Chroniques Créations

Le Bar de la plage : épisodes 166, 167 et 168

Episode 166

Maître chanteur

C’était la fin de la nuit, le début du jour.

Derrière la couche de nuages, un orage promettait son arrivée, quelques grognements et il recule. Agaçante valse-hésitation.

Du fond de mon lit, fenêtre ouverte, je l’entends. Tout près un oiseau chante, sans doute un petite oiseau, invisible, caché dans les feuillages. Tout seul. Il a l’air heureux d’être là, enchaîne les arpèges, monte vers les aigus, descend dans les basses, module des pleins et des déliés, comme autant de glissades virtuoses rattrapées au dernier moment.

Un autre oiseau est venu le chasser de la scène, un gros, cela s’entend… Rou-rou, rou-rou, rou-rou … deux syllabes répétées, binaires, mécaniques, essoufflées, tonalité uniforme sans note… je crois le reconnaître… c’est l’oiseau-rappeur…

Le premier oiseau tente un timide retour et puis ils s’en vont batailler sur d’autres rivages ; la vie musicale des oiseaux est aussi un Struggle for life.

Silence

Une interrogation : que serait notre monde sans les oiseaux-chanteurs..

Episode 167

Une si longue histoire

C’était un jeudi, un jeudi ensoleillé. Mise à part cette péripétie météorologique, c’était un jour comme tous les autres jours. Ordinaires et ensoleillés. Ce qui n’empêchait pas des tas de gens d’écrire à des tas d’autres gens qui n’avaient pas leur chance d’être là, qu’ils étaient en train de vivre un jour exceptionnel. Selon Jules, sans doute ajoutaient-ils d’autres banalités exceptionnelles comme la température de l’eau où la composition de la salade niçoise qu’ils avaient mangée à midi. Ni les anges, ni les gendarmes de service n’avaient autre chose à signaler

Même Madame de Sévigné, célèbre bavarde Grand Siècle, n’aurait rien trouvé à cancaner. Entre nous, Madame de Grignan, sa fille préférée, allait pouvoir souffler et s’occuper de son mari, lui aussi en avait plus qu’assez des lettres de sa belle-mère.

Eh bien ici, le Colonel avait quelque chose à dire… Au début c’était un peu déconcertant mais dans la continuité ça se tenait. Pas de résumé : on ne réduit pas les propos du Colonel aux quelques slogans d’un futur (ou pas) député en campagne électorale. Le Colonel parle dans le grand, le haut, le vaste,

Dans sa bouche, les fleuves sont si longs qu’on n’en voit jamais l’embouchure, les femmes sont belles à s’évanouir, les déserts sans fin, les nuits héroïques, les soifs inextinguibles et les cons très cons. Jules applaudit, Caro est emportée par le lyrisme classique de l’orateur, moue de Louise de V qui ne goûte pas trop l’allusion au silence forcée de Madame de Sévigné, collusion de classe et de géographie. (Versailles for ever, balance Leslie, plus une vulgarité anglo-saxonne courante). On respirait un air plus frais…

On se dit qu’il nous faudrait des dizaines de vie pour vivre tout ça, le Colonel avait dû grouper les événements ou bien ils avaient été plusieurs dans le coup…

Le Colonel lança :

– Georges, dry-martini

Et ce fut l’inauguration d’une soirée de gala… (détails ultérieurs)

Selon une indiscrétion, le Colonel aurait quitté le Phare aux premières lueurs de l’aube, escorté par Lan Sue et Line ; en chemin, mystérieux, il aurait dit :

– Parfait…Parfait…

Episode 168

Divagations marines

Aujourd’hui, à cette heure tardive de la journée, la mer était au premier plan. L’ami Pierrot – le fou d’amour en bordure rêvait des harmonies du saxo de Charles Lloyd dans Dorotea’s Studio.

Ainsi va la mer avec sa kyrielle de saisons.
Inspirante

Apaisante

Violente

Destructrice

Constructrice

Indispensable.

C’est que la mer n’est pas que de l’eau, c’est de l’eau et du mouvement ; nager dans la mer, au fond c’est conjuguer deux mouvements. Toute la différence avec barboter dans une piscine hollywoodienne à fond bleu.

Peut-être, au large, un voilier en régate ; le vent, la mer, le bateau, tout bouge, se contrarie ou s’associe. Aucune caméra n’en gardera la trace. Les mouettes s’en foutent , elles y sont habituées, elles jouent les blasées.

Je m’allonge sur le sable et je n’attends rien. Le saxo de l’ami Pierrot – le fou d’amour flirte avec les intonations bossa nova de Stan Getz.

Des nuages s’éclipsent. On verra bien plus tard.