Résumé :
Cet article est un plaidoyer pour le CamFranGlais, une langue créole née du contexte multilingue camerounais. Il tend à démontrer que, contrairement à une certaine opinion dévalorisante du CamFranGlais, cette langue, si une mobilisation des chercheurs est faite au tour, est une langue d’avenir et d’espoir pour le un Cameroun qui croupi encore sous le poids des ravages de son passé colonial, notamment son embrigadement dans un système de pensée « francodoxe » ou franco-centré entretenu en bonne partie par l’usage de la langue français, qui entrave sa marche vers l’émergence. Son argumentaire repose sur un postulat simple : de la même manière que la langue française est un composite d’autres langues qui permit jadis à la France de s’affranchir de l’hégémonie romaine, le CamFranGlais dont le processus d’émergence est le même constitue une source d’espoir pour le Cameroun qui, 50 ans après les indépendances, peine toujours à se défaire de la présence coloniale. A côté de cette autre opinion qui, constatant aussi les ravages du français sur l’existence socioculturelle, politique et économique des ex colonies françaises, pourfend une revalorisation des langues locales, nous soutenons ici que dans tout contexte de diversité linguistique, une langue véhiculaire est nécessaire et que, dans le contexte camerounais, le CamFranglais est une aubaine qu’il faut saisir d’autant plus que, loin d’occulter nos langues d’origine, il les intègres tout en les conjuguant avec notre passé colonial, nous conférant in fine une identité linguistique propre ; point de départ d’un affranchissement culturel et politico-économique.
Interrogés sur les voies de sortie par lesquelles l’Afrique pourrait s’élever de sa bien morose situation actuelle, la plupart des observateurs avertis de ce continent s’accordent à l’idée qu’elle a besoin avant tout de retrouver la plénitude de sa souveraineté qui, elle-même, est avant tout tributaire de son affranchissement culturel. Si donc on admet que la souveraineté et le développement de l’Afrique passent avant tout par une révolution culturelle, peut-on se permettre d’éluder la question de la langue ? En tant que principal support culturel, la langue n’apparaît-elle pas dans ce cas comme cet instrument de bataille dont il faut absolument avoir le contrôle? Etablissant « le principe de communauté de langue comme principe d’assimilation supérieur, [Onésime Reclus affirmait que dès] qu’une langue a “coagulé“ un peuple, tous les éléments “raciaux“ de ce peuple se subordonnent à cette langue.»[1] Cette affirmation qui n’est qu’un euphémisme dans le contexte de l’Afrique francophone pose l’urgente nécessité pour les anciennes colonies de questionner ce qui leur tient lieu de langues officielles aujourd’hui : quel traitement faut-il donc réserver à ces langues héritées de la colonisation quand on sait que le fait d’en être des locuteurs « locataires » nous place en permanence en situation d’insécurité, au propre comme au figuré, avec tout ce que cela comporte de compromettant dans nos rapports avec ses locuteurs natifs vraisemblablement atteints d’une boulimie impérialiste incurable ? Le degré d’africanisation de ces langues observable aujourd’hui est-il suffisant pour nous permettre de nous affranchir culturellement? Est-il réaliste de penser à retourner à nos langues d’origine comme le clame une certaine opinion? Les langues créoles comme le Pidgin english ou le Camfranglais ne représentent-elles pas finalement le mieux notre spécificité culturelle et identitaire actuelle pour être les plus aptes à nous mener vers cet affranchissement linguistique et culturel tant rêvé? Ce questionnement sous-tend notre raisonnement à la DIC, entendez Défense et Illustration du CamFranGlais, une association qui croit en l’avenir de cette langue et dont le but est d’œuvrer à la sortir de ce ghetto où elle végète avec la bénédiction des défenseurs impénitents de l’ordre colonial.
Un français [et un anglais] bien à moi, il est tard pour faire marche arrière. A la limite, je leur autorise à définir des espèces de territoire linguistiques qui spécifieront bien ma dimension identitaire. (…). Bref je leur demande d’œuvrer pour ce néo-français [et ce néo-anglais] irréversible[s] qu’ils m’ont “aidé“ à enclencher. Entreprise inévitable pour laquelle je suis prêt à leur apporter mon maigre concours [s’ils y accordent du prix, à œuvrer moi-même s’ils n’y trouvent aucun intérêt]» (P. E. Kamdem, 2004:19)
C’est un fait, au nom de la science ou de ce qui en tient lieu parfois, l’Afrique s’est vue enrôlée dans un système de pensées et de valeurs eurocentriques qui, depuis plus d’un demi siècle, le dessert autant qu’il sert l’Occident : « Certes, la science a l’universel comme vocation. Mais nous savons aujourd’hui combien l’universel est étroitement lié à l’ethnocentrisme et combien ceux qui nous ont vendu cher les valeurs de l’universel ont le plus souvent érigé leurs propres valeurs, pour ne pas dire leurs fantasmes, en système universel[1]. (Ambroise Kom, 2000 : 6) En fait, sous le paravent d’un pseudo universalisme[2] dont ils sont le seul centre d’intérêt, l’Occident nous a jusqu’ici imposé sa vision du monde dans quasiment tous les domaines de notre existence.
Ceci dit, à chaque époque sa révolution. L’heure est venue pour que l’Afrique pense à élaguer ce cordon ombilical qui la lie à l’Occident depuis sa mésaventure coloniale et qui la garde « têtument» sous le paternalisme de ce dernier autant qu’il contribue lamentablement à la maintenir comme un éternel clochard au bas de l’échelle des progrès de l’humanité. Et si on admet que c’est une bataille qui doit se livrer sur plusieurs fronts (politique, économique, scientifique…), il reste constant que la bataille victorieuse est culturelle. De fait, c’est plus qu’une lapalissade que de dire que, mis à part 4 siècles d’esclavage, l’expropriation culturelle est le seul véritable outrage que l’Afrique a connu et dont les séquelles sont de véritables barricades hissées le long du chemin qui mène à son développement. Et si la reconquête de son autonomie culturelle s’envisage en termes de bataille, l’Afrique ne peut l’entreprendre sans asseoir une stratégie de lutte. Aussi, en tant que principal support culturel, la langue s’avère-t-elle l’instrument de bataille privilégié.
Ceci revient à s’interroger sur ces langues coloniales qui nous servent de système de communication : quelles fonctions ont-elles dans notre situation actuelle de continent culturellement à la remorque de l’Occident, avec tout ce que cela implique comme préjudice socioéconomique et politique ?
A ce propos, deux sons de cloche résonnent au sein de l’intelligentsia africaine : reconnaissant que l’adoption de ces langues au détriment des langues nationales handicape sérieusement notre processus de développement, une certaine opinion promeut le retour aux sources, par la valorisation et l’officialisation des langues nationales, comme seule façon de venir à bout des ravages des langues coloniales en Afrique. A l’opposé, d’autres voix soutiennent mordicus que les langues coloniales ont subi une si grande métamorphose en Afrique, une telle africanisation qu’il n’en reste plus rien du colonisateur à craindre. A ces derniers, on pourrait objecter que la tropicalisation du français ne change rien à la nature du lien que cette langue instaure entre son locuteur second que nous sommes et son locuteur originel qu’est le Français de France; que l’adoption de la langue d’autrui, du moment où elle se fait au détriment de la langue originelle de celui qui l’adopte, modélise le locuteur premier (ou originel) aux yeux du locuteur second et, par voie de conséquence, tend à uniformiser les valeurs au détriment de ce dernier qui vit alors dans un suivisme automatique de son modèle culturel, que cette réalité-là est encore d’actualité en Afrique. En effet, « n’est-il pas illusoire de penser qu’une culture africaine authentique peut renaître et se développer en français sans nécessairement s’intégrer dans un moule culturel et éducatif étranger ?» (A. kom, 2000 :101) On se souvient à ce propos que, chantant les vertus du français, Senghor disait que « notre attachement à la langue [française] ne serait pas si tenace s’il ne signifiait pas attachement à la culture française[3]? » Car en réalité, « [d]ès qu’une langue a “coagulé“ un peuple, tous les éléments “raciaux“ de ce peuple se subordonnent à cette langue »[4], vu qu’ « une langue n’est pas seulement un “instrument“ de communication : elle véhicule nécessairement une cosmogonie, une vision du monde, bref une culture (…)[5].» Donc, en idéalisant les langues étrangères en Afrique comme ce fut le cas en contexte colonial, on en modélisa les locuteurs originels et par voie de conséquence leurs mœurs et leurs modes de pensée auxquels nous nous attelons quotidiennement et quasi spontanément à nous référer[6]. Notre conformisme vis-à-vis de ce locuteur modèle qui lui ouvra les portes à notre univers de pensée —et c’était inéluctable dès lors qu’on l’érigea en étalon de nos propres valeurs—, lui donnant quasi automatiquement voix au chapitre dans nos vies politique et économique sur lesquelles il règne aujourd’hui de façon discrète, mais subtile et efficace pour que nous continuions à lui servir de vache à lait malgré les indépendances. En fait, eu égard à leur contexte d’implantation en Afrique, les langues occidentales ne pouvaient s’« impos[er] à la conscience africaine qu’en évinçant et en marginalisant les langues autochtones et la somme de réflexion religieuse, politique et esthétique que celles-ci véhiculaient[7] », devenant ainsi un véritable « instrument de domestication des esprits [africains] » [8]et un sérieux handicap pour le développement du continent. C’est du pur sophisme que de ne pas reconnaitre que la simple conscience, même enfouie, de n’être que des “locuteurs locataires“ d’une langue pourtant officialisée sur notre territoire national nous met dans une posture d’infériorité, mentale tout au moins, par rapport à ses “locuteurs originels“, autant qu’elle nourrit chez ces derniers un sentiment et un réflexe hégémoniques. Dans un tel rapport, l’autre tire toujours le meilleur parti : si une fraction des écrivains africains d’expression française en est aujourd’hui à se réclamer d’une « littérature monde », c’est en réaction au statut d’écrivains de seconde zone qu’on leur assigne dans les institutions littéraires françaises : guidées par des schèmes de pensée fondés sur l’infériorité proclamée des locuteurs non originels du français, ces institutions n’aboutissent tout logiquement qu’à une dévaluation automatique des littératures concernées. Le concept de littérature francophone, par démarcation à celui de littérature française, alors même que la France fait partie intégrante de la Francophonie, ne relève ni plus ni moins que d’une volonté de « ghettoïsation » des littératures d’expression française hors de France. De même, toute l’armada critique qui pèse de son poids mort sur la francophonie institutionnelle depuis pratiquement sa création tire son essence de la posture de membre privilégié, qui ne va pas sans velléités hégémoniques (sur le triple plan culturel, politique et économique), dont la France y bénéficie. Une posture qui va de soi tant il est vrai que seule la langue française de France y est servie, au déjeuner comme au dîner. Et si toutes ces critiques sont de véritables cris aux oreilles de sourds, c’est justement parce que la France est consciente de ce que, par sa langue, l’unique partagée au sein de cette l’institution, « la francophonie [est le lieu par excellence] de vulgarisation et de promotion de l’unique culture française (…)[9]». La France n’ignore non plus que tant que le français sera la seule langue de la francophonie et de son espace, « les intellectuels francophones africains au rang desquels les écrivains et universitaires ne peuvent créer, penser et s’exprimer librement que sous [son] contrôle[10] », sous la canalisation d’une « francodoxie » qui lui préserve en permanence son hégémonie et donc ses intérêts insoupçonnés et insoupçonnables en Afrique. Tout ceci est légitime et de bonne guerre pour la France, en même temps que cela témoigne de toute la nécessité pour l’Afrique de s’affranchir de « ce butin de guerre », de cet héritage colonial qui a tout l’air d’un cadeau empoisonné. Il est clair qu’ « il ne pourrait y avoir de libération politique, économique ou technologique qui ne s’accompagnerait point d’une autonomie linguistique[11] ». Face à cette urgence, les pays africains ont certainement plusieurs options. Et si la tropicalisation de la langue française ne suffit pas, comme nous venons de le voir, à affranchir l’Afrique du joug colonial, faut-il songer à un retour aux sources tel que promu par les nationalistes ?
Dans le cas du Cameroun qui nous intéresse, c’est ce retour aux sources par la promotion de nos multiples langues qui est visiblement la voie adoptée, en témoignent les efforts consentis dans l’enseignement des langues nationales ces derniers temps. Et si on se construisait plutôt une identité linguistique à partir de l’imbroglio culturel qui nous caractérise actuellement ???? Cette deuxième option que la DIC soutient a plus d’un mérite : c’est une option bien plus réaliste que celle des nationalistes: les mentalités sont essentiellement évolutives et non régressives. Du coup, sans militer pour un ensevelissement définitif de nos langues originelles, il y a du mal à penser qu’un peuple puisse réellement retourner à ses racines après tant d’années de métissage culturel comme l’envisage l’option traditionaliste: observons à notre décharge que même les tenants d’un retour aux sources ne sont pas à même de faire une seule phrase en langue locale sans que celle-ci ne se trouve maculée (par déficit lexical, mais par réflexe très souvent), d’emprunts linguistiques étrangers. Elle a ensuite le mérite de taire les élans d’égoïsme que pourrait engendrer l’option utopique d’un retour aux sources. En effet, au vu de la « glottopolitique » actuelle et face à la grande diversité ethnique et linguistique qui caractérise le Cameroun, il faudra bien un jour ou l’autre faire face à la nécessité d’adoption d’une langue véhiculaire parmi les langues nationales si on veut liquider le contentieux colonial. Décision qui se heurtera alors aux égoïsmes habituels, comme ceux qui stagnent le projet de l’unité africaine initié depuis Kwame Nkrumah; en l’occurrence cette obsession de leadership des décideurs africains. Or l’option de la DIC a justement le mérite de choisir toutes les langues sans en choisir une de façon spécifique ou prioritaire, dénouant ipso facto tout conflit de leadership ethnico-linguistique à venir. Cette option a en outre l’avantage, non seulement de faire émerger une langue qui consolidera l’unité nationale de par son caractère véhiculaire ou unificateur, mais aussi de préserver et d’entretenir la mémoire historique du Cameroun dont elle fait la synthèse des vécus linguistiques. « Revendiquer comme on le fait au Cameroun (…) l’héritage anglophone ou francophone paraît [si] absurde qu’on peut (…) se demander s’il est possible de définir la camerounité en dehors des impérialismes divers. Certes, on ne saurait nier ni l’anglophonie ni la francophonie, mais ne s’agit-il pas simplement d’éléments parmi tant d’autres qui peuvent contribuer à façonner une identité qui sera nécessairement faite d’éléments hétérogènes[12]. » (Ambroise Kom, 2000 : 10). Faire le choix du CamFranGlais donc, puisque c’est pour cette langue que milite l’ADIC, c’est s’inscrire en faveur de ce métissage culturel qui extrait l’homme contemporain de ce renfermement inhérent à une conception ultranationaliste de la culture, et qui lui confère par une « identité rhizome[13] » une ouverture au monde et une interculturalité, gages de paix et de cohésion sociale pour les sociétés modernes.
Entre ceux qui prônent un retour aux langues locales comme l’antidote d’un français culturellement et économiquement ravageur en Afrique d’une part, et ceux qui pensent que le français en l’état actuel ne présente plus aucune menace pour l’univers socioculturel et économique de l’Afrique d’autre part, nous emboîtons le pas aux seconds, non pas pour admettre que le français ne présente plus de menace, mais pour admettre qu’effectivement, la tropicalisation de cette langue en a limité la dangerosité en Afrique ; que plus ce processus se poursuit, mieux ce sera pour les Africains, et qu’en ce qui concerne le Cameroun, le CamFranglais est le stade ultime de cette domestication ; que la codification et l’officialisation de cette langue sonneront le glas de l’impérialisme français au Cameroun et ouvriront l’ère nouvelle d’une autonomie de pensée et d’agir retrouvée[14] ; que par le CamFranglais, nous nous dotons, pour l’instant, d’un français ou d’un anglais propre à nous, mais qu’au terme de ce processus d’appropriation linguistique, c’est d’un langage et d’une langue authentiques et libérateurs des chaînes d’une pensée néocoloniale que nous enrichirons ; que par le CamFranGlais, nous sortons d’un modèle de référence occidental, d’un système de pensée « francodoxe », pour terrasser et baliser du même coup le terrain escarpé d’une libération politique et économique[15].
La DIC, entendez Défense et Illustration du CamFranGlais, se veut une association qui milite pour la reconnaissance, le perfectionnement et la valorisation du CamFranGlais. Au départ de ce mouvement, la ferme conviction que le CamFranGlais est la langue d’avenir pour le Cameroun. En effet, nous épousons grandement la querelle des auteurs du mouvement de la créolité et de bien d’autres intellectuels africains qui pensent qu’une identité multiple (ou créole) est l’arme par laquelle les sociétés modernes, celles notamment qui ont jusque-là croupi sous le poids d’un dictat occidental, doivent efficacement faire leur mue face à la mondialisation et son cortège de dommages. Nous prônons l’idée d’une identité culturelle camerounaise créole qui mêlerait les legs typiquement camerounais et ceux de ses ex colonisateurs, la France[16] et la Grande Bretagne en l’occurrence. Nous pensons avec Raphaël Confiant que le refus de notre créolité, une réalité incontestable pourtant, fait le lit d’une identité unique occidentale qui avance masquée derrière un prétexte de multiculturalisme (ou universalisme).
“CamFranGlais“ est un acronyme dont les trois composantes syllabiques sont “Cam“ pour langues camerounaises, “Fran“ pour langue française et “Glais“ pour langue anglaise. Il s’agit donc d’un triptyque qui traduit fort bien le métissage linguistique et culturel dans lequel baigne ce pays depuis sa réunification en 1972, après sa mise sur tutelle franco-britannique par la SDN, laquelle fut précédée par sa colonisation allemande[17]. C’est une langue née dans un contexte multilingue (le Cameroun dénombre plus de 248 langues en plus de ses deux langues officielles). Contexte qui, associé à une « mièvre glottopolitique étatique[18] », ont constitué un véritable fertilisant pour l’éclosion du CamFranglais sur le sol camerounais après son indépendance —c’est dire que l’apathie politique camerounaise aura porté des fruits ici— Depuis lors, le CamFranGlais fait son bonhomme de chemin en milieu jeune sous le regard dépité et impuissant de ses détracteurs, une certaine élite pitoyablement formatée pour perpétuer une doxa franco-centrée, pour défendre une norme qu’elle-même ne maîtrise parfois que très peu. Dans leurs tentatives d’inhumation de cette langue à peine née —pour des raisons plutôt égocentriques en général car les nouveaux colons africains, les larbins de l’establishment colonial, travaillent au quotidien à pérenniser l’ordre établi au détriment de leurs peuples. C’est le prix à payer pour garder éternellement un trône qui, même 50 ans après les indépendances, est encore conféré et contrôlé depuis un certain centre[19]—, ces derniers recourent généralement à une stratégie qui repose sur la banalisation et le dénigrement, taxant ses locuteurs, à tort ou à raison, de toutes les insuffisances possibles. Mais leurs cris de détresse n’ont jusque-là vraisemblablement été que de l’huile jetée sur le feu. La floraison des productions artistiques en CamFranGlais en dit long, d’où d’ailleurs sa réputation de « langue des artistes ». A ces « francodoxes » malgré eux, à ces puristes du français aux ordres, à ces détracteurs du CamFranGlais et autres sceptiques de tous genres qui ne voient aucun avenir à cette langue, on a tout simplement envie d’envoyer lire l’histoire de la langue française qu’ils idolâtrent tant aujourd’hui.
Voilà supra, nos ambitions et motivations. Nous ne sommes habités par aucune illusion quant à l’acceptation d’un tel projet tant pantagruélique que mal venu dans une société où les esprits sont formatés presqu’à jamais pour servir de lèche-cul à la France et à l’Occident. Cependant, ces obstacles confortent notre détermination à contribuer à sortir le CamFranGlais de la ghettoïsation dans laquelle nos gouvernants s’efforcent de le maintenir, car comme le dit si bien le dicton, seuls les arbres fruitiers subissent l’acharnement des passants. En attendant, rien n’est mal d’espérer que les Camerounais de tous bords, partageant le rêve d’un Cameroun définitivement libéré du joug colonial, trouvent, comme nous ici, le chemin qui y mène et militent en sa faveur.
Références bibliographiques :
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- Provenzano François, Vies et mort de la francophonie, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2011
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- Robert Fotsing Mangoua, “Mongo Beti, Ambroise Kom, Patrice Nganang: “De la Francophonie comme piège“, Nka, N°6, 2007, pp.35-50
- Jean-Pierre Fogui, plaidoyer pour notre culture, Edition de la Renaissance, 1995
- Wolton Dominique, Demain la francophonie, Paris, Flammarion, 2006
[1] Cité par François Provenzano, 2011 :98
[2] « L’option universaliste peut s’incarner dans plusieurs figures. L’ethnocentrisme mérite d’être mis en tête, car il est la plus commune d’entre elles. Dans l’acception ici à ce terme, il consiste à ériger, de manière indue, les valeurs propres à la société à laquelle j’appartiens en valeurs universelles. L’ethnocentrisme est pour ainsi dire la caricature naturelle de l’universaliste : celui-ci, dans son aspiration à l’universel, part bien d’un particulier, qu’il s’emploie à généraliser ; et ce particulier doit forcément lui être familier, c’est-à-dire, en pratique, se trouver dans sa cultre (Todorov dans : Nous et les autres1989 cité par A. Kom2000 : 6)»
[3] En substituant le concept d‘universalité par celui de « diversalité » plus apte selon lui à traduire l’hétérogénéité et ou la diversité du monde, Edouard Glissant semble avoir parfaitement compris la supercherie qui se dissimule derrière ce concept d’universalisme.
[4] Cité par Achille Mbembe, 2007
[5] Onésime Reclus, cité par François Provenzano, 2011: 98
[6] Jean-Pierre Fogui, 1995: 7
[7] Sartre déclara à ce propos : « une langue étrangère habite [les Africains] et leur vole leur pensée » (cité par A. Kom, 2000 :99)
[8] Achille Mbembe, 2007
[9] A. Kom, cité par P. E. Kamdem, Ibid : 8
[10] R. F. Mangoua, 2007 :9
[11] Ibid. : 9
[12] Achille Mbembe, ibid.
[13] C’est-à-dire rhizomorphes au sens où l’entendent Deleuze et Guattari, précise l’auteur de cette citation.
[14] Lire E. Glissant
[15] L’histoire de la langue française en France nous renseigne à suffisance à ce sujet.
[16] L’usage du franc CFA, par exemple, plus de 50 ans après les indépendances, est la matérialisation d’un embrigadement politico-économique certain.
[17] Même si l’histoire révèle que le Cameroun n’a jamais été une colonie française et Britannique, c’est tout comme.
[18] L’expression culturelle camerounaise ne laisse curieusement entrevoir que peu ou pas du tout d’influence de l’Allemagne dont le Cameroun aura effectivement été une colonie.
[19] P. E. Kamdem, 204: 8
[20] Les récents scandales sur l’élection présidentielle gabonaise et ivoirienne ainsi que l’assassinat du président libyen en disent long sur le sujet.