Après Seul & Seule (M.E.O, 2024), un roman troublant et cruel sur la solitude, Michel Ducobu revient à la poésie avec le recueil de poèmes L’ombre de l’aube*. C’est comme une délivrance d’une réalité tragique pour retrouver la joie du rêve, du mystère, de la beauté, de l’indicible de la vie. Lucidité, cruauté, ironie en prose, sensibilité, exaltation, magie, réflexion en poésie.
Michel Ducobu met en tête de son superbe recueil un poème emblématique, Itinéraire, un véritable art poétique qui rappelle ses maîtres en poésie, Rimbaud et Baudelaire. Il y crayonne l’image du Poète, un Orphée avec sa lyre enchantée, un naufragé, un albatros baudelairien, un « scribe sauvage ». Il l’exhorte à plonger dans la mer, symbole de la vie, à y puiser ses vivres, à « sculpter vigoureux et têtu son itinéraire », à le graver en « mots profonds et forts » sur « des pages impatientes », témoignage de « ses combats d’écluses et de barrages », à faire de l’aventure de sa vie un chant orphique, « une musique majuscule d’images magiques ».
Voilà donc son credo poétique qui affirme sa confiance dans la beauté, l’insolite, la profondeur, la force, la musique de la haute poésie qu’il ne trahit jamais. Les poèmes Mon fleuve, Poète pour, La règle, Une page à une autre, Nagori du dernier jour s’enchaînent de manière à représenter l’image du poète, accompagné de solitude, appuyé au bâton de noisetier à la recherche de la source, de la matière à modeler en « forme de miracle » pour l’immortaliser de même que tout artiste, soit-il potier, peintre, sculpteur.
Son itinéraire est semblable à celui d’un fleuve, on peut y ramer ou s’y noyer, son chemin rude, sans gloire, de « randonneur ardent », de contemplatif qui favorise l’émotion, à l’écoute de ses sensations secrètes, partagé entre « une sauvage ivresse » et « la raison vive ». Son métier est celui d’un tisserand qui tisse sa toile faite d’émois et de réflexions. Il fait de son atelier d’artiste « un lieu où la forme change en merveille », la vie prend l’envol de l’oiseau vers l’absolu. Pourquoi écrire, quel serait le sens de l’écriture? Michel Ducobu nous donne sa réponse :
« N’écrire qu’à l’écoute de l’œil seul,
Seule étincelle de l’âtre secret,
« Tu seras poète pour l’éclosion
Et la cendre du feu silencieux. »
Il fait allusion à la fois à l’œil physique qui capte l’image visuelle, mais aussi à la profondeur qui la couvre de sens. Ainsi, ses ressentis, son vécu, sa vie se mettent sur les pages d’un livre, en lettres, en « images des mots et des vers » pour témoigner d’une existence, d’une présence qui n’est plus, pour s’en souvenir et sauver de l’oubli :
« Poète pour ne pas mourir muet
Les lèvres couvertes de regrets ».
Le livre sera la mémoire d’un itinéraire autant existentiel que poétique, car la vie d’un poète se mêle à sa poésie, « un nagori », défini par Ryoko Sekiguchi comme « la trace, la présence, l’atmosphère, d’une chose passée, d’une chose qui n’est plus » :
« Le souvenir souriant d’un rite tendre et lent
De caresses sur les ornements du corps
Nagori du dernier jour de juste jouissance
Et du don de l’un dans l’abandon de l’autre
Tandis que sur la grille froide des branches
Tombait la neige noire de l’avide maladie. »
La poésie c’est rêver, rêver par soi-même et non pas par quelqu’un d’autre, affirme Julos Beaucarne, faire son rêve à soi malgré tout :
« Ta vie est un voyage dans l’air
Où tu cherches un souffle clair
Rien ne demeure fixe et vrai
Seul ton avenir t’apparaîtrait
Comme une lisière d’éternité
Là où tu n’auras jamais existé. »
Nature contemplative et méditative, Michel Ducobu filtre à travers sa profonde sensibilité tout ce qu’il observe, investit le réel de nouveaux sens, tel le chardon du jardin, coupé par un ouvrier, qui lui donne la sensation d’un « pénitent », d’un « chandelier sacrifié ».
Michel Ducobu accompagne souvent ses poèmes d’une citation, imprimant ainsi sur la page la trace de ses lectures, de son parcours livresque. Il est avant tout un poète cultivé, un officiant dévoué sur l’autel de la haute poésie de ses maîtres. Le livre est pour lui « un évangile lisible pour les pèlerins du lointain », le voyage de la vie « errante et trébuchante » de tout poète, le fruit d’un rude labeur avec les mots pour leur imprimer la force de dire le visible et l’invisible, les ombres et les lumières des choses. Chaque poète est seul sur son chemin, dans son rêve d’éternité, « entre les barrières et les labeurs ». Il marche sans cesse sur sa route, assoiffé d’infini, prenant « le pas lent du temps » pour donner sens à sa vie :
« Je marche donc je suis un sens
Du matin jusqu’à la grise mort
Si je m’arrête c’est pour rêver ».
Sa poésie est une « maison sans frontières », ouverte à tous, un moyen d’exprimer la plénitude de la vie, malgré ses nuages noirs, ses blessures :
« Une demeure sans autre attrait
Que celui qui garde l’oiseau sur le nid
Comme une vigie de vie qui se nourrit
Du vent qui passe et raconte le temps »
« J’écris pour vivre et me réjouir
Entre l’aurore et l’étoile ultime ».
Michel Ducobu commence et achève son recueil avec l’image du poète, désigné par une métaphore. Au début il l’invite à oser le voyage téméraire de la vie. Dans le dernier poème, le parcours existentiel est fini, le poète, conscient de sa finitude, un « dernier cormoran » dans « l’ère / De guerre et de désastres imposés aux peuples / de partout et de nulle part ».
L’ombre de l’aube est un très beau recueil autour du poète et de sa poésie. La voix lyrique emprunte la tonalité grave de la réflexion ou élégiaque de l’émotion maîtrisée. Parfois le poème se convertit en hymne à la beauté ou en litanie, révélant la beauté et l’élégance stylistiques de l’écriture de Michel Ducobu.
Michel Ducobu, L’ombre de l’aube, Coudrier, 2024, 75 p., 18 euros.