Tribunes

Le masque du bourreau

En littérature, le masque selon le Larousse, est l’apparence trompeuse sous laquelle on s’efforce de cacher ses vrais sentiments. Et des exemples sont cités : « Ôter le masque ». « Jeter le masque »…

Un visage artificiel conçu soigneusement qui laisserait croire ce qui n’est pas dans un objectif connu uniquement par le porteur de l’artifice.

Camouflage de guerre, maquillage de carnaval, cagoule du vandale ou double face de l’escroc ou du meurtrier des âmes, dans tous les cas, l’inconnu derrière un masque agit souvent selon une stratégie que lui seul semble maîtriser…

L’image sombre d’un bourreau cagoulé et appliquant froidement la mort a même pu marquer de nombreux esprits… Et pourtant…

 Le bourreau sans le masque

Ils ne portaient pas toujours des cagoules… Au cours de l’histoire, certains bourreaux chargés après les procès, des exécutions des condamnations à mort, n’ont pas cherché à préserver leur anonymat. Ils assuraient l’exécution des arrêts de justice appelées « les hautes œuvres » à visage découvert, et plus troublant, certains sont devenus étrangement célèbres pour leur fonction. C’est le cas d’Anatole Deibler (1863-1939) qui essaya d’échapper à son destin en devenant vendeur, mais qui finalement, suivit la tradition familiale en assurant les exécutions des grands criminels en France (au début du 20è siècle) jusqu’à sa propre mort (d’un arrêt cardiaque) (I). Nulle dissimulation vestimentaire pour le célèbre Deibler que tout le monde savait exécuteur en chef des arrêts criminels et que la foule venait voir « travailler » avec une couverture des médias de l’époque… Anatole Deibler, un mystère quant à la gestion des émotions et du faciès pour la conduite de ce métier funeste ? Cela ne fait aucun doute.

 

Le masque sans le bourreau ?

L’exemple du carnaval et de ses déguisements semblent dans ce contexte fort approprié. Pendant un laps de temps déterminé, un certain nombre d’individus se mettent d’accord pour se masquer les uns pour les autres (II). Les masques sont les rois de la fête mais leur utilisation repose sur ce qui semble être un accord de fait entre les carnavaliers : « Je ne sais pas qui tu es en réalité. Voilà le jeu ». La parade devient une illusion assumée qui s’évanouira après la semaine du mardi-gras.

Mais même dans le cadre de ce moment éphémère, on retrouve tout un art de la préméditation pour assurer le succès des mascarades : le choix du déguisement, le soin apporté à son accoutrement ou son maquillage… Dans les contrées où le carnaval est une tradition religieusement suivie, certains comités dédiés travaillent sur leurs thématiques pendant toute une année…

 

A dessein oui. Le projet semble être un des particularismes de base de celui qui se masque, bourreau ou non.

Au cours des années 30, en France, le Comité Secret d’Action Révolutionnaire (CSAR) dit « La cagoule », pour renverser un gouvernement qu’il accuse d’être « aux ordres de Moscou », s’organise grâce à l’implantation de nombreuses caches d’armes réparties dans Paris et l’utilisation des égouts, pour « renverser » le pouvoir en place tout en prétextant des mouvements de protestations populaires. Attentats de l’Etoile à Paris, la peur du communisme ouvre la porte à tous les complots et là encore, un art de la dissimulation sans équivoque. Personne ne sait où frappera « La cagoule » jusqu’à sa chute lors de la révélation du putsch raté de la nuit du 15 au 16 novembre 1937 (III)… Autres cagoules, autres violences avec le port de masques dans certaines sociétés pré-colombiennes pour des sacrifices humains, les robes masquées des anciennes photos d’exécution de groupes racistes… Douloureuses réminiscences de l’histoire humaine.

Cependant et dans un contexte bien plus intime, le masque du bourreau peut aussi être très subtil, un  « deuxième visage » : le conjoint victime de violences psychologiques et physiques peut en témoigner. Le « partenaire bourreau » n’était souvent pas celui qu’il paraissait au premier abord jusqu’à ce que le masque tombe.

En Haute-Corse, le dimanche 5 mars 2019, Julie Douib, 34 ans et maman de deux enfants, était assassinée à son domicile sur L’Île-Rousse. Elle avait été battue et violentée pendant son mariage et avait déposé plusieurs main-courantes depuis sa séparation. Selon la procureure de la République de Bastia, la jeune femme aurait manifestement été tuée par son ex-conjoint, avec qui elle était séparée depuis six mois. Ce serait le compagnon de la victime qui lui aurait tiré dessus à deux reprises. Il s’est présenté dans la foulée aux services de gendarmerie pour se constituer prisonnier… (IV)

Oui, la préméditation d’un méfait et la blessure d’un autre. C’est le plus souvent ce qui justifie l’utilisation d’un masque, quelque justification que l’on puisse se donner.
Hors d’un cadre de convenances, à l’image de la scène, des arts et des costumes, hors des lois discutées et établies par tous, le masque cache souvent un bourreau de soi-même et des autres.

 

Notes

(I) Gérard Jaeger, Anatole Deibler, l’homme qui trancha 400 têtes, Félin, 2001.
(II)  « Carnaval » dans le Dictionnaire de l’Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales.
(III) “11 septembre 1937 : Le Complot de la Cagoule” – de Clélia Guillemot – Gallica  Bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France
(IV) Article “Trentième victime de féminicide depuis le 1er janvier” de Jeanne Sénéchal paru dans Le Figaro du 6 mars 2019. 

———