L’attribution de nom propre individuel chez le peuple Lega puise dans plusieurs domaines de la vie se basant sur son expérience. Chaque nom apparaissant comme un mot simple ou composé cache pourtant la totalité de son sens dans la phrase qui en porte l’intrinsèque, le non-dit, pour l’usager natif ou le connaisseur de la langue et la culture Lega. Bien plus, ce nom véhicule un message adressé généralement à la communauté et individuellement au porteur. Ce message socio-culturel est sémantiquement éducationnel dans son ensemble. Par cela, l’attribution de nom propre individuel Lega est d’une portée éducationnelle. Derrière la fonction identificatoire, le nom a relativement une fonction sociale bien déterminée. Ceci repose de l’imaginaire de cette société. Selon Pius Ngandu, l’imaginaire
[..] se situe dans l’espace d’intersection entre les forces du moi et les images puissantes du social. Lieu de confrontation aussi entre le rationnel, le relationnel et le spirituel, […]. C’est par l’imaginaire que s’intègre les symbolismes mythiques à la mémoire du temps (323).
Pour cette raison, en dépit de la bonne musicalité ou de la beauté d’un nom, le Mulega n’en porte pas un par plaisir. Au fait, à part que chaque groupe social a ses propres sources référentielles, chaque port de nom est basé sur certains paramètres socio-culturels compréhensibles et justificatifs. Ceux-ci viennent, non seulement renforcer la valeur du nom mais le relier aux circonstances de son attribution au porteur par ses parents. De ce fait, il est ici une expression spatio-temporelle relative aux diverses circonstances, sociales, climatiques, sentimentales, physiques, spatiales, etc. lors de sa naissance. On ne saurait pas attribuer le nom de Wamunzila à un enfant né sous un toit bien précis, car ce nom revient au nouveau-né alors que sa mère était en voyage. Ce faisant, ce moment-là et cet espace sont des repères déterminants dans sa venue au monde jusqu’à influer sur le port de son nom. De même que l’on ne saurait attribuer le de Kabala (l’aîné/ l’aînée) ou Kibundila (le second/ la seconde) à un enfant que dans le cadre des jumeaux ou jumelles. Si non, ça ne ferait aucun sens et compromettrait la réalité socio-culturelle de ce nom. D’où l’attribution de noms individuels chez les Lega est le produit du vécu socio-culturel, et non un fait de hasard. Le nom lega porte le destin de la société, il en incarne le quotidien mémorable et en raconte le passé, dans un espace culturel donné et des circonstances relatives. Ce qui vient confirmer les propos de Walker Sheila(1976) selon lesquels :
Chaque société a son propre système conventionnel d’appellation qui peut donner un aperçu sur des aspects de sa culture en indiquant certaines perceptives et valeurs sociales. Les noms sont des indices de l’image qu’un peuple se fait de lui-même et de son sens d’identification sociale (1).
Cette pensée se retrouve en Afrique en général et chez le peuple Lega en particulier. Ici donc, le nom est le reflet de la réalité sociale et naturelle d’un espace culturel précis. Il existerait une relation étroite entre le nom et la société qui le donne à l’individu et ce dernier avec sa société. De fait, le nommé véhicule une réalité sociale et /ou naturelle, élément éducationnel par le bais de son nom individuel. Tout ceci en rapport avec des circonstances socio-naturelles locales. A ce sujet, le nom devient donc une espèce de garde-fou tant pour le porteur, pour sa famille et pour la société dans son ensemble. Cette perception relève de l’imaginaire, la vision du monde du peuple donné ; ‘’l’indéfinissable’’ (Pius Ngandu, 1997 : 323) de ce peuple, comme Pius Ngandu le renchérit en ces termes :
Il est vrai qu’il (l’imaginaire) se situe entre les forces du moi et les images puissantes du social. Lieu de confrontation aussi entre le rationnel, le relationnel et le spirituel, il se détermine principalement par ses productions réelles. […] : faculté de transposition du réel en quelque chose de réalisable. Peut être également, la limite la plus lointaine entre le visible et l’invisible, entre le rêve et l’intelligence. Entre le vécu et l’angoisse de la mort. (323)
C’est dans cette perception relationnelle entre les deux mondes, où s’anime la vie du nom de personne Lega. D’où, natif et connaissant ce monde, le fondement de notre analyse tente de faire ressortir cette relation qui devient le vécu social inséparable du Mulega. Selon l’esprit de ce travail, l’espace et le temps impartis ne nous permettront pas d’énumérer toutes les différentes circonstances impliquées dans la décision liée au port de noms individuels Lega, selon son imaginaire. Parlant de l’imaginaire, Pius Ngandu (1997) renchérit : ‘’C’est par l’imaginaire que s’intègrent les symbolismes mythiques à la mémoire du temps (323).’’Par rapport à la présente analyse, nous allons essayer de vérifier cette symbiose selon l’aspect thématique et éducationnel assigné à ce travail. Simplement, nous proposons d’y présenter quelques thèmes éducationnels. Il est question de mesurer la portée éducative que manifestent ces noms, combien ils sont porteurs de l’implicite éducationnel de l’espace culturel Lega. Nous ferons voir en quoi ils sont de nature à éduquer non seulement leurs porteurs mais aussi la société Lega, ou alors toute personne qui s’intéresserait à la culture et aux réalités de cet espace culturel précis.
Au fait, un enfant pouvait naître en tout autre espace et en tout autre moment, mais le fait d’être né en cet espace-là s’affiche comme signe révélateur d’une réalité donnée cachée dans sa présence sur la terre. Il faudra alors l’honorer en attribuant un tel nom à l’enfant. En effet, y aurait-il des raisons cachées qui auraient milité à sa naissance sur cet espace et non pas sur un autre ? En ce moment-là et pas en un autre ? Dans de telles circonstances et non pas dans d’autres ? Rien n’est gratuit. A ce titre, le nom individuel Lega, est ici une expression socio-spatio-temporelle et culturelle à la fois. En effet, il véhicule en lui, non seulement l’espace, mais aussi le social, le temps et diverses circonstances au sein de la culture Lega. Ce qui justifie l’attribution de ce nom à une telle personne et non à une autre, par rapport à l’imaginaire :
[…] comme faculté de transportation du réel en quelque chose de réalisable, […] la limite la plus lointaine entre le visible et l’invisible, entre le rêve et l’intelligence. […], l’imaginaire est impliqué dans le système éducatifs (Ngandu, Pius : 323).
Au fait, la société Lega est si liée à la nature qu’elle s’y réfère en différentes circonstances vitales. La nature, avec tout ce qui la compose, est à son quotidien. A part qu’elle y puise ce qui lui est nécessaire pour sa vie, la société Lega le lui doit aussi. Aussi, même le nom des siens en est le produit référentiel d’une portée significative. Le porteur du nom Lega devient le reflet de la société au contact avec le temps et les circonstances à la naissance au point de retrouver la part de son identité culturelle dans son nom. Ceci pourrait faire établir une relation particulière entre le sujet Lega et son nom. Cet individu trouve à travers son nom la réalité qui le véhicule et qu’il véhicule ; la force socio-naturelle qui le guide selon son contenu socioculturel parti des circonstances y afférentes, généralement à la naissance.
Ceci pourrait donc se justifier par le dicton du peuple Lega qui suit: Igyin’u (a)’u ntondi. Ce qui signifie que le nom d’un individu est la marque de son identité. C’est par le nom que l’on reconnaît quelqu’un. Ses actes et dires sont consignés dans son nom. Le lui changer serait donc détruire en lui son individualité sociale et son identité culturelle, puisque ce nom tient à l’imaginaire de son peuple auquel imaginaire lui aussi croit et y est lié, par son appartenance ethnique. Quand le Mulega (une personne du terroir Lega opposé à Balega, son pluriel [mu- / ba-]) donné fait ou dit quelque chose qui est en relation avec son nom, les Balega lui rétorquent : Ugwe u kishembe lebelebe (c’est vraiment toi tel) tout en citant son nom au lieu de kishembe signifiant tel. Un exemple concret : Kyambe (kikulu, kuibabya nu kuikolokya) : Kyambe est une chenille qui au toucher te fait des chatouillements. Aussitôt qu’il a accompli sa mission, il se fait tomber pour éviter de porter la responsabilité du mal épidermique dont quelqu’un est victime. De tel type de personne existe. Il nie son offense tout en en étant pourtant responsable. Elles font semblant de ne rien savoir même tout en clamant son innocence. Et l’on dira d’un tel portant un tel nom et ayant agi de la sorte: Ugwe u kyambe lebelebe. Tu es réellement Kyambe. Ceci vient de démontrer que ses actions et paroles épousent les réalités socio-sémantiques que véhicule son nom.
Le nom serait alors un moyen de classement social, d’identification qui va plus loin dans le réel de la société. La pensée sauvage (1975) de Lévi-Strauss supporterait nos propos de la manière suivante :
Le nom sert à la fois à identifier (un individu, une famille..) à classer et à signifier. En effet, les anthroponymes et les autres appellations collectives comme les toponymes, supposent une faculté de classe. Ainsi dans chaque culture les noms propres constituent un système qui fournit des indications précieuses sur la façon dont les groupes sociaux agencent le réel.
Ici, ce réel s’oppose à l’abstrait. Que le nom porté soit abstrait, socio-sémantiquement mais il n’a rien d’abstrait. Il est plein du réel que l’on retrouve dans le fait de le porter ; ce n’est pas un fait de hasard. Le nom ne représente pas cette abstraction ici, mais symbolise une réalité en lui, réalité liée à l’imaginaire anthropo-onomastique de cet espace culturel. Il en est de même des noms Lega. Le cas de noms propres des personnes comme Mpego (le froid), Lumpumpu (le vent), Busoga (la beauté, la bienséance, le bienfait), etc. quoique représentant des abstractions mais leurs sens se rapportent aux circonstances à la naissance de sujets ainsi nommés. Cette perspective est en pratique en d’autres contrées africaines, comme chez les Noirs Américains par exemple. En dépit de leur déportation aux Amériques, ils continuent à puiser dans la même conception sociale du vieux continent. C’est par exemple le cas de la demoiselle Angelou, dans I Know Why the Caged Bird Sings (1969) de Maya Angelou. La jeune fille noire Angelou se voit obligée d’abandonner le travail à la demande de sa patronne de changer son nom d’Angelou pour celui de Mary que cette dernière juge commode pour une fille de son genre. Ici on voit comment le respect inconditionnel au nom est lié aux relations entre le porteur et sa société. Au cas contraire, la personne se voit dépersonnalisée au point de ne plus se sentir la même. Or, à un tel niveau de perception de choses, c.à.d. le niveau où l’on oblige à quelqu’un de prendre n’importe quel nom, le sujet devient un objet, c.à.d. un être auquel on peut attribuer un nom sans aucune référence socioculturelle relativement justificative.
En effet, le nom attribué à l’objet n’a aucune relation avec la réalité que ce dernier représente. Il y aurait un vide de relation sémantique entre la réalité et le son qui le nomme. Le nom sert ici de marque d’identification différentielle parmi tant d’autres objets. Ce qui n’est pas vraiment le cas pour le nom individuel dans la communauté Lega.
Loin de tout arbitraire dans l’attribution de noms propres de personnes chez les Lega, nous dirons avec Clémentine Faïk-Nzuji Madiya que donner un nom:
C’est dire qui est la personne nommée […], c’est situer par rapport au temps, aux événements, aux comportements; c’est rattacher la personne aux choses et aux êtres, visibles, et invisibles […] c’est communiquer, converser, dialoguer avec les autres, envoyer des messages, informer sur ce qu’on a longtemps gardé sur le cœur […] c’est éloigner le porteur du nom des forces maléfiques (1991, 11)
Le nom se donne grâce à la parole et celle-ci garde alors sa force à travers le nom ainsi attribué. Il s’agit de la force de la parole. Pius Ngandu, explique :
La parole est en effet le signe de la vie et de la mort. Elle est aussi le point de jonction entre le visible et l’invisible. Elle s’achève dans le savoir, dont le stade suprême et sublime est la connaissance de la totalité. (52)
Ce savoir se retrouve dans le nom Lega, comme une totalité faisant recours au social et au naturel, dont il est le vrai produit. A ce titre, le nom porte une marque du destin. Il exprime des attentes, des déceptions, des conflits, etc., dans la société. Grâce aux noms individuels, la société Lega exprime mille et une réalités relatives à la nature et à son espace culturel. Mulega (personne Lega) attribue le nom en fonction des circonstances à la naissance. Ainsi, ces réalités sont différentes et multiples. Ceci est commun à des sociétés traditionnelles, africaines (y compris la société Lega), comme on peut le confirmer avec Walker (1979) qui dit :
Les diverses sociétés traditionnelles ont des systèmes d’appellation différents mais l’on peut généraliser et affirmer que les noms, plus que des simples étiquettes, sont plutôt une partie intégrante de l’identité. Ils peuvent se rapporter à des événements entourant la naissance ou décrire quelques caractéristiques ou potentialités que la famille croit déceler chez l’enfant ou espérer le voir confirmer (2).
Chez les Lega, le nom devient donc une espèce de garde-fou tant pour le porteur, pour sa famille et pour la société dans son ensemble. Compte tenu de l’espace et du temps impartis pour ce travail, nous ne saurons énumérer toutes les différentes circonstances impliquées dans l’attribution de noms individuels Lega. Nous allons plutôt essayer d’en donner quelques-unes dans l’esprit de ce travail qui se limite à l’aspect thématique et éducationnel à travers ces noms.
Nous proposons donc de présenter quelques thèmes éducationnels véhiculés par les noms individuels Lega. Il est question de mesurer la portée éducative que manifestent ces noms, combien ils sont pleins de sens par rapport à l’espace culturel Lega. On y ressortira ces thèmes pour voir en quoi ils sont de nature à éduquer non seulement le porteur mais aussi la société Lega ou toute personne qui s’intéresserait à la culture et aux réalités de cet espace culturel précis.
Ce travail se divise en trois différentes parties. La situons géographique nous donner l’occasion de localiser le peuple Lega. Suivront quelques aspects typologiques de l’acquisition des noms chez les Balega pour nous dévoiler la relation sémantique et anthropologique de ce dernier. Il s’agit, en passant, de donner la différence entre divers types de noms Lega. Quelques mots de la fin viennent boucler l’analyse.
Notre méthode est thématique. Il y a lieu de parler de ces noms en rapport aux circonstances de la naissance du sujet, mais ces mêmes circonstances se recoupent en termes thématiques. Ainsi, nous avons préféré la méthode thématique pour éviter de nous répéter, mais aussi pour fournir plus d’éléments anthropologiques de ces noms en rapport avec la culture des Balega. En effet, à part les noms propres il y a d’autres types des noms portés par un Mulega. Ces derniers sont aussi ses identités mais pour des circonstances précises.
Notre travail porte sur les noms reconnus comme proprement individuels et utilisé dans l’appellation quotidienne. Après cette parenthèse nous allons ressortir quelques thèmes d’éducation véhiculés par des noms Lega. De là, nous allons présenter l’apport de notre sujet à travers une conclusion. Nous nous sommes arrêté sur quelques thèmes principaux qui sont la mort, la prudence, la reconnaissance, la haine, le caractère, la faune et la flore. Ceci à titre exemplatif et non exhaustif, la liste étant longue et le champ vaste.
I. Situation géographique du peuple Lega
Couvrant une superficie de plus de 75.000kms, le peuple Lega est situé à l’Est dans la République Démocratique du Congo. Sa population estimée à plus d’un demi-million, se répartit sur quatre différents territoires administratifs suivants : au Sud-Kivu dans les territoires de Mwenga, Shabunda et Walikale ; au Maniema on les trouve dans les territoires de Pangi, mais aussi sur la rive droite de la ville de Kindu et dans une partie de la commune Alunguli à Kindu. L’autre groupe des Balega se retrouve dans le Nord Maniema, en territoire de Punia, dans la collectivité des Baleka. Ils sont aussi dans le Nord-Kivu, dans le territoire de Walikale, sous le nom de Bakano, qui est une collectivité portant leur nom. Nous devrions aussi mentionner l’existence d’un autre groupe Lega appelés septentrionaux, les Mituku (Benye Mituku) dans le territoire d’Ubundu, dans la province Orientale.
Ils parlent tous la langue Kilega, une langue bantoue classée D25 selon Greemberg. Les Balega-Mituku parlent une variante du Kilega reconnue comme le kinya-mituku. La langue Kilega a trois grandes variantes : le Kilega oriental ou ileka, isile), le Kilega occidental (Kilega, kigonzabale) et le Kilega septentrional (kinya-mituku).
Dans son ensemble ce peuple constituerait une population d’environ un demi-million de personnes occupant à peu près une superficie supérieure à celles du Rwanda et du Burundi réunis, pour un pays d’environ 250 langues sur un territoire national de 2.345.000 Km2 de superficie. De l’étendue qu’occupe ce peuple dans son pays on peut tirer une conclusion sur l’importance culturelle de ce groupe ethnique.
Par ailleurs, le Kilega a des différences sur le plan du parler. Ses différentes dialectales n’affectent pas la reconnaissance de tous les locuteurs Balega comme un seul peuple. Ne chantent-ils pas d’ailleurs, Mulega Múntú umozi, c. à. d. que le Mulega est un seul homme. Ceci en référence à ces différences. Sans chercher à entrer en détails de différences culturelles relatives entre ces groupes culturels des Lega, nous allons traiter le cas des noms des Balega du territoire de Shabunda. Au fait, il existe des différences relativement majeures ou mineures d’appellation de noms des personnes entre ces dialectes. La plus grande ressemblance est remarquable entre les noms de Pangi et ceux de Shabunda. C’est en cela que notre étude se limite aux noms de l’espace administratif du territoire Shabunda mais qui pourrait aussi être appliquée au territoire de Pangi. Cependant tous ces dialectes tirent la source de leur culture dans un code commun appelé Mutanga (Defours, 1989), une sorte d’école par des idéophones et aussi dans deux principaux contes épiques : Wabugila et Museme comme nous les présente N’Sanda Wamenka (1976). On pourrait aussi se servir de notre article paru à ce sujet dans MondesFrancophones, intitulé ‘’Du Mutanga : Idéogrammes de la société Lega’’(2012).
- Acquisition du nom chez les Lega
Loin de nous l’idée de chercher à traiter ce sujet de manière anthroponymique. Nous disons simplement un mot sur les raisons du port de tel ou tel nom et pas tel ou tel autre par l’individu Mulega. Nous dirons que le nom Lega s’acquiert selon des circonstances socio-naturelles à la naissance comme on peut le voir avec l’anthropologue Mulyumba Mamba (1978). Il est donc un produit de la relation du moment entre la famille, la communauté et la nature. Ainsi, un nom peut exprimer différents faits sociaux liés à la nature. Le nom peut faire allusion au temps, à la saison, aux activités champêtres ; il peut exprimer des relations entre membres de familles, du village ou du clan ; il peut faire allusion à la mort, il peut être hérité d’un mort ou pris d’un vivant selon diverses raisons sociales ; le nom peut faire allusion à un événement important de l’histoire de la communauté ; il peut exprimer un sentiment de la famille ou du clan envers la nature ou la société, etc. A ce niveau, le nom est loin d’être gratuit. Il signifie toujours quelque chose de réel dans l’imaginaire du peuple Lega. Voilà pourquoi le Mulega dira toujours Igyin’u ntondi comme nous l’avons dit tantôt.
Mais nous devons signaler que le nom est donné par le chef de famille ou du clan. Car c’est lui qui préside aux biens de ces derniers. Il y va selon des formules appropriées et selon des circonstances de naissance. Nous nous faisons grâce de ces formules ici car il ne semble pas en être question dans ce travail.
Parmi des noms des Lega il y en qui sont particuliers et ne comptent pas comme noms propres. Nous pouvons citer notamment le Lukumbu, nom de bravoure ou totémique et le igyina lya busaswe ou nom de blague. Si le lukumbu est cité en termes de réalisation d’un acte de bravoure donné par l’actant sujet donné, le second ou igyina lya busaswe est cité en des circonstances avec un membre dont on a une parenté dit de blague. On cite le lukumbu d’un sujet juste pour amadouer son œuvre. L’individu peut aussi le citer pour avouer que c’est bien lui ou elle qui vient de réaliser tel acte de grandeur. Il s’agit généralement de noms cités dans des cas spécifiques : notamment dans le cas d’abatage d’un gros arbre, le fait de tuer un grand animal comme l’éléphant, le buffle, l’hippopotame. Ceci est justificatif en ceci que le Mulega vit essentiellement de l’agriculture et de la chasse. L’homme qui vient d’abattre un gros arbre ou qui vient de tuer un grand ou dangereux animal, cite son lukumbu afin de signaler à la communauté l’accomplissement d’une tâche grandiose, comme une sorte de signature vocale. Le porteur du nom Ngozi, dirait : Inn’ u Ngozi kyamula mikumba. Signifiant que c’est moi le léopard, démolisseur d’étables. Ceci lui fait acquérir du respect en plus dans la société Lega. Il se confirme comme un homme car la société Lega est patriarcale. En effet, être un homme est plus que porter le sexe masculin. Ainsi, un homme qui est incapable de réaliser certains exploits est considéré comme une femme selon la vision du monde des Lega. Ne parlons même pas de la circoncision dont il est moins question ici. Il en est de même d’une femme incapable d’accomplir des tâches féminines. A celle-ci on dénie la qualité de femme. Le lukumbu est aussi cité lors d’un message tambouriné en cas de retour d’un long voyage ou de décès d’un individu. Bilembo nous en donne plus de matière dans Le Mulega, l’homme de la tradition (1980).
Quant à ce que nous appelons igyina lya busaswe ou nom de blague, ce ne sont que des parents plus âgés que le porteur qui peuvent en faire cas. Si un moins âgé arrivait à appeler un autre plus âgé que lui ou elle sous un tel nom l’individu aura violé la loi et serait puni de façon appropriée de la part de son aîné en conformité avec la société. Signalons aussi que le Mulega a un tel respect du nom de ses parents qu’il n’est pas autorisé à le citer. Il l’appelle selon des relations qui l’unissent au sujet. Il ne peut aucunement citer le nom ni de son père, ni de sa mère, ni de son frère aîné, ni celui de sa grande sœur et moins encore ceux de ses grands-parents. Le faire serait un signe d’impolitesse et contribuerait au malheur du violeur de la loi. Il l’appelle male/ mane, ma mère, tata/ tatale, mon père, gyagya mon frère, mubeto ma grande sœur, kongulu ma grand-mère et /tatangulu mon grand-père.
Toutes ces réalités culturelles liées au nom de la personne Mulega sont compréhensibles tant il est vrai que cet homme est vraiment l’homme de la tradition comme le signale l’Abbé Charles Bilembo Bubo-Bubo dans son livre Le Mulega, l’homme de la tradition (1989).
Dans l’ensemble, le nom porte une nature métaphorique, dans la société Lega. Le Mulega use de métaphore dans la plus part de ses communications socio-culturelles. Il en est même dans sa perception artistique, comme nous le signale Elizabeth Cameroon dans le passage qui suit :
Lega metaphors explore standards for living-values and morals, comportment, social and familial relationships, and legal, ethical, religious, and political codes. The pieces become more than mnemonic devices or visual aids; they are an integral part of the construction of meaning. Starting with initiation into the society’s first level, the novice is taught how to uncover the meanings of these visual metaphors, much as literature students are taught how to interpret written metaphors (50).
II. Quelques typologies de la dénomination Lega
Nous parlons ici de types de noms, c.à.d. de la base à partir de laquelle le nom s’attribue. Elles sont si nombreuses que notre travail s’est limité à un certain nombre qui se manifeste le plus dans des noms individuels Lega. Tout est relatif à l’espace culturel Lega. En effet Charles Becker et Waly Coly Faye diront à ce sujet : ‘’Les systèmes de nomination sont des révélateurs de la culture et de l’histoire (1)’’. Pour nous, nous en avons donné quelques types en fonction du temps et de l’espace qui répondent à l’esprit du présent travail. Ainsi, il s’est agi de la mort, de la reconnaissance, de la prudence, de la haine, du caractère en général, de la parenté, et de l’endurance etc. Ces noms peuvent aussi se référer à des réalités locales, comme les saisons, la faune et la végétation, l’immatériel, etc. parmi tant d’autres. Cet ordre et ce choix n’ont rien de spécial. Il s’agit d’un choix personnel qui ne saurait altérer l’objectif de cette analyse.
1. De la mort
La référence à la mort dans l’acquisition de noms chez les Balega est déterminée par sa nature irréversible, la perturbation qu’elle cause dans la communauté humaine. Le peuple Lega n’est donc pas épargné des ravages de la mort. Il en fait source des noms des siens. La mort est le point final de la vie humaine. Son passage n’est jamais heureux à n’importe quel moment de la vie humaine. La mort est une destruction ; elle prive la communauté de son bien aimé. Ni l’âge ni les défauts du défunt ne le privent pas de l’amour des siens. Par contre sa mort le rapproche d’avantage de ces derniers. Elle renforce l’amour entre les vivants et les morts. Pour marquer la présence de cette triste réalité devant laquelle le Mulega ne peut rien faire et pour manifester son amour envers le sien, il puise dans cette inévitable issue des noms qui lui sont relatifs.
Ainsi, par exemple pour reconnaître le caractère inévitable de la mort, le Mulega donne le nom de Talukengwe. Le nom dans sa forme réelle inédite est Lukwo talukengwe. Le nom est donc Lukwo talukengwe, na wite mubili ntite lukwo mais abrégé sous un seul mot de Talukengwe pour dire qu’on n’évite pas la mort. Mais comme la mort n’a ni âge ni temps, elle frappe tous, les jeunes et les vieux, les solides et les invalides, le Mulega attribue le nom de Walulangila. Cette nomination rappelle la réalité présente de la mort en toute personne sans tenir compte des apparences physiques du sujet. Le nom est en réalité donc entièrement énoncé : Walulangila mu musosu kasi mu mubibu u mululi. Ceci signifie tout simplement qu’en s’attendant de voir le malade mourir mais c’est le mieux portant qui s’en va plus tôt. Ici il est donc question de faire remarquer que la mort ne connaît pas la différence entre le bien portant et le malade, entre le valide et l’invalide. Elle frappe indistinctement les deux. Ce qui confirme le dicton nominal de Nawite mubele ntite lukwo : Qui conque a un corps porte en lui la mort, un peu comme pour dire que tout humain est mortel. A ce niveau le Mulega tire l’attention sur le caractère non sélectif de la mort.
Par ailleurs, comme la mort peut être intervenue de façon successive dans une famille, le Mulega voit qu’elle n’aime pas les siens. A une nouvelle naissance il attribue alors le nom de Talubezie dont le vrai nom est Lukwo talubezie où le lu est un morphème qui remplace le mot bantu (les gens spécifiques de cette famille), pour dire que la mort ne les aime pas. Une famille Lega donnée en arrive à donner ce nom à l’un de ses enfants dans des circonstances ci-haut citées pour démontrer combien elle a perdu les siens. Ne serait-il pas ici une façon de demander à la mort de préserver ces derniers, conjurer la mort, lui demander pitié de manière implicite? Pourtant, celle-ci étant aveugle et têtue, elle revient sans tambour battant en tous lieux et tous temps selon sa volonté invincible.
D’autre part, c’est la mort d’un enfant unique qui fait plus de peines dans une famille. Celui-ci est appelé Ngomo. Ainsi on a des noms comme Lukwangomo. Ceci se développe en Lukwa ngomo, lukwo talukwe bango, c.à.d. la mort d’un enfant unique est plus triste que celle qui frappe une famille de beaucoup d’enfants. A ce niveau il faut reconnaître la valeur que le Mulega accorde à un enfant. Ce dernier est la perpétuation de la famille. La volonté de faire plus d’un enfant en famille est liée d’un côté à la connaissance des ravages de la mort et à la perpétuation de la famille à travers les enfants. Ainsi, comme la naissance d’un enfant pèse positivement pour la famille, sa mort est par contre pire. La mort réduit la force de la famille, du clan ; elle l’attriste, la perturbe et la stresse. La mort crée le désespoir et fait naître la haine, la peur et le non-sens de la vie.
2. De la reconnaissance ou de l’ingratitude
Le Mulega est un homme ouvert au monde interne et externe. Sa générosité est légendaire au point qu’il assiste des personnes membres et non membres de sa société ou de son groupe ethnique. Il peut s’agir même des passants inconnus et connus, des personnes des contrées lointaines et proches connues ou inconnues. L’hospitalité légendaire est parmi des caractères propres à la communauté Lega. Cette hospitalité a un espace spécial, appelé Luusu. Ce dernier où se rassemble les hommes et les enfants masculins en temps libre, constitue non seulement un espace de causerie et causailles, mais l’espace éducatif et culturel par excellence. Le futur adulte Lega y apprend les réalités culturelles, la géographie, l’histoire, l’art de la parole, la dialectique, bref, la vie dans son ensemble, selon la vision du monde lega, à travers différentes bouches d’adultes. Mais principalement par le Mutanga, cette école de la culture Lega. Le Luusu, est un espace public ouvert aux hommes et aux passants, où l’homme Lega consomme tous ses repas en commun sans distinction. Voir notre article dans MondesFrancophones (2011). Les voisins reconnaissent au Mulega son hospitalité jusqu’à pouvoir même le traiter de naïf. Le Mulega n’est donc pas égoïste. Il assiste les siens et d’autres gens dans différentes circonstances de la vie comme le mariage, le deuil, des catastrophes naturelles, des difficultés sociales, etc.
Pourtant, parfois sa générosité lui coûte des cas inattendus de manque de reconnaissance. Il en fait ainsi une source de nomination de personnes proches ou lointaines. Le nom de Byakilema peut en dire long. Ce dernier peut se lire Byakilema ubilibwa na mutingi. Les biens d’un idiot sont à la merci du passant. Mais Le Mulega va plus loin pour traduire ses déboires devant les bénéficiaires de ses bienfaits quand il peut attribuer plusieurs sortes de noms en sa famille par rapport à l’ingratitude dont il est victime. Pour exprimer de tels cas, certains membres de sa communauté portent des noms qui véhiculent cette ingratitude. Ces noms sont liés à des éléments de la nature. Il s’agit de ceux de la faune, de la végétation, des éléments liés à la mort, des parties du corps humain, etc.
Au fait, si le monde végétal peut lui procurer des noms comme Kasuku par rapport à la mort, il se base sur des enfants orphelins pour donner le nom de Watuta; et aussi il se sert de la réaction de pathologie de certaines parties du corps humain pour donner des noms comme Wakuzya. Cette réalité se retrouve même dans le nom Kasuku est une sorte de lampe ou torche naturelle et traditionnelle faite à partir de la sève de l’arbre Musuku. Une fois que la sève est sèche, le Mulega l’emballe dans un certain type d’herbes appropriées, Mangobo, renforcées par une corde à l’image des dimensions d’un bras. De ses deux bornes, l’une sera branchée au feu pour donner de la lumière. Celle-ci est donc considérée comme sa tête. Cependant pour avoir cette lumière en permanence et de façon plus lumineuse, il faut régulièrement presser les bords de la lanterne considérés ici comme ses joues. Le Kasuku est une lampe pour le Mulega. Elle est utilisée dans toutes les circonstances pour donner de la lumière. On peut la trouver en action même pendant des grandes cérémonies comme le Bwami, l’institution normative de la morale et de la culture Lega, garant de la cohésion et de la paix des peuples Lega (Biebuyck, 1973) mais aussi une école de la sagesse, du savoir et de l’art Lega ; bien plus ‘’véritable école de vie, de pensée, de respect, fondée sur l’enseignement de leçons d’esthétique’’(Détours des mondes : 2013) dans la communauté Lega. Dans le cas de la nomination individuelle, cette lanterne, Kasuku, est ici la métaphore de l’homme dont on presse régulièrement les ‘’joues’’ afin de mieux donner-ici afin de mieux illuminer- mais tout en oubliant des services précédemment rendus. Le nom se dit donc Kasuku, bakitilaga mponga ubamuinula matama. Le nom signifie que ceux à qui il faisait du bien lui tirent les joues. L’homme est donc une source de lumière mais ses bénéficiaires lui restent si ingrats ou non reconnaissants qu’ils arrivent même à lui exiger plus sans faire allusion aux services loyaux précédemment rendus. C’est en cette partie du corps, le testicule, que le Mulega exprime encore mieux l’ingratitude des humains. Il attribue alors le nom de Wakuzya, (Wakuzya ibolo, likagulakul’igendo), il voudrait dire littéralement que quoiqu’entretenant très bien ton testicule il se transformera en hydrocèle, communément appelée hernie. A ce niveau l’expression d’ingratitude est si prononcée quand on connaît la relation entre l’homme et ses parties du corps. Celles-ci lui sont non seulement liées mais elles font sa vie. De surcroit, les testicules sont ses parties intimes. Cette métaphore du corps humain n’exprimerait-t-elle pas l’ingratitude faite contre les bienfaits ?
On peut retrouver la même expression d’ingratitude en se référant aux saisons. La nature du monde Lega a deux saisons : la saison sèche dite Kilimo et la saison pluvieuse, Nzogo. De là, il y a des noms comme Tabena, dont le prolongement est Bantu tabena busoga, basombile nzogo nu kilimo. Le nom signifie qu’il n’y a rien de satisfaisant pour les hommes. Ils n’ont aimé ni la saison sèche ni la saison de pluie. Comme il n’y a que deux saisons principales dans le cosmos Lega, ce nom montre qu’il n’existe aucune autre possibilité de plaire aux hommes. L’humanité est donc si ingrate que les deux saisons qui font la vie de l’homme ne leur apportent rien de bon. Le Mulega exprime ici, l’insatisfaction de la nature humaine. Bien plus, en attribuant le nom de Watuta s’ajoute pour traduire l’ingratitude ou le manque de reconnaissance des humains. Le nom est en réalité : Watuta nkubi wakengela biwaliaga n’ise ; pour dire littéralement, en réprimandant un orphelin ne passe pas outre les bienfaits de son défunt père. Ceci prouve à suffisance que la personne à laquelle on s’adresse doit avoir eu des relations quelconques avec le parent du défunt. Le mot issé, père va au-delà pour signifier tout parent de l’orphelin. Le mot père n’est ici qu’un simple symbole représentatif ou une sorte de métaphore de la famille.
3. De la prudence
Le Mulega est un grand observateur. Si les yeux peuvent voir, les attitudes peuvent dire plus que le regard et des gestes. Celles-ci peuvent se manifester par différentes parties anatomiques des sujets Lega. Il peut s’agir de la bouche par le biais du sourire ou des lèvres. Grâce à ces parties anatomiques, le Mulega attribue des noms des individus. Si par le canal de la bouche il peut trouver l’occasion d’éduquer la communauté par le biais de sa nomination individuelle, il le dit par des noms comme Waseka, Walianabo, Zanona. Waseka, qui fait allusion au rire, demande aux gens de ne pas se fier aux apparences que présente l’interlocuteur. Ces dernières peuvent cacher quelque chose d’autre que le paraître. La réalité peut être amère que ne le pense l’interlocuteur. Le nom se dit Waseka na muntu e na ngigi ku mutema. Ceci signifie tout simplement que tu peux rire avec quelqu’un alors que son cœur est plein de rancœur.
En plus de facteur rire apparent des gestes entrent dans la famille des mots qui ne s’écrivent pas mais que l’on peut découvrir par association des idées. Ils deviennent des symboles qu’il faut nécessairement découvrir pour comprendre le message qu’ils véhiculent relativement en ceci que rien n’est gratuit et ne devrait pas être pris au premier sens mais interprété jusqu’ à en sortir la connotation. Parlant de symboles, Todorov dira :
Parmi les signes les uns sont naturels, les autres intentionnels. Les signes naturels sont ceux qui, sans intention ni désir de signifier, font connaître….Les signes intentionnels sont ceux que les êtres vivants se font les uns autres pour montrer, autant qu’ils le peuvent, les mouvements de leur âme, c.à.d. tout ce qu’ils sentent et tout ce qu’ils pensent. (45)
Evidemment des gestes sont relatifs à la société. Toute interprétation devrait donc être relative. Ainsi, nous pouvons avoir des noms liés aux attitudes symboliques comme Zanona qui se développe par Zanona, milomo u za kutekulaga pour dire qu’importe la beauté des lèves (za étant un pronom personnel qui remplace des lèvres mu/mi-lomo) ce sont elles pourtant qui te calomniaient. L’apparence est ici mise en question pour inviter à la prudence. Il en sera de même du nom de Walianabo (Walianabo tabekwezye) c.à.d. tu peux beau partager le repas avec eux (tes amis ou frères/sœurs) (ge/bo pronom personnel qui remplace personne /personnes avec lesquelles tu partages le repas), il te faut toujours de la prudence. Il est question de la métaphore du manger car le Mulega mange ensemble. Mais le sens va au-delà de cette métaphore. En effet, manger ensemble refléterait le sens de la communion chez les Balega. Il s’agit de toute occasion des rencontres entre individus, de tout moment de partage de la vie. La métaphore de l’animal Kaseti (le lièvre) vient ajouter un plus à l’expression de l’ingratitude humaine. Le nom se dit Kaseti wenda lubilo kute kutendwa ntu ku makila. En pleine chasse aux gibiers, le lièvre voulant se sauver de filets tendus par des hommes, il se dirige souvent vers l’espace calme. Grande illusion, c’est là que sont tendus les filets. Expression de prudence, on lui demande de ne pas se laisser berner par des illusions ou des apparences. Le silence n’est toujours pas la bonté. Il peut parfois être source ou espace du mal. On ajouterait ici le nom lié à la couleur blanche ou à la clarté, Kyenga. Le nom se dit entièrement, Kyenga nsamba ki lubaba. Ceci pour inviter à la prudence devant l’apparence. On traduirait ce nom par : Ça brille mais c’est amer.
4. De la haine
Le sentiment de la haine, ce sens opposé de l’amour fait aussi cas des noms chez les Lega comme expression de l’expérience vécue. Si ce sentiment intervient dans la nomination c’est moins par l’intention d’attiser la haine au sein de la communauté que d’en présenter différents types de manifestations à titre préventif. Ces noms relatifs à cette typologie se retrouvent soit sous une forme générale soit sous une expression métaphorique. Mais la dernière forme est la plus courante dans les noms Lega. Apparaissant métaphoriquement, ils se présentent ici par rapport aux parties du corps humain ou aux éléments de la nature ou alors ils sont en comparaison entre eux. S’agissant du sentiment de la haine, en Lega nous trouvons des noms comme Lukige. Ce nom se dit entièrement Lukige lwa wakusomba igulu lya kumpama na mbula, ce qui signifierait que le regard de celui ou de celle qui te hait est pareil à un ciel sombre. Or un ciel sombre est signe de pluie. La pluie est source de bien des choses parmi lesquelles l’état maussade d’un jour. Mais dans l’ensemble elle prive la journée de sa beauté naturelle. Un ciel lourd est signe d’une journée maussade. C’est alors ce côté maussade de la journée qui est comparable à l’amour qui se lit dans ce regard-là représenté ici par la paupière. Il se fait que de la métaphore nous nous retrouvons en face d’une métonymie en ceci que cette façon de s’exprimer se veut dire une partie pour le tout ou le tout pour une partie. La paupière est une partie de l’appareil oculaire humain et c’est elle qui est exprimée ici pour parler du regard en général.
Par ailleurs, si la paupière peut dans sa lourdeur exprimer la haine, de l’autre côté il y a aussi le nom de Witanene. Ce dernier vient Witanene, wakusomba nte bogeboge. Quoique tu attrapes comme gibier, ou que tu deviennes, celui ou celle qui te hait ne pourrait jamais en être content(e). A ce niveau pourraient entrer en jeux plusieurs manifestations. Car ne pas aimer quelqu’un peut s’exprimer soit par le regard, le silence, etc. Mais surtout le fait de ne pas manifester la joie par rapport à la réussite de l’autre qui est déjà plein de haine.
5. Du caractère en général
Amis ou frères que l’on puisse être, la distance semble prouver le degré profond des relations entre humains. Parlant de la distance nous pensons à la non-cohabitation. Mais alors interviennent des visites ou des appels selon le besoin. Mais le Mulega défie cet amour par la cohabitation en ceci qu’elle ne vous permet pas de vous connaître en réalité. Ainsi, intervient le nom de Betumbule qui se déroule en Betumbule tabemenyane misako. Ceux qui ne cohabitent pas ne se découvrent pas. En vérité, il suffit de cohabiter pour mieux se découvrir en petits détails de caractère. La loi de la proximité s’impose ici. La cohabitation et la distance réduite deviennent donc deux façons de vivre grâce auxquelles on se découvre. Si la distance conférait à l’amitié une profondeur, mais la cohabitation aide à mieux se connaître. Le Mulega aide donc à se comporter en réserve quand on est à distance l’un de l’un de l’autre.
A ce nom on peut ajouter celui de Buunga ou Buunganumba (ta bunga mitema). Le nom signifierait : bien que leurs maisons soient contiguës, il n’en est pas ainsi de leurs cœurs. l. Qu’importe la proximité physique on n’est pas nécessairement en bon termes. Numba, la maison et Mutema, le cœur, sont deux métaphores en forme d’oxymore ici. Si la maison symbolise le physique, qui est apparent, le cœur, lui représente l’immatériel, qui est le caractère de l’homme. Interviennent alors la notion du paraître et de l’être. Bref, le prermier couvre l’autre sans le contenir, en vérité. Insinuant la notion de masque, l’illusion a lieu et la vérité est éludée. On peut aussi y ajouter le nom de Basuga (nyungu, ta basuga mitema). Littéralement dit, ces gens ont lavé leurs marmites, mais pas leurs cœurs. La réalité est la même en dépit de la différente expression.
- De la parenté ou de l’union
Si dans l’ensemble la notion de parenté est liée à la consanguinité, le Mulega qui le pratique ne manque pas d’en donner une autre dimension. Celle-ci subit une extension au point que la notion va au-delà des limites prédites. C’est pour cette raison que nous avons des noms que nous analysons dans les lignes qui suivent. Tauukunda est un nom qui en dit plus dans la mesure où il s’explique en des termes si clairs que tout Lega comprend ce qui se dit. Tauukunda mubuto mponga mubuto, comme le nom l’indique, il s’agit de faire savoir que la parenté va au-delà de relation de sang. C’est par la bonté que ce sang est remplacé. A ce titre la notion de parenté ne se limitant plus au sang devient une notion plus large. Parlant de l’union comme source de parenté, à ce titre le nom du Mulega voudrait démontrer le caractère universel de l’union parentale. Quand bien même il est le partisan de la parenté de sang, il s’inscrit en faux devant son caractère limité. Pour le Mulega donc, par un tel nom, il annonce une nouvelle perceptive de la parenté. Celle-ci dépasse les limites du social Lega précité pour englober la notion de l’être humain. L’imaginaire Lega étend la notion de parenté au-delà de la famille, du clan et du village pour y inclure toute personne de quelque contrée soit-elle. C’est pour cette raison que le nom comme Mubuto vient renforcer cette réalité socio-culturelle. Le vrai nom se lit utakusigile n’uso mpog’ugo ; littéralement : tu développes une sorte de parenté avec une personne à laquelle tu n’es pas liée par le sang, grâce à ta bonté. La conception est la même. Ainsi, ce nom vient renforcer la notion de cette extension parentale qui parle d’une parenté après la vie de parents (père ou mère). Celle-ci en est une grâce aux bienfaits envers les autres.
D’autres parts, le nom de Bantuikoko apportée par la métaphore de la main (ikoko), apporte la notion de l’union. A ce sujet, comme on le sait, quand un doigt est affecté c’est toute la main qui en subit les conséquences. Il y a ici une sorte de synergie dans la vie des hommes. Ceci vient rejoindre la perception selon laquelle I am because we are. Ce nom en appelle au primat du groupe tout en se distançant de l’individualisme. C’est toujours dans le même ordre d’idée que vient le nom Bantumbulu (kwendaga mwasokania). Le Mulega est un homme de la forêt, il fait allusion ici au singe Lubulu. Ce chasseur de singes utilise cette métaphore par rapport à la façon dont les ces animaux s’entraident devant le danger. Dans l’ensemble, la notion de parenté dépasse ici les limites liées au sang pour embrasser une extension qui ne dit pas son nom. En effet, les singes en question ne sont pas nécessairement du même sang mais tout par de la nature qui les unit. Il devrait donc en être ainsi des hommes selon la vision du monde Lega des choses.
7. De l’endurance
L’expérience de la vie de la personne Lega est une occasion favorable pour apprendre les fluctuations de la vie. Il en advient qu’il puise des leçons pour mieux s’y accommoder par son caractère difficile. Un peu comme disait Cicéron que la dureté de la vie exige la nécessité de se dépasser. Ceci se comprend bien tant il est vrai que la vie de l’homme passe par plusieurs étapes qui sont jugées par diverses épreuves de tous genres : morales ou physiques. Toutes concourent bien sûr à l’affirmation de l’homme en termes d’étapes initiatiques comme ne cessera de le dire Ouédraogo Amadou (2008).
Cependant, du corps et de l’esprit, le Mulega accorde plus de valeur à l’esprit qu’au corps en termes d’endurance. En effet, pour lui si le premier peut autant supporter, il en est moins du second. Ceci est le résultat de l’expérience de la vie au point que le Mulega a des noms qui font référence à l’esprit- Mutema– en la matière. Nous aurons donc des noms comme Byeka, Byakosia, Mutema etc. L’un et l’autre valorisent la résistance de l’esprit au détriment du corps. Ce dont le premier est capable le second ne le peut. On dira Byeka ou Byakosia mutema mubili nte bikosye mais on peut aller plus loin en disant Mutema u muntu. Le cœur fait de l’être un homme. C’est la grandeur du cœur qui fait de lui un homme, au sens philosophique; c.à.d. incluant toute personne sans distinction de sexe.
Conclusion:
Ce travail nous a conduit à parler de la nomination individuelle de personnes Lega. Il s’est agi d’en présenter le caractère éducationnel. A ce sujet, il a été question de voir en quoi ces précités noms contribuent à l’éducation dans la société Lega, c.à.d. en quoi ils sont porteurs de message qui donne des leçons d’expérience au porteur et à toute personne Lega. Le nom devient donc une ressource éducationnelle en soi et dépasse alors le caractère la nomination individuelle.
Pour arriver à notre développement, nous sommes parti de la présentation spatio-temporelle du peuple Lega afin de montrer l’espace linguistique physique qu’il occupe par rapport à la population congolaise. Puis il a été question de présenter quelques thèmes parmi des milliers que véhiculent les noms propres de personnes Lega.
Nous en avons présenté quelques principaux. Au fait, si la mort prédomine dans les noms individuels Lega, c’est pour montrer combien elle hante ce peuple, qui ne cesse d’en faire ressortir le caractère inévitable. La mort est présentée à travers ces noms comme un destructeur, une force qui peut intervenir à n’importe quel moment et sur n’importe quel sujet sans tenir compte d’aucune différence. Ceci vient souder l’idée selon laquelle le monde n’appartient à personne. Grâce à ses noms, la société Lega vient montrer à son peuple que personne ne se retrouve au-dessus de la mort. Le porteur du nom ou l’amateur de la culture Lega devrait donc savoir que la mort est le dénominateur commun de toutes les couches sociales, toutes les races et tout âge ; bref, la mort est invincible et inévitable comme on l’a fait ressortir par le biais de certain nombre des noms parmi tant d’autres.
De cette perception de la mort comme force séparatrice et impitoyable découle le comportement qu’il faut adopter au sein de la communauté : la prudence et d’autres différents thèmes véhiculés par ces noms. Ces noms d’une volonté moralisatrice du peuple, servent à donner des leçons de bonne conduite non seulement au porteur mais aussi à la communauté. Si la société Lega recommande la prudence et d’autres thèmes y afférents, ceci ne vient en rien exclure la nature de la mort, sa hantise dont le peuple souffre, mais c’est juste pour juste aider ce dernier à se comporter sagement en conséquence car la mort vient tout annuler. Il serait alors recommandable de bien se comporter dans différentes circonstances de la vie tant il est vrai que celle-ci est passagère et personne donc ne devrait se comporter en maître du monde. Cette vacuité du sens de la vie à travers la présence inévitable de la mort, commande la conduite relative des hommes. Ceci réduit des extrémismes comportementaux dans lesquels pourraient se lancer certaines gens. Cette nomination individuelle vient donc aider au respect de la personne humaine, sans distinction. Il y a là des leçons de vertu pour la bonne cohabitation entre sujets Lega et même envers toute personne humaine sans distinction de provenance.
Les quelques typologies de la nomination présentées ici ne pourraient pas suffire pour étudier le contenu sémantique du nom individuel Lega. Ils sont ici à titre démonstratif en ceci que des milliers des noms de cette communauté ont une multitude de thèmes qui seraient intéressants d’en faire une étude plus approfondie dans l’avenir selon l’esprit de recherche donnée. Pour y arriver un tel travail devrait être conçu dans le cadre d’un mémoire ou thèse de doctorat, mais sans espérer épuiser tout le contenu nominatif Lega. Des études se succèderaient pour mieux se compléter en vue de valoriser la culture.
Comme pour chaque société, l’attribution de nom propre de personne Lega est fondée sur des principes et critères propres à cette entité ethnique. Si certaines communautés se fondent sur le nom du jour de la naissance de l’enfant, chez les Lega par contre, ce sont les circonstances de la et à la naissance des relations visibles ou invisibles entre la famille, ou le clan, la nature qui prévalent dans cette attribution. Ainsi, le nom recèle un caractère socio-culturel. Expression de la volonté de la famille, de ses déboires, ses attentes et aspirations, le nom de la communauté Lega tente de mettre en corrélation l’homme et les réalités socio-culturelles et naturelles. A ce sujet, le nom devient le réceptacle même de la vie de la communauté. Le nom porte en lui les marques du temps et de l’espace. Marqueur du passé, il est marqueur de l’avenir. C’est un marqueur permanent de la vie du porteur, de la vie de la société Lega par le biais de la personne nommée. Le nom est ici loin d’être une simple occasion de classifier ou des catégoriser comme on le ferait pour des choses, mais de nommer, de donner la vie en relation avec l’espace culturel Lega. Le nom n’appartient donc pas à l’individu, mais à la société Lega, qui l’attribue pour se lire et se faire lire dans son porteur, en rapport avec le temps, l’espace et les conditions données. Confiné et représenté dans un seul mot, le nom de personne Lega est une phrase. C’est en la déballant que l’on tire l’explication profonde du nom, et l’on comprend le message ainsi véhiculé. Livre inédit, la découverte du sens du nom Lega, ne saurait qu’être l’œuvre du membre de la communauté Lega. De ce fait, la société Lega s’écrit donc dans le nom individuel de personne. Le porteur vit et en fait vivre la culture par le biais de son nom, partout où il pourra se retrouver.
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