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“Soleils vivaces” de Jean-Michel Aubevert

« Mon royaume n’est pas de ce monde » [1]

Sous le signe de la rose et du soleil, le recueil de proses poétiques Soleils vivaces de Jean-Michel Aubevert questionne le monde, ses croyances de toutes sortes qui étouffent la liberté et le souffle de la vraie vie, celle de la rose qui éclot malgré tout, répandant son parfum, éblouissant par sa beauté presque irréelle. Cette beauté fragile se défend par les épines contre toute agression. Elle se veut la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus pur depuis la Création. C’est aussi celle de la Parole Sainte, du Verbe créateur converti en langage poétique quand elle témoigne de l’éternel rayonnement de la vie dans le combat des civilisations qui ne cessent d’imposer leurs hégémonies meurtrières contre la liberté naturelle de l’homme et de sa pensée :

« Il est bien temps de crier qu’on assassine la liberté ! Je fus Charlie. Les djihadistes n’ont pas tué l’hebdomadaire ; ils l’ont sauvé d’une asphyxie économique par le traumatisme qu’ils ont causé. L’économie est une politique, le choix des démocraties de marché. Pour ainsi dire, elle transcende nos vies. Je garde pour sauvegarde la rose, poète d’entre les têtes pensantes. Je rends au monde ce qui appartient au monde. […] La poésie désarme les larmes en se changeant les yeux. En chaque rose se joue le jour de mémoire de poète. Et c’est une barque d’étoiles où se surprend une âme d’enfant à exister par-devers les grands de ce monde. »

La Rose de Jean-Michel Aubevert, aux multiples sens, mythiques, bibliques, livresques (Dante) « symbolise un calice dans l’apothéose d’une croix ». Par elle, le poète s’interroge sur l’amour, la famille, l’existence, la religion, le langage, la poésie et son rôle de témoin, de combattant, son rôle d’affirmer, de révéler les couleurs du paradis:

« Ô la rose d’un véritable amour, et la rose de son vocable ! Et comment relancer le dé bleu cher au poète pour tirer le chiffre du ciel au sept des Pléiades ? Je dirai que la poésie creuse le réel pour nous rappeler que nous vivons à l’horizon d’un ciel, pour aérer les mots dans une respiration de l’esprit. J’ai revisité mon tarot d’images, mon parolier d’assonances, en y introduisant un jeu de roses et tant de pétales en ont volé que j’en ai gardé un sentier de pages. Certes, ce ne fut pas sans qu’en chemin des roses, resurgissent les épines qu’on nous promet pour rançon de la fleur sur la foi des lauriers d’un Sauveur, sans en passer par l’étranglement des sanglots. »

D’un lyrisme profond, riche de métaphores, lourd de réflexions, « Soleils vivaces » déploie en ses pages les images fulgurantes de la beauté entrevue aux instants de grâce où l’âme du poète ressent son accord avec l’univers qui se révèle à lui telle la rose qui ouvre son bouton pour étaler sa lumière, celle d’un commencement perpétuel de la vie dans toute sa fragilité et sa beauté. Elle offre à tous, la preuve de son rayonnement, de sa vivacité d’un instant, sans rien demander. Elle est là, lumière et joie d’être, pétales et parfum, vie, l’image de la perfection à laquelle aspire l’esprit.

Le langage poétique de Jean-Michel Aubevert est aussi frais, tendre, soyeux, rayonnant que celui de la rose, à la fois interrogatif, réflexif, sarcastique. On pourrait comprendre la rose comme symbole de la beauté du langage inspiré face à celui fabriqué, de la vie authentique, naturelle, désenchantée par le pouvoir économique manipulateur de la langue.

Le poète s’abreuve au rêve, se réveille à l’écoute des herbes, fleurs, forêts, vagues de la mer, étoiles, pierres. Il est le garant de l’espérance, de la lumière qui scintille dans la boue de la vie, telle la rose qui s’épanouit dans la vase. Il entend l’écho d’une autre vie qui se réveille sans cesse dans son âme, l’élève à la beauté de l’esprit. Il est à la quête du Graal, celui de la Parole Sainte, tel le vrai croyant. Il faut se méfier des « croyants », puritains, économistes, psychanalystes, se libérer du cortège des servitudes imposées par les autres, n’écouter que le langage du ciel et de la terre parler de l’amour pour découvrir la joie d’être, la voie de la liberté naturelle, l’harmonie qui règne dans l’univers.

Pour nous convaincre de sa parole de poète, Jean-Michel Aubevert emprunte la lyre mythique d’Orphée et prête à son chant poétique la connaissance d’Apollon. Il convoque dans l’intertexte de ses poèmes les mythes de la Grèce et de l’Égypte, les légendes, l’Évangile, les poètes du renouvellement du langage poétique (Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, René Char, Rainer Maria Rilke), les peintres de la lumière (Monet, Renoir, Van Gogh), les prosateurs de sensibilité poétique (Antoine de Saint-Exupéry, Christian Bobin), les physiciens (Copernic, Galilée, Pascal), sa mémoire affective, les constellations du ciel et les éléments de la Terre pour évoquer la naissance de la poésie et le côté lumineux  de la vie. Car la poésie est révélation de la lumière, d’une âme touchée par le soleil vivace qui est la vie même dans sa beauté révélée au regard du poète, du peintre. Dans les toiles de Monet le poète entrevoit la nage des nymphéas et « le ciel touché d’une âme ».

Soleils vivaces est structuré en plusieurs séquences, chacune comprenant plusieurs poèmes en prose, très mélodieux dans leurs sonorités.  Les syntagmes rimés fluidisent et harmonisent les phrases : La poésie effrontément, Venir au fleuve (celui de la parole), Dernier Quartier, Un rêve, Sur un lit de langage, Un poème simple, Une page à tourner, Ulysse revient, Métaphore d’un or, Une fleur, Sous le fouet de la Rose.

Dans ses poèmes, le lyrisme pur est aussi imprégné de réflexions ironiques, incisives, révélant la pensée d’un poète révolté contre les dogmes, les manipulateurs des consciences, de la psyché et du langage, contre l’arrogance des « connaisseurs » de toutes sortes, y compris parents, psychologues, psychiatres, politiciens, ecclésiastiques, économistes, scientifiques.

Jean-Michel Aubevert vit intensément la poésie, s’identifie à la parole créatrice de mondes nouveaux, au souffle des herbes, de la marée, de la fleur qui éclot, du rêve : « J’étais au bord des lèvres la langue qui s’oublie à écoper la fièvre […] J’étais la fleur qui s’ouvre à l’évidence du jour. J’étais la mémoire qui s’abreuve dans la longueur d’un fleuve. »

Le poète cherche « quelque chemin d’Adam oublié des censeurs », la métaphore de la poésie qui est « en avant y tient son agissement dans la tension d’un arc où la lumière s’arbore » et le langage« mit sous la tension du visionnaire ». Il est l’éternel Ulysse, son Ithaque, la poésie. Son odyssée  est celle du langage, dévoilée par son crédo poétique: « Je ne me fie qu’aux cérémonies du verbe, à ces épiphanies dont la poésie prend acte sans les couler en article de vérité. » 

 


[1] Jean-Michel Aubevert, Soleils vivaces, Le Coudrier, 2015, 154 p.