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“Le Silence entre les neiges” de Sonia Elvireanu

C’est une œuvre stimulante qui suscite tout aussi bien des émotions et des réflexions en s’adressant aux sens et à l’intellect. En ce sens se profile l’être entier dans sa sensibilité et ses capacités de jugement. Deux dominantes d’un texte qui donne à penser à sa nature binaire qu’il exprime de diverses manières : que ce soit sur le plan des sentiments, ou sur le plan des idées, et sur le plan de l’écriture poétique, autant de paramètres que notre étude s’ingéniera à mettre en relief au fil de nos analyses.

Comme premier caractère de l’œuvre, nous pouvons la considérer comme une poésie amoureuse. En effet, au centre de l’énoncé se développe une relation amoureuse et sentimentale fantomatique entre deux êtres vécue dans les interstices. Relation roseau qui plie et ne rompt pas, car dans la tendresse blessée et déchirée des deux tourtereaux, on ne compte pas les cris de détresse et les appels au secours.

Comme deuxième trait distinctif, on parlerait d’une poésie existentielle qui pose en creux les grandes questions de la destinée humaine dans les relations amoureuses et sentimentales, ou de la place de l’homme dans l’univers avec lequel il entretient des relations de réciprocités et d’engendrement réciproque.

En l’occurrence, il s’agit des êtres-monde proportionnés à la dimension de l’univers environnant afin de l’épouser en sa tripartition d’esprit, d’âme et de corps, dans l’harmonie des êtres-monde pour un engendrement réciproque. L’homme est à l’image du monde qui le reflète. Dans le contexte où nous nous plaçons, sur un plan religieux ou spirituel c’est la théologie du panthéisme, ou, sur un plan général, c’est la philosophie de l’écologie qui est à l’oeuvre. Dans un cas comme dans un autre, il existe un Dieu-nature qui sécrète la substance vitale.

Par ailleurs, le texte élabore une vision du monde, une manière de sentir, un mode d’être une conception esthétique qui privilégie la féerie, le kaléidoscope mettant en jeu l’être entier esprit, âme et corps ou les sens, notamment l’aspect arc-en-ciel, dominante symbolique du blanc, l’audition (musique, cris et chants), l’olfactif (parfums et autres odeurs).

Les différents états de l’humain :

L’homme solitaire.

Le poème à la page 14 met en scène l’homme seul, car le titre en fait foi : <La solitude de l’aube<’absence, le lierre dans les matins solitaires,/ drapant la solitude à l’aube ». Sur le même motif ; <Le Levant solitaire sous la neige< plaide en faveur de l’idée de solitude comme état du monde (19). La solitude du monde est susceptible d’avoir ses effets dans l’âme humaine. Ainsi, il en va dans le  recueil il est beaucoup question de la solitude des protagonistes. Autre aspect du motif : C’est l’expression du mal-être d’une existence au ralenti, et qui, de ce fait se replie dans le repos, le tassement et la redondance.

Automne et fatalité : « je me rappelle la lumière à travers les troncs/ et toi enchaîné à un arbre. / on s’est enlacés épouvantés, / le labyrinthe de brume nous a séparés/ cet automne viennois…… »(12)Les êtres sont hors de prise et au-delà de prise, inaccessibles à eux-mêmes et aux autres ; c’est alors le règne des ombres et des traces et des reflets. Les êtres comme ombres : C’est le cas du poème Psaume  qui nous informe que : « Les ombres ne prennent pas corps/ / ne se laissent pas embrasser,/ parfois il lui apparaît dans le rêve ,/ elle le recherche encore,/ lui murmure des paroles oubliées » (17).

Pour les êtres comme reflets : rôle du miroir. C’est une manière d’être inconsistant, inaccessible comme une ombre : « La frontière entre nous/ c’est l’ombre » (31)Pour les êtres comme traces. L’idée de <traces< est clairement suggéré par le poème Traces étrangères dans lequel est développée la pensée de l’être aux prises avec les choses du monde contre lesquelles il faut se battre pour exister ou du moins pour garder son identité : « dans le corps-souvenir,/ que j’ai perdu ma propre trace/ entre tant d’autres étrangères à moi,// qui veulent vivre en moi » (83).

Autre cas des êtres inaccessibles : « Au-dessus des nuages blancs à travers lesquels/ on a tant de fois flottés ensemble/ nous avons jeté l’ancre dans l’infini » (36).

Le désert humain

Nous comprenons le <désert< comme un monde dans lequel on se sent étranger, monde qui nous exclut parce qu’il est hostile. Par ailleurs, c’est un milieu dans lequel on se plaint ou ou souffre de solitude et de rejet. Sur un autre plan, on souffre de perte du sens de sa propre personne, et d’absence à soi. De plus, les êtres sont sous l’empire de l’automne <l’automne se met sous mes cils< (88). Sous l’empire de l’hiver. Un monde hostile : « Les instants , le tourbillon de neige parmi/ les ténèbres en moi/ l’épouvante faisant s’écrouler / les cailloux sur ma montagne » (14).

Tous les efforts pour joindre l’autre sont demeurés vains. Dabord : < je t’ai appelé, tu n’étais nulle part » Ensuite : <Je t’ai cherché, tu n’étais nulle part< Enfin : <j’ai crié ton nom, tu n’étais nulle , part< (11).

Le caractère religieux : le panthéisme.

Est en cause fondamentalement le rapport à l’univers, à la transcendance. Au centre de l’œuvre cela s’incarnent dans quelques manifestations humaines qui débordent le cadre des choses ordinaires, c’est-à-dire qui ne répond pas de la logique humaine des phénomènes, et que de ce fait nous attribuons au surnaturel ou le merveilleux.

Les êtres évoluent dans un univers où se produisent des événements qui se distribués sur deux échelles différentes : l’une qui participe du monde naturel, et l’autre qui relève du domaine du surnaturel. Donc double régime des faits dont celui répondant au nom du surnaturel retiendra la meilleure de notre attention dans cette chronique.

Le champ de définition du surnaturel en général. C’est le monde dans lequel l’homme exhale quelque chose de supérieur à lui-même qui se rapporte au domaine de l’indicible, de l’extase. Dans l’oeuvre, l’amour est exhaussé à un niveau supérieur et transcendant dont l’asymptote tend vers l’infini. Donc au monde fini s’oppose le monde infini dans lequel les conséquences des actes échappent aux contingences et limites spatio-temporelles.

Quant à l’homme lui-même, il est portraituré comme une créature angélique affranchi des lois de la pesanteur. On touche aux parages de l’absolu ; et l’admiration absolue de l’homme touche a à la sacralité de l’homme. C’est aussi l’homme monde ou l’homme-univers. Dans ce contexte, le sacré signifie : respect, admiration.

Donc le texte érige en dogme l’existence de valeurs supérieures. Ces données étant posées, il importe maintenant de les actualiser par des exemples tirés de l’énoncé que représente le recueil.

1-Champ lexical du religieux. Nous avons souligné des mots et expressions relevant du domaine religieux dont voici une liste non exhaustive : « la ceinture de Dieu » (page 42) ; « l’au-delà » (page 26) ; la déesse « Isis » (page 34). La visiteuse venant du Yémen pour rencontrer le roi Salomon « Reine de Saba ». Deuxième occurrence du vocable Dieu : « l’autre Dieu, au-dessus de l’arc-en- ciel » ; les trois termes associés aux Rois mages visitant l’enfant Jésus « l’encens, la myrrhe et l’or »  (page 37) ; le terme « psaume » (page 37), un livre de la Bible ; le vocable promesse dans l’expression « promesse sainte » (page 41) ; le terme « anges » (page 115) ; le terme « prière » (page 117), etc.

2-Goût du merveilleux. C’est d’une part l’expression de l’anthropomorphisme de la nature agissant comme l’être humain. On apprend d’un côté que « le sable chante » (page 51) ; de l’autre, on écrit « le soleil se meurt » (page 112). La même propension à l’anthropomorphisme : « la nature comme par-dessus le visage des nuages » (page 46).

Pour ce qui est de l’homme, il est investi de pouvoirs surnaturels lui permettant d’agir sur les éléments ou de résonner avec eux. Par exemple, on met en évidence le pouvoir de la protagoniste sur le soleil : « elle attire le soleil sur les sentiers » (page 47). Dans le même poème, il est question des « ombres par-dessus le soleil traînent sous les pas ».

C’est aussi l’idée de l’être-monde ou être-univers pour véhiculer la pensée de l’homme irradiant hors de l’ordinaire pour irradier vers l’extraordinaire. Tout prend un sens nouveau planant au-dessus du prosaïsme pour s’élever à l’indicible et l’extase promouvant un être voisinant entre homme et ange en rapport avec la réflexion de Blaise Pascal postulant que « l’homme n’est ni ange ni bête ».

Cet être médian se signale par des actes et un milieu très caractérisé. Sur le plan du toponyme, c’est l’univers du blanc, signe de l’innocence et de la pureté. Le « blanc » dont il est question est « le blanc primordial » (page 39). Pour ce qui est des « actes », ils sortent de l’ordinaire, c’est ce qu’on nomme le merveilleux.

Dans le poème « Le jeu des anges », il y a inversion des valeurs. Les anges se conduisent comme des hommes – « Les anges descendent sur les trottoirs ». Et les homme comme des anges – « les gens tombent fauchés/ ils deviennent anges et entrent en jeu » (page 115). L’homme et la quête de l’innocence : « nourriture miraculeuse naît dans mon corps ». Il y a comme une incorporation homme-nature, ce qui implique désincorporation préalable de l’homme « le Levant plonge dans ma chair,/ s’allonge sur le pré au tréfonds de moi » (page 40). L’homme et la quête du salut. Le salut suppose nouvelle naissance ou renaissance. On part de l’idée de « retour chez soi » qui signifie à la fois « se redécouvrir » mais autrement « c’est aussi une renaissance du monde environnant » tout autant « une renaissance de soi » (page 32).

L’idée de « renaissance » est au cœur de la conception du salut du christianisme. Nous chassons sur le terrain des chrétiens et de leur dogme central.

Le poème « Chant solitaire » développe la pensée « d’espérance », celle « d’une maison » qui pourrait se rapprocher de « l’espérance du ciel ou la maison du Père ». Jésus a promis « une demeure à ses disciples » (Évangile de Jean, chapitre 14).  Dans le poème « Son paradis », c’est l’utilisation d’un article de foi central croyance au paradis pour les chrétiens (page 87). Le poème « Chevaux blancs » mélange christianisme « arbre de vie » dont la Bible fait mention dans le livre Révélation et paganisme en mentionnant le terme « Olympe ». Le poème « L’arbre de vie » confirme l’idée du motif chrétien déjà évoqué .

Il y a une vraie adhésion à la symbolique de « l’arbre de vie » que le protagoniste s’approprie sans complexe en consignant par écrit : « arbre de ma vie d’avant et d’après ma naissance,/ arbre seuil entre les mondes » (page 90).  Il y a comme une quête spirituelle. C’est le désir de flotter par-dessus les, d’échapper à tout ce qui pèse et nous cloue au sol. Rêve réalisé puisque la protagoniste est « transparente comme l’air ».

Quant au protagoniste il est revenu à l’aube « pour ressentir l’infini » (page 28).

L’homme et la quête de l’innocence et de la pureté. Ce désir s’incarne dans la débauche de blancheur qui épouse la neige immaculée. Les êtres pénètrent dans cet océan blanc qui se tasse parfois, mais s’accumule dans le silence complice. Ce motif religieux de ceux qui cherchent la paix que seul l’univers de l’au-delà peut procurer. C’est aussi reprendre le sens oublié de la vie. Finalement on recense tout à la fois une quête de spiritualiste d’innocence, de pureté, de renaissance.

 

Sonia ELVIREANU, Le silence d’entre les neiges, Paris, L’Harmattan, 2018.