Episode 129
Love songs
Bon, la météo n’avait rien à voir…
Dans le fouillis de la terrasse, était venu s’installer, je ne sais trop comment, un disque d’Ingrid Caven, format 33 tours vinyl, bien en vue, couverture chic et choc : photo d’Ingrid flamboyante, en noir et blanc, visage et mains enroulées dans la lumière, lettrage en majuscules italiques rouge sang INGRID CAVEN AU PIGALL’S, (le rouge et le noir avaient encore frappé) disques Barclay 1978.
Je regardais cette couverture, pratiquement hypnotisé par l’image envoûtante de la chanteuse, et je me disais “est-ce qu’on peut réellement tomber amoureux d’une chanteuse ?” Je veux dire pour de vrai, pas à la manière d’un membre de son fan-club collectionnant les photos dédicacées et les tickets de concert, mais vivre avec elle, l’accompagner, prendre des petits déjeuners ensemble sans les lumières, ni maquillage… Oui, bien sûr ; Jean-Jacques Schuhl l’a fait : il a séduit Ingrid, vécut avec elle, écrit sa biographie intitulée simplement “Ingrid Caven” et avec ce livre reçut le prix Goncourt 2000.
Je regardais encore un fois la photo sur la couverture du disque, j’allais faire un tour sur YouTube ; interview d’Ingrid par Thierry Ardisson dans son émission” Lunettes noires pour nuits blanches” enregistrée au Palace, et encore “Supplément littéraire 2006” ; Jean-Jacques Schuhl et Frédéric Beigbeder dans les jardins de l’Hôtel Pershing pour une conversation nocturne qui prend tout son temps… Ingrid tout feu tout flamme, Jean-Jacques tout juste réveillé, il est plus de 10 heures du soir…
Et si l’autre interrogation, peut-être l’essentielle, était :
“Est-ce qu’une chanteuse peut réellement tomber amoureuse d’un écrivain ?”
Épisode 130
L’univers n’en a rien à faire de nous
La mer était si silencieuse qu’on la croyait absente. Il est à peu près minuit (convention locale récente). Homère n’a jamais commencé un chant de l’Odyssée par une annonce tel que “Et Ulysse dit à ses compagnons – tiens, il est minuit, il est l’heure de mettre les voiles”, variante – il est l’heure d’aller à la petite soirée organisée par Nausicaa”.
Depuis mon réveil, il y a une bonne douzaine d’heures, j’ai parcouru approximativement un peu plus d’un million de kilomètres. Eh oui… Et vous aussi d’ailleurs. Sans secousse, sans bruit, sans contrôleur, sans caténaires gelés.
Je me suis renseigné auprès d’un copain de Jean-Do, astro-physicien. La planète dite terre par nos soins, se déplace autour du soleil selon un itinéraire à peu près régulier, à la vitesse moyenne de 108 000 km/h, soit un voyage annuel à travers le cosmos de quelques 900 millions de kilomètres. Qu’il y ait un pilote à bord ou non,1 ou 7 milliards de passagers, ou pas de passager du tout, qu’il vente ou qu’il pleuve, que la mer monte ou descende, que la Chine s’éveille ou pas… Et nous sommes de cette croisière galactique, terminus compris, embarqués en classe colis, sans adresse de livraison…
Et dire qu’on nous bassine avec la disparition d’espèces inconnues (entre nous, comment peut-on savoir qu’elles disparaissent si on ne les connaît pas ?) et autres babioles comme les deux heures de retard du TGV en provenance de Bordeaux ou les accidents de trottinettes.
Maintenant, la lune s’abrite derrière quelques ombres.
Je regarde les autres étoiles en voisine.
Je compte pour du beurre. L’univers s’en remettra.
Ce n’est pas comme si on avait oublié de composer Imagine…
Épisode 131
Euphories
Un vent frais ondule les feuillages, les mouettes surfent sur les courants d’air. Parfois, la nature affiche son harmonie. La mer frissonne en surface. Sur la terrasse, le globe terrestre poursuit sa trajectoire immobile.
A se demander si l’homme ne devrait pas y mettre aussi un peu du sien, mais enfin depuis Sisyphe, on sait bien que tout cela ne mène pas à grand-chose. Même Mozart et Einstein s’y sont cassé les dents, surtout Einstein. Et Leonard Cohen a fini par écrire So Long Marianne ; forcément.
J’écoute Nina Simone ” I Wish I Knew How it Would Feel To Be Free” ; Traduction inspirée : Je voudrais bien savoir ce que ça fait que d’être libre / Je voudrais pouvoir briser toutes les chaînes qui m’emprisonnent / Je voudrais pourvoir dire tout ce que j’ai envie de dire…
Ça c’est une chanson ; mieux : un hymne. Bon, je m’emballe : comme chaque fois que, sous des influences enivrantes comme un film désespéré de Woody Allen ou Mike/Keiths chantant Honky Tonk Women en duo acoustique, je me laisse aller à la douce tentation de me foutre carrément de tout (SFCDT selon le texto historique de Stendhal). Peut-être même me rendre à l’idée qu’on va finalement s’en sortir…
Et Line apparut. Robe-chemise fleurie, regards gris-vert, cascade décoiffée de boucles dorées ; elle traînait pieds nus sur le sable tiède. Sans mélancolie apparente.
Décidemment, on ne peut pas se foutre carrément de tout…