Scènes

Cendrillon : Pommerat ne se rate pas !

S’il est un auteur-metteur en scène français qui mérite l’attention aujourd’hui, c’est bien Joël Pommerat (1). Il a choisi cette fois de se saisir du personnage de Cendrillon et la chaîne Arte a eu la bonne idée de diffuser une captation le dimanche avant Noël, à dix heures, l’heure de la messe, ce qui peut être pris comme une indication de ce que pourrait être le rôle du théâtre aujourd’hui !

Un mot pour commencer sur le théâtre à la télévision. D’aucuns s’en offusquent qui avancent que le théâtre étant par définition un spectacle vivant, le filmer c’est le figer, donc le faire mourir. Ils ajoutent que l’artifice, toujours apparent au théâtre, n’est acceptable que parce qu’il s’accompagne d’un contact direct avec les interprètes et que, quitte à filmer, autant faire carrément du cinéma. Cette thèse, si elle se défend théoriquement, ne tient pas face à la captation réussie d’une grande pièce de théâtre, comme il en existe de nombreuses. Un seul exemple que beaucoup connaissent : la Phèdre de Patrice Chéreau. Grâce à la caméra, le téléspectateur est toujours le spectateur le mieux placé. Et même, il peut voir ce que ce dernier ne verra jamais au théâtre, comme le gros plan sur le visage de Dominique Blanc, en larmes, expirant littéralement les vers du divin poète… On ne renoncera pas pour autant à se rendre dans les salles de théâtre, évidemment ! Les deux plaisirs ne se contredisent pas, ils se complètent.

Pour en revenir à Cendrillon et à Pommerat, il réussit à transformer le conte en une histoire d’aujourd’hui, tout en préservant les éléments clefs du récit (la marâtre, la fée, le prince, la chaussure – même s’il ne s’agit plus ici d’une pantoufle de vair mais d’un soulier du prince). Les modifications, pour radicales  qu’elles soient, sont d’abord d’ordre psychologique ; elles s’inscrivent dans une intrigue qui demeure pour l’essentiel celle du conte, conservant au spectateur le plaisir de la reconnaissance.

Cendrillon et ses deux belles-soeurs

Dans cette nouvelle Cendrillon, l’héroïne n’est plus la victime plus ou moins passive de sa belle-mère et de ses belles-sœurs, qui ne devra qu’à son exceptionnelle beauté et à l’intervention de sa bonne fée de susciter l’amour du prince. Il n’est plus question d’amour chez Pommerat, en tout cas pas de celui-là, car Cendrillon et le prince sont des enfants dans la pièce – et non pas des jeunes gens – qui finiront par se trouver parce qu’ils ont en commun de ne pas avoir su faire le deuil de leur maman. Cendrillon, pour sa part, se voue volontairement aux tâches pourtant abjectes dont elle est chargée, comme on se noie dans le désespoir. Il faudra l’intervention de la fée (sorte d’être farfelu qui ne correspond guère à l’archétype, mais néanmoins providentiel) pour qu’elle accepte de regarder la réalité en face. Alors que, sous l’empire du sentiment de culpabilité suscité par la mort de sa mère, elle s’imaginait capable de faire que celle-ci « reste en vie quelque part », si elle ne cessait de penser à elle. Sans doute n’est-ce pas un hasard si sa belle famille l’appelle souvent par dérision « Cendrier ». Ce surnom insultant, qui se réfère certes directement à un jeu récurrent avec les cigarettes du père, n’évoque-t-il pas plus profondément – et inconsciemment chez celles qui l’emploient – l’urne qui renferme les cendres des défunts ?

La Cendrillon de Pommerat – ou plutôt « Sandra », son prénom pour l’état-civil – est à part ça une petite demoiselle, préadolescente ou jeune adolescente, tout-à-fait moderne, au caractère affirmé et à la langue bien pendue. Ainsi déclare-t-elle au roi venu inviter la famille pour une troisième soirée à la Cour : « Si votre fils y est aussi, on boira un coup ensemble » (sic). Se pousser du col ne l’empêche pas, ceci dit, de rester naturelle en présence du prince : « Tu vas pouvoir rester un peu avec moi. Je suis pas ta mère mais je suis pas mal comme personne ». Elle est interprétée par la jeune Déborah Rouach qui n’a pas froid aux yeux et porte ce rôle avec une vaillance sans faille.

Cendrillon a été montée à Bruxelles ; les comédiens laissent percer leur accent, ce qui ajoute une dimension exotique et finalement de la crédibilité à une pièce dont l’action est située dans un lointain royaume. Ceci vaut en particulier pour la mère, Catherine Mestoussis, qui en rajoute dans la méchanceté avec un entrain communicatif. Mais les deux autres comédiennes qui interprètent les deux sœurs sont excellentes aussi, d’autant qu’elles sont chargées également du rôle de la fée, pour l’une, et du prince, pour l’autre. S’il est plus difficile d’apprécier le jeu des deux hommes, le père et le roi, qui servent plutôt faire-valoir, les comédiens sont tous dans le caractère de leur personnage et l’ensemble donne l’impression d’une troupe homogène et bien rodée.

Un mot pour finir du décor : celui du palais, qui se réduit à rien à la télévision, ne laisse que le souvenir d’une esplanade sombre et vide, par contre celui de la maison familiale, avec son mur transparent, parvient paradoxalement à renforcer l’impression d’un univers clos, prison de Cendrillon.

Sur la chaîne franco-allemande Arte, le 23 décembre 2012 à 10 h.

Selim Lander.

(1)   Né en 1963, sa première création date de 1990. Il a déjà adapté deux contes pour le théâtre : Le Petit chaperon rouge et Pinocchio. Cendrillon s’est donnée à Paris, au Théâtre de l’Odéon, du 27 novembre au 31 décembre.