Premier extrait
Il s’approcha de quartiers chauds et scruta Shirley comme s’il allait enfin la dévorer, elle était si profondément immobile, de profil, il ne se lassa pas de boire à la limpidité de ses traits si élancés, si frais, par exemple le nez puissamment là et si léger pourtant, une couleur de lait, de la chair si légère, une mousse de douceur.
Il se calma en prenant une bonne dose d’opium. Sa décision était prise. Après tout, il était un (anti)artiste. Il suffisait que Shirley accepte de faire cesser les poursuites, du moins si elle était flic, en échange de quoi il lui expliquerait tout, enfin presque, certainement pas la bombe par exemple…
Et pourquoi pas ? !!! Ce n’est pas parce qu’elle est queuf qu’elle ne peut pas comprendre, qu’elle ne peut pas se rende compte de l’Ordre Juste qui la programme ! Et alors là oui il lui dirait tout, ses espoirs, son désir de les faire échouer aussi, il voulait se retirer enfin, et en beauté, son expérience accumulée lui permettant maintenant de décrocher une chaire de prof émérite de toute façon ; Yoré était déjà maître de conférence en philosophie morale lorsqu’il se forma aussi sur le tas comme « brûleur » parce qu’il fallait réaliser la philosophie et non pas la momifier, et que la création constante du monde passait par là.
Il avait soutenu cette thèse à Paris 20 et était devenu ensuite professeur à 65 ans, bien sonnés maintenant, depuis que l’âge de la retraite était devenu libre.
Yoré n’avait pas d’autres joies que détourner de belles voitures, jouer au contrebandier et faire l’amour aux femmes à l’âme d’homme, Jeanne d’Arc, le pied !, surtout endormies, écrins sur diamants de chair.
Peut-être que cette jeune femme, là, précisément, accepterait qu’il lui fasse l’amour endormie, et, surtout, accorde qu’il en écrive l’expérience pour le compte de son projet, un nouveau Lab bien plus pointu que l’ancien trop généraliste : le LIDC (Laboratoire infinitésimal des désirs clandestins) qu’il dirigerait aussi dans le monde officiel (il était également directeur de recherches au CNRM (1)).
Yoré redémarra et tourna à droite dans une ruelle si étroite qu’il dut s’y reprendre à deux fois, bousculant une poubelle et deux cloches (2) qui s’écartèrent en vociférant. Il soupira encore, mais négativement, son cerveau lui signala toutes les objections à son désir, par exemple le peu de temps qu’il restait, le traquenard vers lequel il roulait s’il ne disait rien, le choc monstrueux qui se préparait, Yoré allait à sa perte s’il continuait avec cette supposée flic sans la mettre au parfum. Ou la buter. Mais pourquoi ? Que pouvait-elle faire au fond ? Tout était prévu, il fallait un témoin, après tout elle assisterait à l’Apocalypse, et peut-être qu’elle basculera ? En tout cas la VSR avait donné son accord justement parce que l’irradiation toucherait aussitôt les imaginations non encore fondues par la chaleur pratique de cette bombe anti-théorique, ce n’était plus seulement de la physique des fluides, mais de la chimie politique, une métaphysique des ondes symboliques, celles qui vous font frissonner à l’écoute
d’un hymne, c’est le but, faire un trou dans l’espace de temps, basculer tous les temps en un seul, le passé devient un futur sans présent comme le couteau sans lame qui n’a pas de manche…L’éternité du coup, une lancinance sans fin, faim.
Comment réagirait Dougeais ? Yoré pouvait faire demi-tour et emmener plutôt l’ex Oune à sa vraie destination finale et tant pis, il serait, lui, le martyr, ou alors il abandonnait la voiture, désamorçait la bombe (ce qui était impossible, il le savait, pourtant les réseaux neuronaux imbibés d’hyper extasy et calmé par l’opium le niait), il prenait l’avion, allait directement avec Shirley vers une maison située en Crête, il la connaissait bien la villa, il y avait dormi plusieurs fois après y avoir livré quelques bagnoles de stars lorsqu’il avait fini de les détourner dans l’Atelier. Ou alors il suffisait qu’il le lui dise au Président Dougeais ! il ne pouvait aller au rendez-vous intermédiaire c’est tout. Ou alors qu’il vienne, lui, la chercher son ex Oune…
Yoré roulait vite depuis qu’il avait entendu la sirène gagner brusquement sur lui, il dévala des rues perdues, cramées, espérant que la bande qui s’en réclamaient l’aide à les bloquer. Mais tout autour, seuls des ados rigolaient autour de quelques carcasses de bagnoles, tandis qu’un vent lourd chassait les papiers crasseux, la vie semblait s’écouler quand même, un couple de vieux, main dans la main, passa devant d’autres gosses, sans aucun problème, ils se firent même quelques gestes de reconnaissance, regardant tous passer Yoré et ses poursuivants avec indifférence.
Yoré ralentit, partir, il savait que ce n’était pas possible, Dougeais devait lui présenter le commanditaire en interne de l’affaire, en plus il voulait personnellement filmer à la destruction, juste après son inauguration, dans moins de quatre heures maintenant, du Mégalovemarché, ce symbole du capitalisme de demain, il ne pouvait pas partir pour aller roucouler en Crête.
Et pourquoi pas ?
Il dirait à Dougeais qu’il veut prendre du repos. tant pis ! Pourquoi rendre des comptes ? Au nom de quoi ? De quel principe supérieur ? Il change d’avis, le temps continu n’existe pas, il observa Shirley qui dormait, elle était si belle qu’il ne pouvait pas s’empêcher de l’observer, comme s’il s’en abreuvait, son corps s’en imbibait telle une substance nécessaire.
D’habitude, après avoir montré son travail et touché son salaire pour la transformation des BS, Yoré emmenait toujours en Crête une petite ou deux starlettes qui traînaient dans la splendide propriété de Dougeais, surtout en période de fête, c’est-à-dire tout le temps. Yoré avait en effet l’habitude de passer chez Dougeais après ou avant de livrer une BS. Cette fois c’était lui qui en avait commandé une.
Il s’agissait d’un manoir massif du 18ème siècle en fait. Dougeais, ex juge d’application des peines, ami du Président et de nombreux Présidents à vrai dire, intello postmoderne converti VSR, coqueluche de la presse parisienne, il avait aussi pu classer son manoir comme monument historique, ce qui permettait de payer l’entretien et de réduire les impôts fonciers.
Yoré, ou plutôt la drogue en lui, jura d’emmener Shirley en Crête. Il tourna encore dans une ruelle revêche aux murs crépis de suie et de solitude.
Il aimait bien son ambiance étrange à chaque fois qu’il y passait, utopie enfouie tout au fond d’un coin de paradis collé entre deux enfers de béton, près d’un bosquet et d’une rivière, la Brièvre, qui coule aussi à Paris, mais clandestinement, au creux du 13ème, paraît-il.
Shirley semblait toujours endormie, son corps abandonné aux cahots qu’il envia. Sa décision n’était pas encore prise. Tout devenait absurde mais pas dans le sens désiré. Il stoppa brusquement sur le bas-côté ou du moins supposé, entre des caddys abandonnés, des poubelles éventrées et brûlées, des carcasses de voitures fumantes, pendant que des bandes d’ados, plus sérieuses, elles, se battaient autour d’un butin, des cartouches de cigarettes jonchant le sol par centaines, une fourgonnette de la Poste était de côté, ventre ouvert, par un mortier visiblement. À ses côtés flottait un drapeau de l’ISPA.
Yoré ralentit, sortit des dollars (la seule monnaie acceptée par les bandes du coin), et appela l’un des gars, un « Afghan », qu’il connaissait. Au loin la sirène se rapprochait. Un coup de mortier valait mille dollars. Yoré paya sans broncher. Il redémarra et tourna à droite vers le bois, et se positionna de telle façon qu’il pouvait voir ce pour quoi il avait payé. Shirley dormait toujours. Que faire ? La réveiller ? Lui demander d’arrêter ces recherches vaines puisque ses amis flics comptaient pour du beurre ?…. Que pesaient-ils face au Quai ? C’était absurde. L’esprit de corps continuerait, même sans elle, et il ne voulait pas sans elle, plus maintenant, trop tard, il était déjà en elle métapsychiquement, il se savait encore en danger, mais cela le faisait jouir, il préférait bluffer, faire monter la mise. Il alluma un joint pour redescendre un peu, et dans la volute admit qu’il ne voulait pas faire faux bond à Dougeais, c’était sûr maintenant. Enfin, pas encore. Et il était curieux de voir le commanditaire. Un bon paquet de dollars pour d’autres voitures piégées, pardon, d’autres œuvres d’art ! c’était encore plus fort que les détournements de B.S, du vrai art brut ! celui qui devient œuvre au moment même où il se consume, c’est cela même l’œuvre : au moment de l’impact, pas avant. Mais si l’installation n’explosait pas ? Impossible, il venait de vérifier.
La voiture de Paolo et Jennifer entra dans l’angle de tir du mortier et sauta en l’air comme prévu. Au même moment Yoré observa la retransmission sur un site de « résistance » avec des chants et appels à la Pureté Accomplie.
Il redémarra et prit un raccourci pour éviter d’autres poursuites en s’enfonçant encore plus dans l’hyper zone le long de que l’on nommait dans le jargon policier la Cité Interdite.
Les rues étaient minuscules et sombres, mais aussi larges et lumineuses au détour des carrefours Lecorbusiens tendance Buren, avalanche non plus de barres mais de maisons en carton pâte aux murs tous lépreux, imprégnés de sueurs et de souffrances, de cris aussi, couverts de couches successives d’affiches, il restait d’elles des « ac ! », des « tra ! euses », des « rév ! », des « pour moi, c’est non ! », des poings fermés, ouverts, des vieux 3615 Ulla, « TSS », « Ordre Juste », restaurés par les brigades des cultures urbaines (BDCU), ce qui était fou, les rues étaient toutes jonchées de cadavres métalliques, et vivants, monceaux électro-plastiques de vieilles radios ambulantes, qui crachaient des paroles avec et sans réclames auprès desquelles se réchauffaient, à proximité de tentes oranges, des bouts d’humains ensevelis dans la mort sociale et l’hébétude morale de se savoir encore sur on malgré les blessures volontaires et les arrachages de pension lorsque l’on se jetait sur une voiture au démarrage d’un feu vert.
Tout en roulant, payant à chaque début de rue un droit de passage, faisant appeler, en cas de difficultés, le caïd qu’il venait de payer 1000 dollars pour le mortier, Yoré souffla un peu : il s’obligea à se remémorer les bons moments qu’il avait passé dans Utopia 2023 depuis vingt ans, c’était le nom du Manoir de Dougeais, lorsqu’il y restait un peu, -après y avoir amené de la tire de star en passant par la jolie immigrée en voie d’expulsion, mais aussi l’immigré tout court parce que l’ex-juge Dougeais devait soigner son image d’intello révolté ouvert au monde, alliance des civilisations, etc., et aujourd’hui futur martyr…
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Second extrait
Michel Dougeais, conseil de son état, encore un peu blême, ne cessait de fixer lui aussi le dos et les hanches de cette femme accompagnant Yoré, qui était-elle ? Il ne lui avait rien dit. Était-ce un présent ? Les hanches de cette femme continuaient à scintiller, et telles des anses antiques elles appelaient à l’union, si immédiatement qu’elles se réverbéraient dans l’onde du désir avec insistance, démultipliées si suavement par la trame métallique de la robe, qu’elle exponentialisait la puissance du galbe. Dougeais suffoqua dans une longue toux expurgeant toute l’ammoniaque qui n’avait pas pu stabiliser les liqueurs internes.
Le ferait-il là aussi ? La héler et s’agiter à nouveau devant elle le regardant tout en épiant dans les yeux de Yoré cette lueur de mépris qu’il espérait ; en tout cas, il n’avait pas envie d’avoir un rapport « normal », bien moins excitant, fastidieux, alors que l’on pouvait atteindre le désir et son espace ouaté de la jouissance pure sans passer par le plaisir… Les suppliciés, les martyrs ne le connaissent-ils pas ? Il s’agit de faire le vide, ne penser plus à rien…puissance de l’ombre tant la tempête y est infinie, l’instabilité reine, descente ou montée jusqu’au vertige qui rend impossible d’en faire la distinction, sans arrêt, arête, sur laquelle se suspendre, voilà la VSR (3), suc secret de ce que prônait pédagogiquement L’ISPA (4)…. Ils étaient cependant distincts. Et Yoré ? S’il le voit ? Et alors ? Au contraire. Yoré était large d’esprit. Et il fallait bien se mettre en condition, en état second, et puis une bonne dérouillée, pourquoi pas comme le conseillait Jean Senet ? Atteindre une sorte de pureté dans la saleté, surtout que l’heure approchait ; le seul moyen de faire le vide ne consistait-il pas à se servir de l’énergie de la honte sans en avoir ? De se sentir coupable et en même temps totalement innocent lorsque l’ex Oune foncera sur le parterre officiel de l’inauguration ? Il appela Yoré sur son portable et lui désigna son emplacement. Yoré lui fit un grand signe de la main puis se pencha vers Shirley, sans doute pour lui expliquer qui il était. Dougeais se leva pour aller vers eux, mais sentit une force immobiliser son bras droit et une voix souffler :
– Cette femme qui se pavane avec Yoré et que tu désires, je le sais, n’est pas une escroc comme elle le prétend, mais une agente très spéciale du gouvernement impur. Son nom n’est pas Shirley Loral mais Salvina Lunel, une infiltrée de la DCATS (5)… Heureusement que nous avons fait bloquer toute communication depuis que le traître à sa race, Abych, est sorti de son lieu de perdition…
– Par…don ? dit Dougeais d’un ton sec, il se retourna, la voix lui disait quelque chose, il reconnut Djambul Ben Beïram, son mentor.
– Couper la com était prévu de toute façon… Eut-il la force de soutenir.
– Je ne suis pas sûr que vous l’auriez fait dès l’instant où il était évident que cette voiture avait été infiltrée par quelqu’un d’autre que son propriétaire, quand bien même serait-il l’agent de liaison…coupa sur un ton sec Djambul en lissant sa longue barbe tout en s’asseyant et dépliant son téléphone portable dont la largeur d’écran permettait visiblement de s’en servir comme console.
– Comment aviez-vous su ?… tenta Dougeais en se demandant en même temps s’il aurait pu également venir devant Djambul lorsque Yoré et cette soit disante espionne seront là…sans doute pas… Dois-je avertir Yoré ? demanda-t-il alors qu’il sentait qu’il allait venir.
– Non !…Mais heureusement qu’il existe en France des forces proches de vous qui savent de quels côtés sont leurs intérêts désormais…continua Djambul sans s’arrêter à regarder Dougeais qui devint cramoisi au fur et à mesure qu’il accompagnait le déhanchement de Shirley en train de monter les marches du même côté que la jeune blonde aux belles cuisses, mais en cent fois mieux, ce qui le fit venir sans se toucher, il suffisait de se frotter à sa tunique, il se sentit flotter quand il dit dans un souffle :
– Des traîtres ?
– Non…des Clairvoyants…Et le Quai en est bien pourvu, heureusement… Mais j’admets que vous nous avez bien conseillés je l’avoue, ce qui nous permet de vous pardonner vos excentricités perverses comme celle que vous venez de réaliser à l’instant…
– Je…je ne vois pas…
– Bien sûr…
Djambul l’observa de ses yeux perçants et immédiatement Michel se sentit compris, pardonné, aimé, un silence rassurant, fraternel, minéral aussi, creusa une distance impressionnante entre l’ambiance festive et lascive qui se nichait en creux dans la pénombre moite de la fête et la remontée dans le temps qui s’était faite d’un coup. Dougeais entendit un craquement apaisant, Djambul remuait sur sa chaise tandis qu’il pianotait à vive allure sur le clavier, préférant sans doute cette méthode à la prise vocale. Michel y insuffla immédiatement quelques instants d’histoire pour donner tout son sens au moment, ce qui les liait depuis trente ans, la faculté, les cours de M.F au Collège de France, de J.D au Collège International de Philosophie, le départ, en compagnie de Djamboul, pour Téhéran, Alger, puis Kabul, la création de l’ISPA, fenêtre légale de la VSR, enfin les victoires de Madrid, Bali, Londres, Bombay, Bagdad, Kabul, bien sûr… Sa décision de devenir martyr après cette avalanche d’énergie révolutionnaire, avait été inéluctable : comment lui résister ? Rien que d’y penser, il frissonna tandis que Djambul lui sourit, se rapprocha, mit son bras droit autour de ses épaules sans se départir de son observation multilatérale car en bas la fête battait son plein, hélicoptères et cars déversaient la foule des sympathisants sur les parcs environnants, Dougeais pouvait voir absolument tout ce qui se passait, de près comme de loin, il ne pouvait aussi s’empêcher de savamment culpabiliser et se moquer de celle-ci en observant à nouveau Shirley, Salvina, peu importe, elle était maintenant tout au début de la terrasse en compagnie de Yoré, déambulant comme une fée, un rêve, dans sa robe moulante métallisée : de la lumière s’avançait, trouait le temps, du suave fait chair, et Yoré qui était sur son petit nuage lui aussi, main dans la main, le fou ! mais Yoré ne faisait pas partie la VSR, même pas de l’ISPA, il faisait partie lui et son LAB de ses alliés nécessaires qui seront pacifiquement purifiés dès que le pouvoir sera pris.
Dougeais s’agaça, envieux, les rangs s’écartaient, les gens se grattaient : effluves venant de Shirley qui les agrippaient eux aussi de désir féroce, ils s’en dépatouillaient à la fin, mais elle, cette icône… Il n’en put plus à nouveau, mais il voulut attendre pour qu’elle le voit, qu’elle sache qu’il venait pour elle devant elle et non pas en elle. Ce qui était interdit. Non pas par le VSR évidemment, mais le RMDA (6), aussi Dougeais se prépara. Il lui fallait cet état second, il lui fallait cette fille pour obéir au Plus haut Moment du Poids le Plus Lourd : là où est le Péril Croit aussi ce qui Sauve disait l’adage du RMDA…
– Elle est en effet satanique à souhait… dit Djambul en caressant à nouveau sa longue et fine barbe de sa main droite, ramenant le pan de sa tunique à l’extérieur de son genou gauche… Il regarda Dougeais blanchir, moisir…
– Je la veux, now !…se lança Dougeais, transi alors que le couple attendu avait stoppé leur course, Michel ne put se retenir et vint à nouveau, tout en sueur. Djambul se mit à rire jaune, ce chien impur abusait….
Yoré et Salvina s’étaient arrêtés à une table d’eux pour parler à ces deux voyous nihilistes Mô et Sam auxquels il aurait bien coupé une main. Djambul n’était pas dupe du double jeu de Dougeais et sans doute de Yoré, il savait bien qu’ils se servaient de lui pour leurs réseaux respectifs de pauvres révolutionnaires occidentaux sans aucune perspective que le Nihil alors que lui au moins avait un objectif : réaliser, vraiment, l’Éternel Retour, vers l’Age (radieux) du Monde. Mais il fallait faire l’idiot, Djambul avait désespérément besoin d’un converti blanc aux yeux bleus pour atteindre confortablement la cible. Et puis l’important n’était-il pas qu’ils se soient convertis au principe de la VSR en récitant la formule : il n’y a qu’une Vraie et Seule Religion, sa paix et sa miséricorde sont ses seuls armes ! Ils ne pouvaient pas revenir en arrière, la faux de la mort leur botterait le train….
– Beauté de différentielle… répéta Michel rivé sur les deux fesses potelées de Shirley qui venait de se retourner pour parler aux deux débiles, sa cambrure digne d’une déesse africaine, le fit encore venir…
– Vous voulez faire quoi avec elle maintenant que vous savez ?… demanda-t-il néanmoins à Djambul dans un souffle (il avait encore réussi à jouir rien qu’en se dandinant) pendant que Yoré prenait congé de Mô et Sam, Shirley-Salvina leur fit une longue bise savoureuse.
– Une bombe…à retardement…
– La liquider ?…
Djambul regarda Michel Dougeais d’un air étonné, déçu, car liquider n’était pas un terme VSR. Il s’apprêtait à répondre lorsqu’il entendit le rire cristallin de Shirley, bien plus ensorcelant que le chant d’appel à la prière qu’il écoutait en permanence dans son oreillette interne, caché par la capuche. Il blêmit mais n’en laissa rien paraître, pas devant ce maudit ! -certes, il s’était converti- mais tout de même !
– Je veux m’en servir… pour… pénétrer le cœur du Maudit…c’est une traître elle aussi, mais si elle se repend, elle pourrait nous servir et bien mieux que si elle devenait morte…finit-il quand même par confier à Michel tout en regardant Shirley danser avec son verre tout en s’approchant d’eux, se cabrant au bras d’un Yoré aux anges, cette fille est géniale peu importe qu’elle soit flic puisque nous allons tous mourir se dit-il en regardant Dougeais un peu pâle les dévisager. Djambul ajouta, entre deux prières :
– Toi, de ton côté, n’oublie pas que le Mégalovemarché va sauter grâce à toi…Au fait… le bunker est prêt ?…
– Oui… À cent mètres en dessous de là où nous sommes… Ah ! dé(cons)truire le nouveau symbole du néo-libéralisme… En avant vers l’Art Brut !…
– J’aimerais accompagner ta montée au Ciel…Mais il me faut continuer la lutte…tu comprends ?…
Dougeais simplifiait au maximum la cause jusqu’au cliché, mais le moment approchait et en descente d’amphé on s’accrochait à la moindre petite pensée cafardeuse de survie, sur la vie humaine cette parasite de la Terre, oh Gaïa !!! il regarda Djambul quand il vint fébrilement et en fut pétrifié comme prévu, il comprit le bonheur d’Eurydice à ce moment-là. Car s’en était un comme l’avait dit Thomas l’Obscur. Il se rappela ses mots que Fouchot son copain d’enfance aimait bien réciter avant de tuer : « Devenir Brutus et non pas se contenter de peindre le meurtre de César ». Devenir Brutus…ce Démocrate….
– Comment penses-tu la convaincre ? demanda tout de même Michel Dougeais qui se sentait enfin convenablement épuisé. Il regarda sa montre et sentit qu’il s’en allait déjà, comme un bois qui se consume et dont il fallait encore transporter les cendres, brûlantes, dans la voiture apportée par Yoré… Une excitation, presque une jubilation commença de nouveau à lui prendre le sexe, une goutte d’adrénaline éclata.