Mondes africains

Afrocentrisme et Cancel Culture

Every student of history, of impartial mind, knows that the Negro ruled the world, when white men were savages and barbarians living in caves; that thousands of Negro professors at that time taught in the universities of Alexandria, then the seat of learning; that ancient Egypt gave to the world civilization and that Greece and Rome have robbed Egypt of her arts and letters, and taken all the credit to themselves. It is not surprising, however, that white men would resort to every means to keep Negroes in ignorance of their history, it would be a great shock to their pride to admit to the world today that 3000 years ago black men excelled in government and were the founders and teachers of art, science and literature.
Marcus Garvey

Marcus Garvey (1887-1940) est un précurseur de l’afrocentrisme, un militant du panafricanisme (l’union de tous les Noirs du monde), dans la première partie du XXe siècle. Le texte ci-dessus contient des vérités, à savoir que les Égyptiens avaient une civilisation avancée quand les peuples d’Europe étaient encore des barbares, mais ça tout le monde le sait. Il s’égare quand il affirme qu’ensuite les Européens, et notamment les Grecs, ont puisé toutes leurs idées en Égypte, les ont volées. Par ailleurs, les Égyptiens n’étaient pas noirs, au sens des Noirs de l’Afrique subsaharienne, mais méditerranéens, comme les analyses biologiques modernes l’ont montré, et comme il suffit de voir les Égyptiens d’aujourd’hui. Nasser n’a pas la tête d’Omar Bongo. Petite confusion aussi dans le texte, Alexandrie, fondée en 331 avant le Christ par Alexandre le Grand, n’a rien à voir avec l’Égypte ancienne, celle des pharaons, c’est une ville grecque, des Temps hellénistiques, quand les successeurs d’Alexandre se partagent son empire. Cléopâtre par exemple est une reine grecque descendant de Ptolémée, un général du grand conquérant.

Les Grecs ont inventé la philosophie, comme la démocratie, ils ont été les premiers à utiliser un langage non religieux, non théologique, pour essayer de comprendre la réalité et les causes premières (voir en annexe la différence entre les théologies des diverses grandes civilisations avant les Grecs, et la philosophie grecque). Il s’agit en tout cas de la vision traditionnelle. Cette vision a été remise en cause au XXe siècle, et notamment dans les années 1990 par les premières manifestations de ce qu’on voit exploser partout aujourd’hui, la Cancel Culture.

Cet article a pour but de relater une des premières controverses sur la question de la culture grecque, qui aurait été volée en Afrique, en Égypte plus précisément, dans un monde où de plus en plus la vérité, y compris là où elle devrait régner, les universités, devient moins importante que des considérations sociales, raciales et politiques. L’histoire commence dans une université américaine d’élite, Wellesley College, près de Boston, au début des années 1990, quand une enseignante spécialiste de la Grèce antique, Mary Lefkowitz, née en 1935 (86 ans aujourd’hui, 55 à l’époque), formée à Harvard aux Lettres grecques et latines, se trouve confrontée à l’enseignement de mythes dans la même université.

La remise en cause des certitudes en histoire relève de ce qu’on appelle dans les années 1980-1990 le postmodernisme, qui se caractérise par une forme de scepticisme, ses adhérents pensant que les travaux historiques sont influencés par les idées de leurs auteurs, animées de motivations politiques, qu’ils en soient conscients ou non. Toute affirmation historique est suspecte, même si elle est unanimement établie. Sauf bien sûr celles des postmodernes eux-mêmes ! Les faits sont pour eux simplement des opinions. Les « vérités » ne sont que des idées dominantes, des points de vue majoritaires… Et comme le dit ironiquement Roger Scruton, philosophe conservateur décédé récemment, « Un auteur qui affirme qu’il n’y a pas de vérités, ou que toute vérité est relative, vous demande simplement de ne pas le croire. Aussi, ne le croyez pas ! »

La question du racisme intervient à ce niveau. Les Noirs ayant été dominés dans la société américaine pendant des siècles, le discours majoritaire, celui de l’élite blanche, les WASP, tend à être remis en cause par les recherches académiques du type Black Studies, surtout de la part d’enseignants africains-américains pratiquant l’afrocentrisme. Le postmodernisme devient ainsi une arme contre le racisme. Toutes les recherches antérieures ayant été menées par des Blancs, souvent racistes, même inconsciemment, doivent être remises en question.

Un gros avantage du postmodernisme à l’université, c’est qu’au lieu de passer sa vie à étudier des documents poussiéreux, on peut maintenant se transformer en juge, contester les anciens auteurs, et créer des outils efficaces pour changer le statu quo et mettre en œuvre des réformes sociales nécessaires. Si les mythes en histoire peuvent servir à ça, corriger des torts du présent, beaucoup d’universitaires ne seront pas prêts à les contester. Ainsi, un cours à Wellesley, intitulé Africans in Antiquity, par un certain Anthony C. Martin, professe durant des années que la culture grecque et latine a été empruntée à l’Afrique, même s’il n’y avait pas d’Africains dans la Grèce antique, et un nombre réduit à Rome. Aristote aurait ainsi volé ses idées dans la grande bibliothèque d’Alexandrie.

Mary Lefkowitz fait remarquer lors d’une conférence d’un afrocentriste à l’université que la bibliothèque d’Alexandrie a été construite bien après la mort d’Aristote, mais rien n’y fait, et les étudiants de Martin croient en ses affirmations, et pire pensent que Lefkowitz ment et essaye de cacher la vérité. L’Égypte est aussi assimilée à l’Afrique noire et la question de connaître la race des anciens Égyptiens n’est pas creusée.


Mary Lefkowitz et son livre, où elle conteste les thèses afrocentristes, Not Out of Africa (1996). Le titre signifie simplement que la philosophie grecque ne vient pas d’Afrique.

C’est à ce moment-là qu’elle décide d’intervenir, malgré les conseils de ses collègues et étudiants, qui lui disent de se méfier de Martin, et lui rappellent que le cours est professé depuis des années. Elle leur répond que la mission des universités est claire : enseigner les faits, pas des faussetés évidentes, telle l’idée que les anciens Grecs n’auraient aucun crédit à recevoir de leurs écrits. La bataille va durer plus d’une décennie, et continue sous d’autres formes.

Elle commence par un incident à l’université, opposant une étudiante, Michelle Plantec, à Tony Martin, en 1991. Le second est un professeur renommé, Plantec une étudiante en médecine, à la charge de son dortoir de filles. Martin circulait dans le bâtiment des femmes, cherchant les toilettes en venant d’une réunion. Elle lui demande – comme c’est sa charge – « Qui vous accompagne ? », car tout homme dans les dortoirs féminins doit être accompagné. Martin l’envoie balader, la traite de raciste, bigote, et « fucking bitch ».

La polémique qui s’ensuit à l’université, les demandes de médiation, les différentes versions présentées, aboutissent au départ de l’étudiante, qui pourtant n’a joué que son rôle, avec une dépression nerveuse à la clé. Le professeur s’en tire sans aucune tache. Mary Lefkowitz prend parti pour l’étudiante, mais l’administration refuse de l’appuyer. L’opposition féroce entre les deux enseignants, Martin et Lefkowitz, part de là et se déplace rapidement sur le champ de l’afrocentrisme. Il s’agit, selon la formule lapidaire de cette spécialiste de la Grèce, de « réécrire l’histoire de façon que l’Afrique joue le rôle attribué jusque-là à l’Europe. »

Quelques ouvrages, depuis Marcus Garvey, cité au début, développent ces thèses. Le plus connu est celui de Martin Bernal, un auteur britannique, avec son livre à succès, Black Athena, 1987, suivi de deux autres volumes (Black Athena II et III). D’après Bernal, la culture grecque venait des cultures précédentes de l’Égypte et du reste du Croissant fertile, ie l’Égypte des pharaons et les civilisations mésopotamiennes. Les historiens classiques européens, du fait de leur racisme affiché ou inconscient, auraient minimisé ou caché cet apport. Les anciens Égyptiens auraient même envahi la Grèce au deuxième millénaire avant J.-C., et un grand nombre de mots et de concepts grecs seraient ainsi venus d’Égypte. Il se serait agi d’un cas de plus du pillage de l’Afrique par des « colonialistes » européens (même à une autre époque que la colonisation telle qu’on la connaît).

Il y a eu également, beaucoup plus tôt, l’ouvrage de George G. M. James, Stolen Legacy (1954), le titre étant suffisamment explicite (voir une édition en français du livre en tête de cet article). Plus récemment, par un auteur contemporain de nos deux professeurs, Africa, Mother of Western Civilization,  Yosef A. A. Ben-Jochannan (1918-2015), connu sous le nom de « Dr Ben », celui-là même qui donne une conférence à Wellesley, au cours de laquelle Mary Lefkowitz pose la question sur Aristote. Dans le monde francophone, c’est surtout le fameux auteur Sénégalais, Cheikh Anta Diop (1923-1986), qui développe des thèses comparables. L’université de Dakar porte son nom.

En bref, des milliers de gens, d’étudiants, de lecteurs, sont persuadés de ces thèses, qu’Aristote par exemple serait allé piller les idées égyptiennes à la bibliothèque d’Alexandrie, même si rien dans la vie d’Aristote n’indique un seul voyage en Égypte, et qu’il est mort 25 ans avant la fondation de la bibliothèque (par des Grecs d’ailleurs, après la conquête d’Alexandre). Des étudiants s’étaient plaints aussi dans les cours de Mary Lefkowitz du fait qu’elle ne précisait pas que Socrate était noir. Et cela en dépit de toute évidence, il était un citoyen athénien ; et que Cléopâtre était également noire, même si elle descendait directement de l’aristocratie grecque de Macédoine. Ils y croyaient dur comme fer, et aucune évidence contraire ne pouvait les convaincre…

Pour Martin Bernal, comme il l’annonce lui-même dans l’introduction à son livre, Black Athena, il s’agissait de « rabaisser l’arrogance culturelle européenne ». Bernal voit aussi les Égyptiens comme noirs, et beaucoup de gens aujourd’hui veulent qu’ils aient été noirs, cette affirmation servant un but politique, et non scientifique. Au lieu de faire une recherche objective sur la question, Bernal accumule dans son livre nombre de références afrocentristes, et de notes, visant à conforter ses dires, dans le but de paraître complet et savant. Pour lui, les faits n’existent pas, il n’y a pas d’objectivité possible, l’histoire n’est qu’interprétation parmi les éléments les plus plausibles.

On retrouve là le postmodernisme et les idées de penseurs français, avec la French Theory, exportée aux Etats-Unis, penseurs comme Michel Foucault, qui considère, dans par exemple Histoire de la folie à l’âge classique (1961), que les gens au pouvoir, et les cultures dominantes en général, sont en position de déterminer la nature de la réalité, et que toute perception de cette « réalité » n’est qu’une construction artificielle. Si la définition de la folie pouvait varier selon les époques et les cultures, changer au cours du temps et des lieux, comment peut-on être sûr au sujet du reste ? Les chercheurs classiques sont ainsi vus comme désespérément naïfs et peu profonds.

Bernal, sans aucun crédit comme chercheur sur l’Antiquité, clame que tous les autres avant lui étaient engagés dans une imposture, visant à cacher l’apport africain. Il a été considéré par nombre de gens comme faisant autorité, simplement parce qu’il attaquait les préjugés raciaux et religieux. Toute contestation de ses idées était rejetée, parce que vue comme une apologie de racistes, ou comme la prétention de rapporter des faits, prétention, puisqu’il n’existe pas de faits objectifs. De plus, on ne pouvait faire confiance aux historiens traditionnels selon Bernal, toute contestation ne pouvait venir à ses yeux que de l’extérieur à la discipline, car tous les spécialistes de l’Antiquité « sont complètement imbus des conceptions anciennes, et incapables de les remettre en question ». Ils n’étaient que de passifs transmetteurs et traducteurs sans esprit critique. Bernal se voyait un peu comme un nouveau Newton, ou Einstein, mais dans le domaine de l’histoire et des sciences sociales, quelqu’un faisant table rase des croyances passées. Le fait qu’il ne soit pas un spécialiste des études antiques et classiques, et qu’il ne connaissait même pas l’écriture hiéroglyphique (ce n’est nullement un égyptologue, pas plus que Diop d’ailleurs), est cependant pour lui un plus car les changements de paradigme, les révolutions scientifiques, selon lui, sont provoqués par des étrangers à la discipline. Les spécialistes sont trop dans la routine pour apporter des changements majeurs.

Mary Lefkowitz fait en 1992 un compte rendu de son livre dans un article. Elle explique que l’influence de l’Égypte sur la Grèce est tout à fait réelle, mais que l’influence n’est pas un signe d’origine, ni de vol. Contrairement à ce que qu’affirme Bernal, et d’autres auteurs cités plus haut. La recension de Mary Lefkowitz, bien que dépassionnée, suscite des réactions outrées des cercles afrocentristes. Pourtant la philosophie grecque se crée de façon autonome, dans l’atmosphère de débat et de contestation, aux Ve et IVe siècles avant notre ère, rappelons les dates de ces immenses personnages :

-470______________-399

………….Socrate, 71 ans

……………-428_____________________-347

……………………………….Platon, 81 ans

……………………………………………-384_______________-322

……………………………………………………….Aristote, 62 ans

…………………………………………………………-356________-323

…………………………………………………..Alexandre le Grand, 33 ans

Alexandre le Grand conquiert l’Égypte en -332, et les Grecs s’installent à Alexandrie, sans se mélanger à la population égyptienne. Tous les pharaons sont ensuite des Grecs macédoniens, jusqu’à Cléopâtre en -31, quand l’Égypte devient une province de Rome. La bibliothèque d’Alexandrie est créée en -297 par Ptolémée Ier. Tous les écrits philosophiques en Égypte à la suite du IVe siècle découlent de Platon et Aristote, et non le contraire. Platon et Aristote n’en ont pas été les bénéficiaires, mais les inspirateurs.

Par la suite, la situation s’envenime à l’université, les tentatives de Mary Lefkowitz de dialoguer restent sans réponses, le professeur Tony Martin la traite de raciste parce qu’elle conteste son interprétation, le doyen de l’université refuse de prendre parti. Les deux visions, étude rationnelle des faits historiques d’un côté, présentation de mythes ayant valeur de redressement social de l’autre, continuent à s’affronter, à coups de pamphlets, de prises de position dans les cours, d’articles et de publications diverses, et même de plaintes et procès.

Transformer des mythes en histoire

Dans un dernier ouvrage en 2008 (History Lesson, A Race Odyssey), Mary Lefkowitz retrace toute l’histoire, avec les détails de l’affrontement, les critiques, les débats, les réponses, etc. Une lecture passionnante, l’ouvrage d’une femme, peu défendue par son institution, qui s’élève seule contre tous les tenants d’une histoire déformée. Avec aussi toutes les connotations antisémites qui apparaissent à cette occasion, provoquées par Tony Martin.

L’Égypte ne peut pas être la source de la philosophie grecque antique, parce que les hiéroglyphes ont été déchiffrés par Champollion en 1822, grâce à la pierre de Rosette[1], et qu’on connaît donc les textes égyptiens, on peut les lire. Il n’y a rien qui laisse penser que les idées des Grecs aient été volées là-bas, il n’y a aucun texte de philosophie, aucune idée philosophique dans le passé égyptien. Et contrairement en outre à ce qu’affirme Bernal, il n’y a eu aucune invasion de la Grèce par l’Égypte antique au 2ème millénaire avant notre ère. Le grec, la langue, ne vient pas non plus en partie de l’égyptien, avec des mots similaires, comme le suggère Bernal. Le grec, le latin et le sanskrit appartiennent au même système linguistique, le système indo-européen, alors que l’égyptien appartient aux langues sémitiques, ou chamito-sémitiques (Chamites, ou Hamites : descendants de Cham[2], dans la Bible), comme l’hébreu, l’arabe, l’araméen ou le berbère. La langue copte dérive de l’égyptien ancien, mais a été remplacée avec les autres par l’arabe.

En outre, Bernal est marxiste et il s’identifie à la gauche académique. L’étude de l’Antiquité a une faible place dans l’université, mais elle est particulièrement vulnérable car il s’agit des fondations de la culture occidentale, et donc la cible des attaques de l’extrême gauche. Peu importe que les arguments ne soient pas scientifiques, pourvu qu’ils servent un but social, un but politique, ici rabaisser l’arrogance occidentale, et revaloriser les cultures africaines. De toute façon la vérité est si lointaine qu’elle ne peut être connue pour certaine, et autant privilégier ce qui va dans le bon sens social, dans la bonne direction des idées de gauche. La « science historique » n’est de toute façon pas une science, c’est un point de vue à côté d’autres…

En réalité, il s’agit de fiction historique, et Black Athena est plutôt un roman historique qu’un travail historique sérieux. Une sorte d’uchronie. Les mathématiques et l’astronomie grecques ne sont pas davantage d’origine égyptienne, mais auraient d’abord été développées en Mésopotamie, puis améliorées par les Grecs. On a affaire dans l’Antiquité à un monde sans pays aux frontières établies, sans passeports, sans monnaies nationales différentes, sans obstacles aux voyages, ni à l’acquisition de nouvelles expériences culturelles ou artistiques. Un monde où les influences vont dans tous les sens, surtout des civilisations du Croissant fertile, de l’Égypte à la Mésopotamie, en passant par la Judée, la Phénicie et l’Assyrie, vers la Grèce qui s’en trouve bénéficiaire à travers l’Anatolie (la Turquie d’Asie actuelle), grecque à l’époque. Donc, lorsque Bernal parle d’une influence à sens unique, de l’Égypte vers la Grèce, il se trompe (en plus du fait qu’à l’évidence il veut établir un point, il est dans l’idéologie), on a au contraire des influences multiples, par admiration réciproque de ces diverses cultures, non par vol, imitation, plagiat ou copie… Autant d’interprétations absurdes pour les spécialistes de l’Antiquité. En outre, retirer aux anciens Grecs le mérite de leur apport est simplement indigne, et insultant pour leurs descendants aujourd’hui.

De même, quand Bernal attribue à leur racisme le fait que les auteurs européens du XVIIIe et du XIXe siècle aient tous sous-estimé l’apport égyptien, il ne choisit que certains auteurs – ceux qui arrangent sa thèse – et laisse de côté tous ceux qui ont insisté sur la grandeur de la civilisation égyptienne. En réalité, ce sont des Européens qui ont rendu à l’Égypte son rôle éminent, loin de l’avoir occultée. Ne pas oublier Champollion, et simplement l’obélisque en plein cœur de la capitale française.

La réalité est que le succès de son livre, et son acceptation par nombre de bons esprits, vient de la mentalité de l’époque, il s’agissait avant tout de prendre une position morale confortable, critiquer les réalisations de l’Occident à bon compte, se donner le beau rôle, en dépit de la vérité historique : « Rabaisser les études du XIXe siècle était une façon de faire quelque chose, ou donner l’impression de faire quelque chose, contre les lacunes de la civilisation occidentale. » (Mary Lefkowitz)

Et nombre d’Afrocentristes jouent systématiquement la carte du racisme à leur encontre, même s’il n’y a rien de tel. Pour défendre leurs vues, ils n’ont qu’à prétendre que leurs critiques sont des racistes, et il y aura toujours des gens pour les écouter :

Jouer à ce jeu consiste à trouver du racisme dans n’importe quelle feuille qui tombe, tout en comptant sur le réservoir sans fond de la culpabilité blanche et occidentale. Et ne pas reconnaître la déférence qu’ils reçoivent, alors qu’ils acceptent les micros et les pages des médias, les royalties sur leurs ouvrages, les positions académiques, et les droits et protections constitutionnelles. Jim Sleeper, cité par Mary Lefkowitz

Et malgré tout cela, tous ces avantages, ils insistent sur l’idée qu’ils sont maltraités, qu’ils sont les victimes d’une oppression systématique. Pour certains Afrocentristes et leurs partisans, leurs thèses sont des « vérités » et ils refuseront de voir que ces vérités sont en fait des opinions. Ils se disent que de toute façon il y a de nombreuses vérités différentes, qui sont d’égale valeur. Et les observateurs extérieurs, comme beaucoup d’universitaires, reculeront devant la défense de la vérité en disant : « Ce n’est pas mon domaine, je ne peux pas juger. » Mais ceux-là pourraient simplement se renseigner, et s’ils ne le font pas, c’est par crainte que la carte de la race et du racisme soit jouée contre eux une fois de plus.

La liberté d’expression dans le monde universitaire n’autorise pas à écrire ou dire n’importe quoi sur n’importe quel sujet, mais à permettre la libre pensée et la libre discussion de sujets divers, même controversés. Pas par exemple à laisser s’exprimer un négationniste de la Shoah, ou quelqu’un qui prétend qu’il n’y avait ni juifs ni Israéliens victimes dans les tours du World Trade Center en 2001 parce qu’ils avaient été prévenus avant, ou que les juifs auraient été les acteurs principaux de la traite esclavagiste (un autre « débat » venant des Afrocentristes), ni quiconque à affirmer ce qu’on peut démontrer comme faux. Les chercheurs qui sont pris à falsifier les données dans leurs livres ou articles sont sanctionnés. Tous ceux qui affirment des choses fausses, ou simplement qui ignorent les faits qui leur sont présentés, devraient l’être également, pour comportement non éthique. Les étudiants sont les premières victimes de ce type d’enseignement. Certains croiront même que ceux qui critiquent ces dérives mentent et affirment des contrevérités, pour des raisons politiques ou liées au racisme.

 

Annexes

  • Black Athena Revisited, ouvrage d’une équipe de chercheurs universitaires, coordonnés par Mary Lefkowitz et Guy Maclean Rogers, de Wellesley University, visant à démonter point par point, tous les arguments de Bernal, 1996.
  • La différence entre la théologie égyptienne et la philosophie grecque, selon Mary Lefkowitz :“We also need to define, so far as possible, just what we mean by the world philosophy. If we use it as the ancients did, it applies to all kinds of knowledge, and therefore anyone who has acquired learning of any kind can be a philosopher. But in this book I use the term philosophy in the more specialized, modern sense, to mean the study of causes and laws underlying reality or a system of inquiry designed specifically to study those laws and causes. The ancient Egyptians and Babylonians were learned and had what we would now call advanced civilizations; they could have developed an abstract terminology for discovering causes and principles had they chosen to do so. But they did not study and analyse the nature of reality in abstract, non theological, language. This specialized notion of philosophy was invented, as far as anyone knows, by the ancient Greeks.” Extrait de Not Out of Africa, 1996
  • Débat entre Mary Lefkowitz et Martin Bernal, et deux autres chercheurs.
  • Extrait de 1984, George Orwell, annonçant la Cancel Culture :“By 2050, earlier, probably – all real knowledge of Oldspeak (standard English) will have disappeared. The whole literature of the past will have been destroyed. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron – they’ll exist only in Newspeak versions, not merely changed into something different, but actually changed into something contradictory of what they used to be. Even the literature of the Party will change. Even the slogans will change. How could you have a slogan like ‘freedom is slavery’ when the concept of freedom has been abolished? The whole climate of thought will be different. In fact there will be no thought, as we understand it now. Orthodoxy means not thinking – not needing to think. Orthodoxy is unconsciousness.”
  • Compléments bibliographiques :

Fauvelle-Aymar, François-Xavier, La mémoire aux enchères, L’idéologie afro-centriste à l’assaut de l’histoire, Verdier, 2009

Howe, Stephen, Afrocentrism: Mythical Pasts and Imagined Homes, Verso, 1998

Article du Figaro de Raphaël Doan sur la question du racisme dans l’Antiquité.

[1] Au British Museum maintenant. Découverte lors de la campagne d’Égypte de Bonaparte, en 1799, et ramenée par un navire français capturé, en 1802. Le même texte est écrit en trois langues : grec, démotique et égyptien ancien (hiéroglyphes) et permet le déchiffrage, par Champollion, âgé de seulement 32 ans. Le démotique est une ancienne écriture égyptienne, basée sur une simplification des hiéroglyphes, avec une forme alphabétique.

[2] Malédiction de Cham, voir ici sur ce mythe. L’illustration ci-dessous donne la vision du monde d’Isidore de Séville (560-636) selon laquelle les trois fils du patriarche Noé, Sem, Japhet et Cham, se seraient partagés la Terre :