout écrivit pour lui d’écriture, il emmena lui dans la brousse, jusqu’à ce qu’ils fussent loin. Il dit : « Voici l’eau d’écriture, lave-toi. » Vendredi se lava, se lava, jusqu’à ce que l’eau soit finie. Il dit : « Marabout, j’ai fini. » Le marabout dit : « Viens, que j’examine, si l’eau consent. » Il vint.

Le marabout dit : « Vendredi ». Celui-ci dit : « Kouk! » (kuk[xxiv]). Il 1 ‘appela de nouveau. Celui-ci dit : « Kouk ! », cela se fit trois fois. Il dit : « Que tu retournes chez maître de toi, ne dis rien du tout » Vendredi rentra à la maison.

Il arriva, il entra dans le village, il trouva le marabout, qui était assis à la mosquée il instruisait les disciples tous. Le marabout leva le cou, il vit Vendredi, il dit : « La ilah ! avez-vous vu ce maudit ? ” Il dit : « Vendredi. » Celui-ci dit : « Kouk. »  Le turban du marabout en tomba. Il dit : « 0 Mahomet ! » Le captif dit encore : « Kouk. » Les feuillets s’envolèrent. Le marabout dit : « Astakferoullay ». Cela se fit trois fois. Il dit : « Maudit, va te cacher dans la maison. »

Les disciples vinrent, Vendredi partit, il entra dans la maison. La mère du marabout, dès qu’elle vit lui, elle dit : « La ilah! celui-ci certes, c’est Vendredi. » Celui-ci dit « Parr » (Parr[xxv]). Son pagne tomba. Elle dit : « Hé, malheur, Vendredi. »  Celui-ci dit : « Parr. » Son voile en tomba. Elle dit : « Va, maudit, je ne dirai pas la parole de toi » (mi ha lata hala ma). Vendredi passa dans l’intérieur du logis. La femme du marabout, la principale, le vit, elle dit : « Celui-ci certes, c’est Vendredi. »  Il dit : « Parr. » La ceinture de la femme s’en cassa. Elle dit : « Hé malheur, Vendredi. » Il dit : « Kouk. » Son collier s’en cassa. Elle dit : « Je ne nomme plus toi. » – Vendredi passa, il alla chez la deuxième femme du marabout ; elle dit : « Hé ! bonheur, où ce maudit était-il ? Hé Vendredi. Il dit : « Kouk. » Elle dit : « Lève toi d’ici, va, éloigne-toi là-bas. »

Le marabout vint, il dit : « Hé maman, avez-vous vu ce maudit ? » La mère du marabout dit : « Mais n’a-t-il pas trouvé toi à la mosquée ? » Il dit : « Il a trouvé moi, certes, à la mosquée. » La mère du marabout dit : « La maison entière est gâtée. »

Le marabout dit au captif : « Lève-toi, que j’aille vendre toi. » Ils allèrent, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent chez un homme. L’homme dit : « Dis ce que tu dis ? » (hal ko mbida[xxvi]). Il dit : « Donne m’en têtes de bétail trois. » Il dit : « Je consens. »  Il donne à lui têtes de bétail trois ; le marabout partit, il s’éloigna.

Vendredi dit : « Aujourd’hui tu as acheté moi, en vérité, tu ne sais comment je m’appelle. » Il dit : « Comment t’appelles-tu ? » Il dit : « Mon nom ? c’est un des jours de Dieu que je m’appelle. » L’homme interrogea lui, il dit : « Est-ce Samedi que tu t’appelles ? » Il dit : « Non. » Il dit : « Dimanche ? » Il dit : « Non. » Il compta les jours tous. Il dit : « Non. » Il dit : « Est-ce Vendredi que tu t’appelles ? » Il dit : « Kouk. » La ceinture de son pantalon se coupa. Il dit : « Hé malheur, sois sans force (wata barkin[xxvii]), va devant, que je ramène toi. »

Ils allèrent, il héla le marabout, il dit : « Hé l’homme, vite, arrête, attends-moi. » Le marabout dit : « Je t’abandonne vache une. »  Il dit : « Non, je ne consens pas. » Il dit : « Je te remets vaches deux, laisse moi que j’aille avec vache une. » Il dit : « Non, moi certes, je ne puis acheter un captif dont le nom de lui ne peut être dit, rends-moi mes vaches. »  Le marabout dit à lui : « Emmène les vaches de toi. » Il s’en retourna, et alla à la maison. Le marabout prit Vendredi, et frappa lui du poing sur la nuque, il dit à lui : « Pars, je abandonne toi à Dieu. »

Vendredi partit, il dit : « Moi en vérité je suis maitre de ma tête. »  Le marabout rentra chez lui.

Les difficultés liées à la traduction portent essentiellement sur la distinction entre « parler » et « dire ». Brun traduit par exemple la formule hal ko mbida (plus exactement : hal ko mbiDa) par « dis ce que tu dis » ; il donne donc le sens de « dire » à deux verbes différents : halude et wiude : la traduction la moins mauvaise qu’on puisse donner à la formule est :  « parle ce que tu as dit », « parle ce que tu es en train de dire ». Par ailleurs, lorsqu’il explique que l’homme veut dire par là : « dis quel prix tu veux de ton captif », il s’agit en réalité d’une interprétation. Cet homme ne sait pas encore ce que lui veut le marabout ; il s’enquiert simplement des raisons pour lesquelles le marabout l’a interpellé : « Parle ce que tu veux me dire ! » « Dis ce que tu as à me dire ! »

Lorsque le captif dit à l’homme qui vient de l’acheter : « tu ne sais pas comment je m’appelle », il me semble qu’il soit important, dans ce contexte, de savoir qu’en peul « comment je m’appelle » se dit « comment je me dis ». C’est donc quand on dit comment le captif se dit qu’il emploie les termes « kouk » et « parr », des onomatopées sans aucun sens, , qu’il dit des choses dont on ne peut pas dire simplement que ce sont des choses qui ne se disent pas, mais des choses qui ne sont pas des dires, qui ne veulent rien dire, qui sont hors langage. Chaque fois qu’on dit comment le captif se dit, celui-ci dit des pas-dires.

Lorsque Brun traduit mi halata hala ma par « je ne dirai pas la parole de toi », cette fois, il emploie deux mots différents (« parler » et « dire ») pour traduire halude et hala. On dira plus judicieusement donc : « je ne parlerai pas ta parole », c’est-à-dire « je ne prononcerai aucune parole te concernant ». Quand quelqu’un est sans valeur, toute parole le concernant est sans valeur, et ne mérite pas d’être dite.[xxviii]

Une série d’oppositions traversent le texte. D’abord celle entre « le marabout illustre, connaissant les écritures » mais qui ne respecte pas l’humain qu’est aussi le captif, et le second marabout dont on ne dit pas le degré de prestige, apparemment moins illustre que le premier, et qui va se montrer plus efficace, puisqu’il fait quelque chose qui défait les liens et que le premier ne peut annuler. Pour conférer au captif ses pouvoirs, le second marabout le sort du social (le village) et le conduit dans l’espace asocial, naturel, qu’est la brousse. L’« eau d’écriture » qu’il lui donne n’est pas à boire, à mettre à l’intérieur, mais est faite pour laver le corps, la surface extérieure. Lorsque le captif rentre dans le village et qu’il arrive à la mosquée où le marabout instruit les disciples, ceux-ci partent manifestement, puisque lorsque le marabout l’envoie se cacher dans la maison, les disciples reviennent, tandis qu’il part.

C’est chaque fois qu’on prononce son nom que le captif dit l’un des deux mots « grossiers-intraduisibles » qui défont les voiles ou les bijoux couvrant le corps de l’être humain pour le renvoyer à sa nudité originelle. Le marabout subit aussi l’effet de ce mot quand il jure au nom de Mahomet, tout comme si c’était un équivalent du nom du captif. A l’homme auquel le marabout le vend, le captif dit qu’il s’appelle comme un des jours de Dieu. Vendredi est le jour saint de l’islam, non pas un des jours, mais le plus important des jours de Dieu, ce qui explique sans doute qu’il ait le même poids que Mahomet. Le marabout, maître du captif, est d’abord agressé sur sa tête et en perd son turban. (lorsque Vendredi recouvre la liberté, il dira : « je suis maître de ma tête »). Ensuite, c’est sa fonction d’enseignant qui est visée, et il en perd ses feuillets. Les membres de la famille sont attaqués suivant leur ordre d’importance : d’abord la mère du marabout, puis sa première épouse, enfin sa seconde épouse. L’agression dénude la femme visée du bas vers le haut : tout d’abord, exhibition des parties génitales cachées par le pagne (mère), pagne retenu par la ceinture (première épouse), ensuite, retrait du voile (mère) et rupture du collier (première épouse). On ne nous dit rien de ce qui arrive à la seconde épouse. Pour Joseph Brun, « chaque fois que Vendredi prononce ce mot [grossier-intraduisible], l’étonnement est si grand, qu’il arrive un malheur à celui qui l’entend. Ce qui arrive à la deuxième femme est d’un réalisme tel que nous ne l’indiquons pas. » Peut-être finalement que rien n’est arrivé à la seconde épouse, d’un statut moindre que les deux premières femmes, en position dominée elle aussi, et qu’elle s’est contentée de chasser Vendredi simplement à cause de qu’il a dit. L’homme qui achète le captif, quand il prononce son nom, ne le faisant qu’une seule fois, voit ses parties génitales risquer d’être exposées.

Ces mots sans sens défont les liens (ceintures), dénudent la surface du corps, dévoilent les parties du corps que l’on doit tenir cachées. Or nous nous rappelons que l’eau d’écriture que le second marabout a confectionnée pour Vendredi a été utilisée par celui-ci pour se laver le corps. Comme s’il s’était enduit le corps d’une substance qui lui permet ensuite de défaire les enveloppes couvrant les corps de ses interlocuteurs.

5. L’ignorant et le naïf

L’ignorant et le naïf ont une chèvre unique. L’ignorant dit : « Hé, naïf, garde la chèvre, je vais dans la brousse ; jusqu’au soir je vais dans la brousse. » Il alla ; le naïf laissa la chèvre. Le naïf rejoignit l’ignorant. L’ignorant dit : « Hé naïf, où la chèvre est-elle ? » Il dit : « La chèvre est perdue. »

Il dit : « Marche, allons la chercher. » Ils partirent, ils vinrent vers un homme, qui piochait. Ils dirent : « Homme, n’as-tu pas vu la chèvre ? » Celui-ci dit : « Hé bonheur ! Vous dites que je pioche, et que je déplace les bornes, allons-nous faire juger. » Ils allèrent chez le marabout. Le marabout dit : « Dites les affaires de vous. » Ils les dirent. Le marabout dit : « Vous dites que je juge iniquement ? »

Le marabout dit à sa femme : « Donne-moi mon sabre, nous allons chez le chef du pays. » La femme du marabout dit : « Tu dis que tu répudies moi ? Sira, donne-moi mon panier, que je retourne à la maison de mon père. »

Sira dit : « Hé maman, tu dis que je pile, et que je mange la farine ? Malal est mon témoin. » Malal dit : « Hé bonheur, tu dis que j’aille couper du bois encore ; j’ai été couper du bois hier, j’ai été couper du bois aujourd’hui, ma hache n’en peut plus. » La hache reprit de dessous une natte, elle dit : « Cassée, brisée, elle est devenue brindilles. »

Pour Brun, « tout le piquant de cette histoire consiste en ce que chacun des interlocuteurs comprend tout de travers ce qu’on lui dit ». C’est doublement faux : il y en a qui comprennent parfaitement le locuteur, et les autres ne comprennent pas n’importe quoi, mais tout se passe comme si – en donnant un sens plus lâche à la formule de Lacan[xxix] – chacun recevait de l’autre son propre message sous une forme inversée. Chacun inter-prète ce qu’on lui dit, en prêtant à l’interlocuteur des pensées qui lui sont venues d’une manière bien déterminée et qui sont tout sauf arbitraires.

Les deux idiots se comprennent l’un l’autre, mais ils sont aussi les seuls humains à comprendre ce qu’on leur dit. Parmi les mammifères qu’élèvent les Peuls et les Toucouleurs (ovins, bovins, caprins), la chèvre est la plus difficile à garder car son principal défaut est la divagation. L’ignorant est ignorant puisqu’il ignore même qu’un naïf est incapable de garder une chèvre. Ce qui constitue le degré zéro du savoir. Le naïf fait ce qu’on sait qu’il fera : si on l’appelle naïf, c’est qu’on imagine bien qu’il lui est impossible de garder une chèvre.[xxx]

Chacun répond comme si la question constituait une accusation. Pour le cultivateur, c’est comme si on le soupçonnait d’avoir volé la chèvre. Et qu’est-ce qu’un cultivateur ferait d’une chèvre ? Si on l’avait soupçonné d’agrandir indûment ses champs, ce serait encore compréhensible : n’est-ce pas la tentation secrète qui anime tout cultivateur ? Et c’est à une telle accusation qu’il répond.

Comment le marabout peut-il savoir laquelle est vraie, entre l’affaire présentée par le cultivateur et la version des deux idiots ? Comment sera-t-il assuré que la décision qu’il prendrait sera juste ? S’il jugeait, ne jugerait-il pas iniquement ? C’est ainsi que c’est à une accusation de juger iniquement qu’il répond. Et d’autre part, quel juge peut-il être sûr de ne jamais juger iniquement ? (On connaît la formule évangélique : Ne juge pas ton prochain, car c’est par la loi avec laquelle tu auras jugé que tu seras jugé).

Le chef est absolument hors d’atteinte. Dès que son nom sera évoqué, toutes les relations seront interrogées, mises en question, tous les liens seront défaits. Liens d’asservissement, puisque chacun demande à un autre, en position dominée, qu’il se mette à son service. Les choses que l’on ne se dit jamais, celles qui doivent être tues pour qu’une vie commune soit possible, seront dites.  Jusque-là, tout était en mouvement : l’ignorant va dans la brousse, la chèvre erre, le naïf rejoint l’ignorant, tous les deux vont chercher la chèvre, et, avec l’agriculteur, ils se rendent chez le marabout. Mais à la mention du titre du chef – le seul qui ne soit pas pris dans les relations communes – les différentes tentatives de déplacement sont contrariées.

La femme du marabout est en face d’une situation qui la fait réfléchir : si son époux pique la mouche pour si peu, et veut aller voir le chef pour de telles broutilles, que devrait-elle penser, elle, de la manière dont il est amené à la traiter : peut-être veut-il qu’elle reparte chez son père, veut-il la répudier ? Et c’est à cette dernière éventualité qu’elle répond. D’autre part, quelle femme mariée ne rêve-t-elle pas de s’émanciper de la tutelle de son époux, et de retourner vivre dans la maison de son père où, dans beaucoup de sociétés africaines, on lui ferait une place de choix sans lui imposer les obligations liées à sa condition de femme ?

Mais Sira pourrait en dire autant, elle que sa mère fait piler, seule, comme si elle seule se nourrissait de la farine ainsi obtenue. Et c’est à cette idée de manger seule de la farine qu’elle réagit. Mais quelle pileuse n’est-elle pas amenée, de temps à autre, à manger la farine ?

Malal a plus de raisons de se plaindre encore, lui que Sira envoie couper du bois tous les jours que Dieu fait.

La hache est la seule à ne pas dé-lirer : elle comprend ce que dit son maître et confirme qu’elle n’en peut plus : « Cassée, brisée, elle est devenue brindilles. » Le seul être, hormis les deux idiots, qui parle comme d’habitude – même si elle parle d’elle-même à la troisième personne -, n’est donc ni humain, ni même vivant. Ou plutôt, elle est le seul être humain, le seul qui fasse un usage  humain du langage[xxxi]: le seul capable 1) de se camoufler puisqu’elle se cache sous une natte; 2) de mentir, puisqu’au lieu de se contenter de protester contre la besogne qu’on lui fait abattre chaque jour, elle prétend être détruite ; mais tel est aussi son destin : étant en bois elle ne peut que finir par être détruite, « cassée, brisée, devenue brindilles » ; 3) de s’identifier à l’assemblage de pailles (brindilles) tressées qu’est la natte ; 4) de se faire passer pour un(e) autre puisqu’elle parle d’elle-même à la troisième personne 5) dans l’intention de tromper l’auditoire; etc.

Ce texte parle donc de la défaite d’une « chaîne signifiante ». Chaque fonction, chaque position sociale est interrogée dans ce qu’elle permet de pire. Tous ceux qui sont en position dominée entendent, dans ce qui leur est dit, leur propre désir d’émancipation. Et prennent le risque de s’installer dans un monde devenu fou : de cette folie des risques suprêmes, limite de la liberté de l’homme.[xxxii]

6. Vérité, Mensonge et Politique

Birago Diop[xxxiii] nous présente le Mensonge comme étant un personnage bien crédule et qui croit, entre autres sottises, que l’homme ressemble à Dieu. Vérité et Mensonge qui sont aussi inconciliables que la nuit et le jour, décident cependant d’entreprendre ensemble un voyage. Pour être bien reçus partout où ils passeraient, ils pensent qu’il serait bon que Vérité parle pour les deux, elle l’aimée des Dieux.

Mais Vérité ne fait preuve d’aucune imagination, ne faisant que platement raconter ce qu’elle voit, et se contentant, sottement et bien imprudemment, de répéter que les choses sont telles qu’elles sont, que l’apparence est la réalité même, et que bien évidemment la femme est le véritable chef de famille et que le Roi est soumis à l’enfant. Ils se font ainsi chasser de partout. Ils décident alors de modifier leur stratégie : désormais, c’est Mensonge qui s’adressera aux éventuels hôtes.

Dans le premier village où ils arrivent, ils sont accueillis par des pleurs, des cris et des lamentations. L’une des épouses du Roi, la favorite comme de bien entendu, vient de mourir. Mensonge s’engage immédiatement à lui redonner vie en échange de la moitié des richesses royales. On les installe et les nourrit royalement. Dès que le marché est conclu, Mensonge se fait bâtir une case sur la tombe de la morte, et on l’entend creuser, puis se disputer… L’affaire se complique, explique-t-il au Roi en ressortant. Voici que votre défunt père veut lui aussi revenir à la vie, et qu’il me propose le double du prix que vous m’avez offert : c’est-à-dire tous vos biens.

Il retourne dans la case puis ressort de nouveau, dans un embarras évident. Tous les anciens Rois veulent en effet être ressuscités, et chacun promet la totalité des biens de son successeur plus la moitié des siens propres. Comme si malgré la mort, le Roi conservait encore ses biens, et que ses descendants s’en procuraient de nouveaux. Après mûre réflexion, le Roi décide de donner la moitié de ses biens à Mensonge, « pour n’avoir fait revenir personne de l’autre monde ». Sage décision, car le père avait été précipité dans la mort par l’action conjuguée du fils – l’actuel Roi – et des notables.

Le Mensonge révèle cette vérité-là. Le Mensonge qui prétend pouvoir (re)donner vie, ne se place-t-il pas dans une position féminine[xxxiv]?

Conclusion

Selon Claude-Edmonde Magny, « nous n’attendons pas [du critique littéraire] qu’il nous dise que lire, mais plutôt qu’il nous apprenne à lire, c’est-à-dire nous aide à apercevoir en filigrane, dans l’œuvre que nous aimons sans savoir pourquoi, le message qu’elle renferme, et qui, par trop de richesse ou trop de nouveauté, est passé inaperçu de nous. »[xxxv]  De cette proposition, il ressort que la lecture psychanalytique de la littérature occupe une place de choix dans la critique littéraire puisqu’elle semble être celle qui fait le mieux apparaître « le message que renferme » les textes étudiés. L’examen entrepris ici de différents textes a en effet permis de mettre à jour une compréhension radicalement éloignée de celle qui était généralement admise.

Pour ce qui concerne le conte de Birago Diop, étudié en dernier, par exemple, nous avons vu que c’est en allant à la recherche de la femme et de la mort que Mensonge rencontre ce qu’il en est des fondements de la société, à savoir que le fils a tué le père. L’intuition freudienne sur les fondements du social et de la culture, née à partir de l’étude du fonctionnement du système totémique en Australie[xxxvi], se trouve ainsi confirmée dans un conte africain. Le fils devra choisir entre une femme et son père. Il choisit de conserver la moitié de ses biens.

 

 

Bibliographie

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[i] « Freud recourut à l’analyse des œuvres d’art pour étayer ses théories et en particulier celle du complexe d’Œdipe, fondement sur lequel repose toute la théorie psychanalytique […]. Il déclare dans Dostoïevski et le parricide : « Ce n’est guère un hasard si les trois chefs d’œuvre de la littérature de tous les temps, L’Œdipe Roi de Sophocle, Le Hamlet de Shakespeare et Les frères Karamazov de Dostoïevski, traitent tous du même thème : le meurtre du père. »  (Rougé D, 2001 : « Les lectures psychanalytiques des œuvres littéraires », in Synergies Pologne, numéro 8, pp. 13-20, p. 14).

[ii] On trouvera une recension complète des textes de Freud consacrés à la littérature et une analyse des rapports que Freud entretenait avec la littérature dans Assoun P.-L., 1996 : Littérature et psychanalyse, Freud et la création littéraire, Paris, Ellipses.

[iii] Voir Rank O., 1909 : Le mythe de la naissance du héros, Paris, Payot, 1973.

[iv] Cf. Bettelheim B., 1976 : Psychanalyse des contes de fées, Paris, Bernard Laffont.

[v] Robert M., 1972 : Roman des origines et origines du roman, Paris, Bernard Grasset.

[vi] Barry A., 2003 : « Le génie des origines et l’ethnie de l’ancêtre », in La double inscription. Anthropologie et psychanalyse : réflexions, Paris, L’Harmattan, pp. 20-78.

[vii] Troh-Gueyes L., 2005 : Approche psychocritique de l’œuvre littéraire d’Henri Lopez, Thèse de Doctorat, Université de Cocody.

[viii] « Le caractère tragique de cet effacement du centre de gravité traditionnel de toute chose, y compris de l’univers humain, ne peut donc pas être minimisé, ni la mort de Dieu tenue pour la disparition d’un songe, d’une illusion ou d’un cauchemar après quoi l’humanité trouverait enfin sa vitesse de croisière, ou bien déboucherait dans le règne de la raison libérée ou de la société maîtresse d’elle-même et émancipée des aliénations ancestrales. » « Avec l’effacement des références ultimes qui orientaient la vie des hommes et qu’on synthétisait sous le nom de Dieu, centre de gravité de toute chose, ce n’est pas seulement la sphère religieuse qui est affectée, c’est l’ensemble des relations sociales … » (Valadier P., 200 : « Dieu est-il mort? », in Nietzsche, numéro hors-série du Nouvel Observateur, pp. 32-35).

[ix] Koyré A., 1957: « Avant-propos » de Du monde clos à l’univers infini, Paris, Gallimard, 1973.

[x] Paul Valadier, ibid.

[xi] Lévi-Strauss C. (dir.), 1976 : L’identité, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1987, p. 100.

[xii] « Ce que nous trouvons dans la loi de l’inceste se situe comme tel au niveau du rapport inconscient avec das Ding, la Chose. Le désir pour la mère ne saurait être satisfait parce qu’il est la fin, le terme, l’abolition de tout le monde de la demande, qui est celui qui structure le plus profondément l’inconscient de l’homme. C’est dans la mesure même où la fonction du principe de plaisir est de faire que l’homme cherche toujours ce qu’il doit retrouver, mais qu’il ne peut atteindre, c’est là que gît l’essentiel, ce rapport qui s’appelle la loi de l’interdiction de l’inceste. » « Le pas fait, au niveau du principe de plaisir, par Freud, est de nous montrer qu’il n’y a pas de Souverain Bien, que le Souverain Bien, qui est das Ding, qui est la mère, l’objet de l’inceste, est un bien interdit, et qu’il n’y a pas d’autre bien. » (Lacan J., 1959-1960 : Le Séminaire livre VII : L’Ethique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, pp. 83 et 85).

[xiii] « La société était le monde de la profondeur. […] Et cette profondeur menaçait en permanence ce qu’en surface […] on disait d’elle. […] A cette profondeur de la société, le social oppose à présent l’organisation en surface des liens sociaux. » (Donzelot J., 1984 : L’invention du social, Essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Fayard, p. 251).

[xiv] Malinowski B., 1927 : La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, Paris, Payot, 1972, p. 92.

[xv]  Gantheret F., 1984 : « Les nourrissons savants », in Incertitude d’Eros, Paris, Gallimard, pp. 133-160, p. 133.

[xvi] « Il n’appartient qu’au plus petit nombre d’être indépendant : c’est un privilège des forts. Et qui s’y essaye, même nanti du droit le plus strict, mais sans y être contraint de toute nécessité prouve par là qu’il n’est probablement pas seulement fort, mais encore téméraire jusqu’à l’exubérance. Il s’engage dans un labyrinthe, il multiplie par mille les dangers que la vie, en soi, apporte déjà avec elle ; dont le moindre n’est pas que nul ne puisse voir de ses yeux comment et où il s’égare, se retrouve seul et se fait mettre en pièces par quelque Minotaure hantant les cavernes de la conscience. A supposer qu’un tel individu périsse, cela adviendra si loin de la compréhension des hommes qu’ils ne pourront ni le ressentir ni compatir : et il ne peut plus revenir en arrière ! Il ne peut même plus rallier la pitié des hommes ! » (Nietzsche F., 1886 : Par-delà bien et mal, Paris, Flammarion, 2000, p. 80).

[xvii] Assoun P-L., 1984 : L’entendement freudien, Logos et Anankè, Paris, Gallimard, pp. 85-86.

[xviii] « Notre civilisation traite le langage d’une façon qu’on pourrait qualifier d’immodérée : nous parlons à tout propos, tout prétexte nous est bon pour nous exprimer, interroger, commenter… Cette manière d’abuser du langage n’est pas universelle ; elle n’est même pas fréquente. La plupart des cultures que nous appelons primitives usent du langage avec parcimonie ; on n’y parle pas n’importe quand et à propos de n’importe quoi. Les manifestations verbales y sont limitées à des circonstances prescrites, en dehors desquelles on ménage les mots. » (Lévi-Strauss C., 1952 : « Linguistique et anthropologie », in Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, pp. 83-97).

[xix] « Rien n’est dicible de ce qui importe vraiment, et cette impossibilité est le moteur de toute parole. » (Roger-Pol Droit R.-P., 1988 : « Curriculum vitae et cogitatorum », in La liberté de l’esprit, n° 17, p. 27).

[xx] Green A., 1980 : « Le mythe : un objet transitionnel collectif. Abord critique et perspectives psychanalytiques », in La déliaison, Psychanalyse, anthropologie et littérature, Paris, Les Belles Lettres, 1992, pp. 147-179, pp. 151-152.

[xxi] R. P. Brun J., 1919-1920 : « Recueil de fables et de chants en dialecte Hal Poular », in Anthropos, XIV-XV, pp. 180-214.

[xxii] Tyerno, pl. serinBe : nom donné chez les Toukouleurs à ceux qui enseignent le coran.

[xxiii] Hunde : chose. Cette demande adressée à un marabout signifie une amulette, un sort.

[xxiv] Mot grossier-intraduisible.

[xxv] Parr : Mot intraduisible.

[xxvi] Dis quel prix tu veux de ton captif.

[xxvii] Wata barkin : « Ne sois pas béni », manière de dire : Sois maudit.

[xxviii] « Les choses qui ne peuvent pas être dites ne méritent pas de noms. » (Kourouma A., Les soleils des indépendances, Paris, Le Seuil, collection « Points », 1970, p. 151).

[xxix] « La structure de la parole implique dans l’Autre que le sujet reçoive son propre message sous une forme inversée. »

[xxx] A ce propos, il me revient une histoire – vraie – d’imbécile qui fait beaucoup rire les Peuls du pays samo (Burkina Faso). Le chef dit à l’imbécile : « Demain matin, il faut que tu viennes me voir de bonne heure, car je vais t’envoyer chez X du village de B. » – « Entendu !», répond l’imbécile. Le lendemain, le chef le croise par hasard dans l’après-midi et lui demande : « Que s’est-il passé, ne t’es-tu pas souvenu de ce que je t’ai dit hier ? » – « Si, répond l’imbécile, je suis d’ailleurs allé très tôt ce matin chez X et suis de retour depuis midi. » – « Et que lui a-tu dis ? », s’enquiert le chef. L’histoire ne le dit pas, mais le plus con dans l’affaire n’est pas celui qu’on croit : si le message que le chef avait à transmettre à X était réellement urgent et important, ce n’est certainement pas à un imbécile qu’il aurait confié une aussi délicate mission. C’était comme s’il avait voulu simplement tester la capacité d’un imbécile à se souvenir le lendemain de ce qu’on lui aurait dit un jour et à retrouver une personne dans un village donné ; ce que l’imbécile lui a prouvé.

[xxxi] « Le langage de l’homme, cet instrument de son mensonge, est traversé de part en part par le problème de sa vérité :

  • soit qu’il la trahisse en tant qu’il est expression de son hérédité organique […],- de la culture et de l’histoire qui font son humanité, dans le système sémantique qui l’a formé enfant,
  • soit qu’il manifeste cette vérité comme intention, en l’ouvrant éternellement sur la question de savoir comment ce qui exprime le mensonge de sa particularité peut arriver à formuler l’universel de sa vérité. »

(Lacan J., 1948 : « Propos sur la causalité psychique », in Ecrits 1. (Texte intégral), Paris, Le Seuil, 1999, pp. 150-192, p. 165)

[xxxii]  « Le risque de la folie se mesure à l’attrait même des identifications où l’homme engage à la fois sa vérité et son être. Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle soit pour la liberté « une insulte », elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté. » (Lacan J., 1948, op. cité, p. 175).

[xxxiii] Diop B., 1961 : « Vérité et Mensonge », in Les contes d’Amadou-Koumba, Paris, Présence Africaine.

[xxxiv] « Le dévoilement du signifiant le plus caché, qui était celui des Mystères, était aux femmes réservé. » (Lacan J., 1966 : « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine », in Ecrits II, Paris, Le Seuil, 1999, p. 302.)

[xxxv] Magny C-E., 1971 : Littérature et critique : recueil de textes extraits de diverses revues (1940-1960), Paris, Payot, p. 41.

[xxxvi] Voir Freud S., 1912-1913 : Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Paris, Payot, 1965.+