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Béatrice Marchal : De la mélancolie à la joie d’être

Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au coeur, Paris, L’herbe qui tremble, 2018, 190 p.

 Poète et critique française contemporaine, présidente du cercle littéraire parisien Aliénor, Béatrice Marchal est l’auteure de 12 recueils de poèmes et de huit livres d’artistes auxquels s’ajoutent trois études critiques sur la poésie française dont La poésie en France depuis Baudelaire (Dunod, 1999). Son oeuvre poétique et critique est récompensée par plusieurs prix.

En 2018, elle publie en un même volume deux livres, Un jour enfin l’accès et Progression jusqu’au coeur, qui regroupent des poèmes sans titre et suggèrent son évolution psychologique et spirituelle de la mélancolie à la joie.

La poète porte son regard sur le paysage naturel et saisit le spectacle incessant de la vie souvent confrontée aux tourments de l’orage. Son âme blessée par les griefs de la vie, pétrie dans la souffrance muette, semble renaître petit à petit sous l’impulsion de la vie, de la beauté, de « l’harmonie naturelle ». Elle sent la lumière et la joie d’être s’épanouir autour d’elle, dans les herbes hautes, les chênes, les sapins, les feuilles des arbres, les crêtes des montagnes, les chants des oiseaux, et se laisse emporter par des sentiments nouveaux :  tendresse envers tout sursaut de vie et un désir secret d’en goûter sa plénitude.

L’auteure se rend compte que son coeur ressemble à cette apparente indifférence de la nature, entre secousse et calme, à même de retrouver son équilibre primordial. Dans son immobilité et captivité intérieures, elle sent en elle-même la pulsion de la vie délivrante. La blessure de l’absence telle un poison mortel au fond du coeur sera affaiblie par une « brusque poussée de sève » qui l’invite à renaître.

Les couleurs de la vie entre ciel, terre, mer, le paysage naturel, appellent l’être solitaire à « une beauté nouvelle », cet être pareil à l’arbre au bord de la route « qui abandonne au vent jusqu’au ciel son feuillage ».

La mélancolie de la perte éveille les souvenirs « d’un temps révolu/ d’un lieu perdu », « trop vivants pour laisser place à la paix », par lesquels on retrouve des bribes de vie conservées par la mémoire affective et l’enchantement d’autrefois : l’enfance, grâce à la poupée cachée au fond d’un placard ; l’image de la mère, du père, de l’être aimé ; un paysage, un espace familier autour d’un chêne.

Le désir d’une présence, d’une intimité, du partage de la vie, d’une rencontre, d’un regard se glisse dans son âme. Le présent prend le dessus, ne laisse pas le coeur sécher, la vie réclame son adhésion : « je ne suis pas une tombe », affirme la poète que les pulsions de la vie entraînent vers la joie de l’instant sans la nostalgie du passé.

Le regard contemplatif sera petit à petit remplacé par un dialogue entre le je et le tu, les deux voix d’un dédoublement permettant de saisir à la fois le dehors/ le dedans de l’être, le masque qui protège et la souffrance de derrière,  « la nostalgie sans trêve » de ce que l’on a perdu.

La conscience que l’on peut laisser une trace de nos vies éphémères, du vécu, le refaire par les mots, ne tarde pas à se manifester. Cependant, Béatrice Marchal sait bien que les mots ne peuvent pas guérir, seulement consoler. La neige, le silence parlent non seulement de l’oubli, mais aussi d’une renaissance possible, car le blanc est ambivalent, fin/ commencement, et le silence donne le temps de réfléchir et de comprendre. Il faut retrouver la lumière au plus profond de soi.

« Brisée devant la perte », s’en souvenir sans cesse, ressentir le remords du regret et encore la joie d’être, attendre le jour où l’on aura enfin accès à « ce qui chante en soi »,  à « une vie insoupçonnée/ au milieu de soi/ au centre d’une forêt/ où tout reste fidèle à l’impulsion première », voilà son cheminement : «Alors jaillit/ et se déploie/ et vibre au plus profond/ une mélodie sans origine connue/ inouïe. »

La poète plonge aux tréfonds du soi, s’y noie jusqu’à la perte de l’identité, à la recherche de la lumière intérieure, guide sur la voie à suivre devant la perte. Dans le magma du soi profond et inconnu gisent les souvenirs, les souffrances, les blessures, les troubles de la vie, les rêves et la mélancolie, les mots avant de naître pour parler de tout cela et consoler.

Dans son plongeon et noyade symboliques, descente en soi et traversée de la mer intérieure, l’auteure découvre un être nouveau qui tâche de s’ouvrir à la vie, de témoigner du vécu par l’imperfection des mots, mais aussi de renaître, de se réjouir, malgré ses peines. Modifiée par le passé, elle sera un être tendre, compatissant et engagé, conscient du rôle des mots donnés au poète pour consoler, combattre, dénoncer le mal, vaincre « les blessures qui brisent la plénitude de la vie » et l’oubli, de refaire les liens entre les gens et de redonner l’espoir.

Malgré la solitude et l’absence, le coeur s’ouvre à la beauté d’une fleur, d’un arbre, du ciel et de la mer, ressent la sève couler, goûte la saveur de la vie et s’en réjouit, réconcilié avec le passé dont on retient « le moût de ce qui fut vécu ».

Les poèmes de Béatrice Marchal sont accompagnés par les délicates peintures en encre de Chine d’Irène Philips, des variations sur la lettre T de l’alphabet. Le T apparaît comme un Tout composé de deux silhouettes gracieuses d’un couple inséparable, qui dansent et s’épanouissent au fil d’une métamorphose pareille à celle de la poète, célébrant la symphonie de la vie, fruit de l’amour, principe de la renaissance.