Préliminaires
Il n’est plus profitable actuellement de commenter la manière dont l’antique ethnologie avait donné à l’univers africain des contours qui ne relevaient d’aucune discipline rationnelle. Tout se déroulait à l’envers d’une véritable théorie, comme si la compétence du monde qui est le nôtre devenait une expérience inédite dans la chronologie des actes de l’humanité.
La question qui serait la plus pertinente à l’intérieur de cette observation ne concerne pas le jugement de valeur à porter sur l’ethnologie. Cependant, en partant des préalables qui ont amené à des perspectives si étranges, il convenait de reprendre les postulats méthodologiques ainsi que leurs enjeux véritables, afin de mieux cerner cette “science des sociétés sans écriture et sans culture”, pour citer une définition apparemment neutre, mais pesante de tous les sous-entendus exclusifs.
L’une des dimensions valorisantes qui apparaît à travers les multiples ouvrages publiés sur la “pensée des sauvages”, si jamais elle avait existé, concerne le domaine des mythes et des symboles, et plus particulièrement lorsqu’ils sont mis en rapport avec l’environnement naturel. La référence impérative envers la Nature conduit à poser la métaphore comme une “épreuve de l’histoire”, au sens à la fois hiératique et initiatique.
Il aurait été avantageux d’introduire ce texte par quelques préliminaires de méthode qui auraient permis de situer la problématique de la métaphore dans son contexte théorique. Le débat aurait alors relevé d’un ordre inextricable, parce que trop restrictif quand il s’agit de reprendre les définitions les plus classiques de “sens du sens” ou même de “glissement de sens”. De tels exercices de style peuvent aller jusqu’aux analyses de la sémantique structurale qui décrivent les “figures” en les installant dans un binôme isotopique :
– métaphore-métonymie
– paradigmatique-syntagmatique
– similarité-contiguïté
L’idée développée ici part d’un point de vue différent, et cherche à montrer les modalités par lesquelles la métaphore de la Nature a conduit à des mythes poétiques.
L’argument de la Nature par la parole
La thématique originaire de la parole peut aider à comprendre la structure métaphorique et de la manière dont elle implique non pas une interprétation de la nature, mais une fonctionnalité susceptible de transposer le symbole jusqu’à son point ultime, celui du poétique.
L’Histoire des Peuples d’Afrique est liée intensément et passionnément à l’univers qui les entoure. La logique positiviste n’y voyait que les productions agricoles multiples ainsi que la nécessaire implication des forces qu’elles représentent pour la survie des communautés. “L’Homme de la nature”, avait-on baptisé l’Africain, sans trop bien savoir à quoi cette identité se référait exactement, et avec des nuances péjoratives qui ont amené à des définitions oiseuses sur les “animismes” ou les “cultes du paganisme”.
L’analyse attentive des textes poétiques, ceux en langues africaines autant que ceux dans les langues étrangères, démontre que cette relation n’est pas simplement empirique, bien au contraire. Le paradigme le plus instructif est celui de la métaphore du félin. Dans une déclamation publique, le Poète-chanteur qui se compare au “mâle des fauves” (mulum’a nyama) commence par mimer la gestualité corporelle des félidés, et si l’imitation est réussie, il sera dénommé sur la base de la métaphore. Le comparatif se transforme en une identification, et le dénominatif peut conduire jusqu’à la mythification, et souvent à la totémisation.
Un autre paradigme peut être évalué à partir de la mesure (et de la démesure) de l’événement. En effet, les grandes calamités qui ont failli détruire radicalement les populations ont été conjurées par la Nature. Il serait peut-être instructif de remonter aux mythologies qui ont accompagné les transhumances pendant des siècles entiers. Ceux des côtes atlantiques qui ont émigré vers la partie australe du continent, ceux du Ponant qui ont fini par s’installer dans les clairières de la forêt autour de l’équateur. Tous, ils n’ont pas seulement affronté la Nature, mais ils ont appris à s’en instruire dans l’imaginaire, au point de reconstruire des mythes qui les soutiennent encore actuellement avant de les intégrer à la translation des astres.
Il en a été ainsi du mythe de Sang’a Lubangu, concernant les Peuples issus de la branche Luba, et qui avait été considéré longtemps comme une simple représentation de l’imaginaire. Cependant, au-delà de la fable, il était possible de deviner une réalité de l’Histoire. Pendant des décennies, les hypothèses les plus crédibles se basaient sur des légendes mythologiques, et elles construisaient des conjectures nourries des fantasmes paroxystiques : cicatrices inscrites sur des arbres sacrés en signe d’alliance, peuplier mythique symbolisant un pacte initiatique, stigmates laissés dans le sol lors des migrations successives des siècles antérieurs.
Depuis les recherches studieuses menées par une équipe d’anthropologues nationaux, il est établi qu’il s’agissait du lac Sanga situé dans le nord du Katanga. Celui-ci avait dû s’effondrer suite à un séisme important au début du millénaire, dans le prolongement du rift valley qui part du lac Tanganyika pour longer le parcours du Nil blanc. L’intensité du phénomène fait croire qu’une ville entière avait été engloutie dans les eaux, après sans doute d’abondantes pluies diluviennes. Il en a subsisté des vestiges incroyablement prodigieux et qui témoignent des relations étroites entre cette région et l’Égypte pharaonique. Des pièces de monnaie, des effigies en or, des fragments de papyrus, autant de traces d’une histoire authentique, et qui peuvent permettre des filiations extraordinaires avec les civilisations antiques. La Nature a porté comme une empreinte indélébile le destin tragique pour une tranche réelle d’Histoire.
Des études n’ont pas encore été élaborées suffisamment sur la dure période de l’esclavage, afin de démontrer la part déterminante de la Nature, aussi bien dans l’imaginaire de ceux qui ont été arrachés, que dans celui des rescapés. Boubacar Boris Diop l’a décrit dans Le temps de Tamango (1981), tandis que d’autres auteurs ont multiplié des versions plus ou moins grandiloquentes sur Abubakari II qui a dû découvrir l’Amérique avant les Espagnols. Des indices transparaissent de cette souffrance endurée par des Hommes. Ils montrent surtout que, contrairement à la rêverie de l’Occident entêté qui s’épuise à “affronter les forces”, à ruser avec les puissances naturelles, c’est dans une poétique différente, par un acte de métaphorisation justement, que les captifs ont lutté pour la conquête de la Liberté.
L’oppression coloniale elle aussi a été confrontée à cet élément de la Nature, même si elle a tenté de la caricaturer avec des imageries cocasses d’“Hommes-panthères”, de promiscuités faciles lors des séances d’initiation, ou même de perversions exotiques dans le roman colonial. Sous l’illusoire prétexte de détruire des fétiches et des marques de magie, ils ont combattu avec l’énergie du désespoir la maîtrise des forces contenues dans des plantes qui préservent et sauvegardent la vie, ainsi que l’accaparement des images qui relient les vivants aux morts.
L’intention idéologique aurait dû pousser les antagonistes à opposer radicalement la ville de la “pierre froide” au village de la “case de boue”. Dans la logique coloniale, les arguments avaient été élaborés avec une intention manifeste pour marquer le point de rupture entre la “lumière” de la science dite rationnelle et l’“obscurité” de l’intuition jugée naturelle, au sens cartésien de natura naturans vs natura naturata. Ici et là-bas indiquaient les points de démarcation entre leur monde de l’esprit, et notre chaos primitif des forces brutes.
Il est vrai que de tels antagonismes qui ont généré le manichéisme ont beaucoup contribué à désacraliser la Nature et à briser la relation avec la Totalité telle qu’elle est conceptualisée dans la dualité métaphysique par les principes de res cogitans et de res extensa. Mais ils ont eu également pour effet de couper l’imaginaire de cette Poésie cosmique, et c’est certainement par cette stratégie qu’ils ont réussi à fragiliser les Peuples.
Du reste, le Cinéma africain l’a bien démontré, notamment à travers le célèbre film de Sembene Ousmane Ceddo (1976) par exemple. Chaque séquence reprend avec un pathétique extraordinaire la figurativité qui aurait dû inspirer une autre sémiologie de l’image.
Les thèmes du voyage et du lointain
C’est précisément par la filmographie actuelle qu’il devient possible de mieux déchiffrer la “textualité de la Nature”. Partir. Le thème par lui-même traverse les littératures de l’Afrique sahélienne avec une obstination réelle. Le départ n’est pas simplement une quête du lointain, mais plutôt un mode de connaissance totale et une conquête de l’esprit. En ce qui concerne les pays de l’Afrique centrale, le voyage s’accompagne d’un prétexte à des aventures et à des épreuves initiatiques, symboliques ou autres. Ici par contre, le lointain s’appréhende comme un appel et un refuge dans les narrations fictionnelles. Le début autant que la fin de la plupart des films s’arrêtent sur une image saisissante du paysage à affronter, pour le départ ou pour le retour. Et cela, même si le déplacement demeure au niveau d’un rêve diffus et ne se réalise pas concrètement, comme dans Touki Bouki de Djibril Diop-Mambety (1973).
Le voyage commande donc tout le reste. Il est le corollaire obligé de la mémoire. Il relie l’imaginaire à l’origine, et surtout à l’histoire qui recompose la vérité du temps et des espaces. Ceux parcourus déjà ou ceux à parcourir encore, dans le sens qui rejoint à maintes reprises la gravitation des astres, les révolutions des planètes, les transhumances des Peuples entiers. À chaque instant du récit, les personnages sont saisis par un sentiment à la fois concordant et contradictoire du voyage à effectuer. Espérer que celui qui part rapporte des richesses somptueuses, ou bien craindre que le départ ne le livre au destin, aux forces occultes, à la puissance de la mort.
Une telle conscience du lointain dans sa perspective horizontale (nord-sud ou est-ouest) ou verticale (ciel-terre, terre-mer ou paradis-enfer) n’est pertinente que parce que l’espace s’impose comme une dimension réelle dans l’imaginaire. À cause de la réalité physique justement, les obstacles matériels à surmonter se confondent aux conflits intérieurs et aux passions humaines. Vaincre la distance géographique revient à affronter l’infini de l’horizon, même s’il faut pour cela franchir les limites contraignantes du visible. Il arrive fréquemment, comme dans Yeelen de Souleymane Cissé (1987) que le voyage ramène au village des morts, au pays des puissances supérieures.
Dans ce sens, le Héros n’est pas celui qui a terrassé les monstres, quelles qu’en soient les origines ou les modalités d’existence, mais celui qui a accompli le parcours dans les deux sens, à l’aller et au retour.
Pour un grand nombre de textes, la ville représente l’aspect le plus décisif dans cet itinéraire vers l’inconnaissable. L’impatience manifestée par les personnages qui ne résistent pas à de telles tentations indique avec plus de force encore le véritable caractère “démoniaque”, au terme des pulsions conflictuelles que l’individu n’arrive pas à résoudre par sa seule volonté. Finzan de Cheikh Oumar Sissoko (1989) et Bamunan de Issa Falaba Traore (1990) illustrent parfaitement cet aspect.
À travers Niaye (1964), terme qui désigne l’étendue désertique, Sembene Ousmane montre comment une rupture violente entre les individus et les éléments de la nature peut amener à des actes démentiels. Le père censé représenter l’équilibre du pouvoir et des traditions viole sa propre fille, et il est tué par son fils qui était revenu de la guerre coloniale avec des comportements de folie et de démence. Forte de la noblesse de son lignage, la mère qui ne peut endurer le poids de la honte se donne la mort au moyen des herbes vénéneuses du niaye. La fille-mère incestueuse se voit obligée de s’enfuir vers la ville, après avoir parcouru le niaye dans toute sa largeur. Afin d’endurer la malédiction, elle sera ainsi expulsée de l’espace originel et matriciel. À travers le film, le niaye apparaît comme un personnage essentiel (et actanciel et pas seulement figuratif), impliqué dans le récit, et capable d’infléchir les corrélations entre les actants dans le “sens où il fait souffler le vent”.
Métaphore cosmique
Un exemple significatif a été commenté à maintes reprises, et il peut être repris ici au moyen d’un commentaire adéquat, malgré le fait d’une comparaison audacieuse :
[tes dents brillent comme le soleil]
Le “soleil” est encore ici un objet concret, « dé-sign-able » (du latin signum, signi-fic-are). Il est démonstratif et il n’implique aucune relation cosmique particulière. Du reste, une telle relation peut se retrouver dans les mythes, les fables et les légendes cosmogoniques, quand justement la dimension mythologique est invoquée.
Cependant, à partir du même exemple, il est possible de voir comment procède la métaphore par la poétisation cosmique.
1. [tes dents brillent comme le soleil]
La même expression comparative s’emploie pour rapprocher la blancheur des dents (entre le comparant et le comparé) afin d’assimiler la métaphore à l’éclat du soleil, grâce au “sème commun” qui est également le terme de comparaison : /éclat/ ↔ [briller].
2. [tes dents sont le soleil]
L’analogie devient plus explicite, même si le symbolisme n’est pas encore évocatoire. Il s’agirait alors d’une figure elliptique, c’est-à-dire, une comparaison où seule la particule de comparaison comme est élidée.
3. [ta bouche est le soleil] ↔ [le soleil brille dans ta bouche]
La métaphore devient évidente, introduite d’ailleurs par une sorte de “métonymie” :
(dents) → (bouche)
Et c’est ici que peut fonctionner le symbolisme cosmique :
― dans le poétique : l’identification est effectuée au moyen d’un terme comparatif sous-entendu /éclat/ → [briller]. Il reste que (bouche) et (soleil) conservent leurs attributs propres en tant qu’éléments et organes naturels particuliers, ou en tout cas particularisés, et donc par une métaphore au sens sémiologique : un transfert de sens. Elle agit par similarité et par substitution. Dans le sémantisme, au pôle paradigmatique et au niveau de l’équivalence.
― dans la parole et la symbolique cosmique, l’image va plus loin et dépasse le simple comparativisme. Le soleil invoqué est à la fois représenté, mis en jeu (et en scène) et mimé. La métonymie précédente s’en trouve escamotée, même si la référence est à faire aux /dents qui brillent comme le soleil/. Les dents sont à considérer comme le symbole de la lumière et du jour, car en mélangeant les paroles, “elles les emplissent de clarté”. Elles constituent le “chemin de la lumière”, et l’identification est à faire avec la translation des astres. La “parole” et le “dire” de la vérité se constituent en une force qui, à la manière de celle du soleil, ne peut être dissimulée, ni gardée pour soi.
4. [ta bouche : le soleil brillant]
[les dents du soleil (brillent) dans ta bouche]
[le soleil de ta bouche lance son éclat]
[ta bouche et son éclat de soleil]
[le soleil chante dans ta bouche (comme un éclair)]
― la métaphore cosmique est accomplie par la discursivité, car ni le /soleil/ ni la /bouche/ ne sont évoqués dans leur fonctionnement sémantique premier. Le syntagme /dents qui brillent/ qui devait servir de transitivité se trouve annulé par le procès métaphorique. Le paradigme d’un /soleil qui chante/ peut introduire à une meilleure définition de la “métaphore cosmique”.
― une telle interprétation de la nature, avec le soleil qui n’est plus le simple élément naturel mais un symbolisme cosmique peut se comprendre à travers la parole africaine comme le signe d’un anthropocosmisme situé au-delà du simple symbolisme. Et c’est ici que se situe l’origine proprement dite du mythe.
Nombreux sont les poèmes qui permettent de transformer les “aurores” afin de pouvoir “moissonner les étoiles”, à l’exemple des paradigmes métonymiques que développe le recueil de Bernard Dadié, Homme de tous les continents (p. 16). D’autres poèmes rapportent des images toujours renouvelées dans une sorte d’“épopée cosmogonique” qui remonte aux premiers temps de la création de l’univers. Le “soleil” peut être relevé comme typologique dans cette perspective. Il existe ainsi des symboles permanents : la virilité, l’immensité assimilée à l’infini, l’ubiquité éblouissante, la vérité totale, l’éparpillement généreux sur l’univers, le feu purificateur et purgateur-cathartique, ou à l’inverse, destructeur et vengeur.
Cependant, ces thèmes mythologiques paraissent souvent débordés car ils comportent des caractéristiques essentielles susceptibles de convoquer plus distinctement encore la poétique :
― l’intériorisation de la “métaphore” fait décentrer l’univers, afin de ramener l’orbite du tournoiement de l’astre autour du Poète lui-même. Dans le poème, le soleil continue à tourner autour de la terre malgré les révolutions coperniciennes, galiléennes ou autres, mais la terre autour de laquelle il tourne se transforme en permanence en une ellipse métonymique ;
― le nouveau décentrement devient une manière de focaliser la personne humaine, et cela dans un double sens : le soleil tourne autour du Poète, autant que le Poète tourne autour du soleil, sans que les deux centres ne coïncident ni ne s’abolissent mutuellement ;
― en observant les caractéristiques du symbolisme total, le soleil demeure le seul espace prohibitif et prohibé, et donc l’unique instance capable d’accomplir le désir, en même temps qu’il l’interdit ou le purifie.
En étudiant Réveil dans un nid de flammes de Matala Mukadi, il est possible de relever quelques aires sémantiques significatives.
Le soleil est d’abord le signe qui indique la dimension chronologique et qui l’emporte sur la métaphore cosmique proprement dite : “soleil levant” ou “soleil couchant” ne sont que des indications temporelles. Ensuite, il devient le “témoin” des dispositions particulières des hommes, et il prend les couleurs de leurs sentiments. Il peut alors sourire, pleurer, assumer la douleur, la solitude : “femme, le soleil sourit”. Il meurt ou il s’épanouit et les paysages eux-mêmes se couvrent de la même détresse ou d’une joie identique. Et puis, le soleil s’érige en une puissance capable de juger les actions des humains : “soleil de justice”, “le temple du soleil défie les traîtres”. Il apparaît alors comme le fondement de la fidélité et de l’éternité, qui permet à l’homme de se dépasser avant de s’engager dans un acte historique. Enfin, le soleil qui triomphe de la nuit, qui défie les ténèbres, demeure le symbole de l’homme, car présence totale de la Liberté.
O éternel soleil !
Rallume ce feu ardent éteint par la nuit coloniale,
Que l’ennemi de la patrie du continent soit pour moi
Ce qu’est pour toi la chauve-souris (pp. 72-73).
Le domaine du rêve
L’histoire des communautés humaines a été avant tout celle de leurs rêves et de leurs passions communes. Les progrès scientifiques eux-mêmes ont été modulés par cette force de l’imaginaire, ainsi que la concordance de celui-ci avec la Nature. L’alternance des mouvements littéraires, entre le classicisme et le romantisme, le réalisme et le symbolisme, le positivisme et le surréalisme, témoignent de cette convergence nécessaire entre le rêve et la réalité.
L’Afrique a toujours disposé de l’extraordinaire capacité du rêve. Ce qui l’a amenée à surmonter des circonstances par lesquelles d’autres continents n’auraient développé que des fantasmagories de peur ou des images hallucinatoires proches d’un suicide collectif. Faut-il rappeler que des civilisations antiques ont parfois sombré entièrement, alors que celle de l’Égypte ancienne survit encore, non par des substrats, mais par des racines vivantes que la jeune génération tente de reproduire dans un élan passionné de vigueur et de vivacité ? La question ne concerne pas toujours la véracité, mais la crédibilité du rêve, ce qui démontre l’importance de la poétique pour autant qu’il déborde du contexte strictement mythique. Bilolo Mubabinge du “Center for Egyptology and Publisher of African University Studies” l’a expliqué longuement :
Existe-t-il un thème plus original en égyptologie que la Traduction de « Ägyptisches Handwörterbuch » de Erman et Grapow comme préparation à la traduction complète de WB dans une Langue de la Famille Linguistique Bantu ? Y a-t-il un thème plus original que la présentation de résultats provisoires d’un Projet de Traduction de l’Instrument par excellence du travail de tout égyptologue, à savoir le WB ? (…).
Pensez-vous que le thème de la Grèce et de l’Égypte dans l’Antiquité, sur lequel il existe déjà plus de 3000 publications, est plus original et répond mieux à la « demand for original and scholarly research that advance our Egyptological knowledge » que le thème de l’Ancien Égyptien et la Famille Linguistique Bantu sur lequel, exception faite de travaux de T. Obenga, A. Anselin, Ngom et de Oum Ndigi, il n’y a encore rien ? Avez-vous déjà vu, dans une bibliothèque un Dictionnaire « Ancien Égyptien – Langue Bantu » ? (…).
Il n’est pas possible qu’une langue qui était parlée au début de l’époque romaine par plus de 7.000.000 de personnes et comprises jusqu’à Méroé, donc jusqu’en Ouganda et au Sud du Tchad, puisse disparaître, se volatiliser sans laisser des traces – à l’exception du copte – sur l’ensemble du Continent. Le CiKam moderne existe au même titre que le Grec, l’Arabe, le Perse ou le Berbère moderne. L’égyptologie doit se tourner vers les sources du Nil. Une démarche contraire relève du registre de la mystification scientifique.
Les préludes de l’école avaient toujours situé le sacré dans le domaine de l’interdit et de l’inviolable. “Sacraliser” la Nature revenait à la séparer de la communauté afin de lui vouer une vénération particulière. De cette définition absolue découlait également le sens du religieux, qui a fini par se réduire au liturgique, dans ses aspects somptueux et prestigieux par l’institutionnalisation des “Églises” avec leurs doctrines.
Et pourtant, la finalité première du sacré ne réside pas dans la seule gestualité rituelle, mais dans un acte d’alliance et un pacte avec les puissances tutélaires. La quête de l’homme dans son voyage sur la terre (et non pas son errance) ne concerne pas l’appropriation du transcendant, au prix de la transgression de l’invisible, mais la conquête de la Paix. Salamu ! Polee !
Conclusion
Tout part de la Nature, et tout conduit à la Nature, la Vérité de la parole reste la même sous cette forme, ou bien sous la figure parabolique du “tu es poussière et tu retourneras à la poussière” (Genèse 3, 19).
En ayant bien compris les sarcasmes des charlatans de la politique sans idéal et sans espérance, le Poète apparaît enfin comme la parole qui délivre. Cela voudrait dire qu’il refuse d’être le gestionnaire d’une société qu’un n’a pas produite lui-même à l’existence, ni de se faire le délégué d’un discours social qu’il n’a pas inventé. Sans doute, l’espace de la créativité doit être un lieu des métamorphoses permanentes. Les dimensions de l’infini s’étant modifiées avec les soucoupes habitables et les navettes interplanétaires, la rupture avec l’identité première semble désormais consommée. Et la poésie en tant qu’exercice spirituel du vivre et du mourir, transcende la pensée par le verbe incantatoire.
C’est ici la mission essentielle du Poète aux mille visages. La Voix (ou les Voix) qu’il porte afin d’assumer le destin du monde. Longtemps, les pièges de la rationalité avaient enfermé les faiseurs des théories fortes dans des cercles aux contours indéterminés : ceux des plans de développement, des graphiques de kilométrages culturels, des diagrammes indéchiffrables des combinaisons économiques et des tonnages institutionnels. Le savoir transmis par les générations antérieures s’est réduit considérablement à des formules contenues dans des volumineux manuels de transcriptions ethnologiques. Et du coup, il s’est trouvé investi d’une autre densité philosophique.
Les premiers Poètes avaient pu pousser des cris, au point d’ébranler les assises du monde selon l’oracle de Césaire. La promesse s’est accomplie, et le Poète moderne a ébranlé sa propre conscience afin d’inventer le futur. Ce n’est plus telle caste désignée, tels individus privilégiés par l’instruction universitaire ou autre, ou même par le cumul des aphorismes métaphysiques qui identifieront cette parole premier. Le temps est sans doute au rêve et à l’illusion.
L’heure du Poète nouveau est arrivée. La terre l’attend. Elle est prête pour l’accueillir.