Par un hasard de circonstance, j’ai été amené à passer une journée aux urgences du CHU d’une ville moyenne du sud de la France. Une vraie expérience, tout près de chez soi, pleine d’enseignements.
Cette « aventure » mérite d’être contée !
Touché par une forme virulente du covid début mars, et fortement atteint aux poumons, je me retrouve victime d’un essoufflement permanent.
Un mois plus tard, j’en parle à mon nouveau médecin traitant, le docteur K. Craignant un nouveau pneumothorax, je lui demande de passer une radio. Comme il se souvient ne pas avoir diagnostiqué le pneumothorax subi un an plus tôt, il panique un peu, et désireux de ne pas commettre la même erreur, il me propose de passer un scanner. L’idée me paraît bonne, mais je fais une objection sur les délais pour avoir un rendez-vous. Peut-il en obtenir un rapidement ? Il me répond par l’affirmative, et me fait un papier pour le responsable des urgences du chu.
Il y a en fait quiproquo, je m’attends à un passage privilégié auprès d’un médecin de ses relations, Et je vais tout simplement découvrir qu’il m’envoie aux urgences, comme le citoyen lambda. En fait le docteur K n’a pas le réseau relationnel dont disposait son prédécesseur, le docteur Chêvrechien. Comme il est près de midi, sur le chemin du chu, je fais un arrêt à la maison, mange une banane et emporte, à tout hasard, un chargeur de smartphone. L’avenir montrera tout l’intérêt de cette précaution.
Je suis assez optimiste, en tant que conseiller communautaire, j’ai un conseil de l’agglomération à 18 h, et je compte bien y assister et participer au vote des 85 délibérations programmées. Arrivé un peu avant 13 h aux urgences pour patients autonomes, je cherche une place de parking pour ma Laguna. Les seules 4 places existantes sont bien sûr occupées. Je fais un tour, et un ambulancier compatissant me conseille de me garer où je pourrai, en laissant le warning allumé. Je suis partiellement son conseil, gare correctement ma voiture sur le passage piéton devant l’entrée des urgences, mais j’évite de mettre le warning….On ne sait jamais !
Vers 13 h en ce lundi 4 avril 2022, je passe la porte d’entrée des urgences…
Pendant toute la durée de mon séjour, je vais échanger des sms avec mon épouse, MC, avec le maire NH et avec la Dgs BD. Tous ces échanges sont retranscrits et dans ce document je reprendrai à la lettre près ceux échangés avec ma femme. C’est la meilleure manière de rendre compte de l’évolution des évènements et des sentiments dans cette journée exceptionnelle.
Dans un premier temps, voici le récit minute par minute de cette folle journée :
Résumé des Opérations, heure par heure :
13 h arrivée aux urgences, laguna garée sur passage piétons
13 h 19 inscrit, en salle d’attente
13 h 33 passé un premier contrôle, échographie, pose d’un cathéter
13 h 33 à 15 h 33 deux heures dans un couloir, sur un brancard confortable, en attente du médecin urgentiste
15 h 33 cette dernière m’informe qu’elle va me faire 2 prises de sang, artère et veine, préalables au scanner, et qu’il faut 2 heures pour en avoir les ésultats
15 h 33 à 19 h 45 parqué dans une salle d’attente pendant plus de 4 heures, sans information. En allant à la recherche d’infos dans le service, je finis par apprendre que le scanner est programmé pour 19 h 45, et qu’il n’est pas question de boire ou de manger. J’en profite pour parachever ma sieste, lire en entier le Midol (le journal Midi Olympique, le seul qui soit entièrement dédié au rugby) et pour lire le livre de Beigbeider, « la Frivolité est une affaire sérieuse »…qui comporte quelques pages d’anthologie, comme la description du jardin public de sa prime enfance.
Une remarque, sur mes voisins de galère, aucun ne lit un livre ou un journal, quelques uns sont plongés dans leur téléphone portable, les autres attendent patiemment les yeux dans le vide. Ah, j’oubliais la présence du Neuneu, qui hurle dans les couloirs : « Maman, maman, pas de radio, pas de radio »
19 h 45 pile, on vient me chercher pour me conduire à travers de longs couloirs à l’espace scanner.
Nouvelle attente, je suis au scanner vers 20 h 15. L’opérateur me dit que vu mon état, méga épanchement, on va me garder… Ma réponse est claire et péremptoire, je suis venu pour un scan, pas pour une hospitalisation.
20 h 45 Me revoilà parqué dans un couloir donnant sur la sortie, parmi des dizaines de patients. Et en attente du médecin qui doit venir commenter les résultats : délai une à deux heures. Comme je m’inquiète du temps qui passe auprès d’une infirmière, celle-ci m’ôte tout espoir,
« Monsieur, aux urgences, il n’y a pas d’heure ».
20 h 45 à 22 h 30 Il ne me reste que Beigbeder et l’observation du couloir.
Soudain je vois arriver un quidam bizarre, cheveux rasés, sans masque, à la mine patibulaire, qui parcourt le couloir avec un sac poubelle à la main. Il s’arrête à la hauteur du 3ème chariot devant moi, sort une espèce de cigarette (ou de pétard) de son sac, et le fait aspirer par le patient. Un nuage de fumée emplit rapidement le couloir…
Cinq minutes plus tard, l’individu repasse dans l’autre sens accompagné d’un gardien. Quand ce dernier, revient, après avoir réprimandé le fumeur, je lui désigne le coupable. Le voyant reconnaissant, je lui parle de ma Laguna qui est toujours garée devant l’entrée. Mon nouvel ami me conduit à l’extérieur pour la garer sur un emplacement moins gênant. Je suis rassuré, ma voiture est toujours là, et au retour, je m’arrête dans l’entrée pour acheter un sandwich et une bouteille d’eau dans un distributeur automatique.
22 h Je suis envahi par un sentiment de révolte, une envie terrible de m’enfuir. Je commence à échafauder des plans d’évasion : rien de plus simple, j’ai toutes mes affaires avec moi, seul le cathéter pose problème, je le cacherai dans la manche de mon blouson….
Mais la raison l’emporte, je vois un titre de presse, « un conseiller communautaire s’échappe des urgences…»
22 h 30 Un jeune homme en blouse blanche, ressemblant à Tintin, passe dans le couloir en recherchant M. Ségura, M. Ségura….Je lui demande s’il ne s’agirait pas de M. Séguéla, ce qu’il confirme. Il s’agit en fait du médecin responsable, celui qui décide. Il m’annonce, sourire en coin, qu’il va me « libérer » et je le suis dans le bureau central, où une infirmière me retire le cathéter. Il me fait une ordonnance et envoie les résultats au docteur K.
22 h 44 Je suis assis au volant de ma Laguna : un sentiment de liberté m’envahit…
Et pourtant, je n’ai passé qu’une dizaine d’heures aux urgences.
Et tout le personnel a travaillé selon les instructions reçues.
C’est donc le système qu’il faut revoir !
En commençant par son humanisation.
Sur un plan personnel, on ressent assez rapidement une perte de personnalité, ne bénéficiant plus de la moindre reconnaissance, on n’est même plus un numéro, on perd progressivement tous ses repères. C’est comme si on était sorti de l’univers habituel en trois dimensions : les murs deviennent mous, comme dans les contes de Lewis Caroll…la folie n’est pas loin, face à cette perte d’équilibre psychique. Le lapin blanc d’Alice au Pays des Merveilles va-t-il apparaître ?… On est passé de l’autre côté du miroir.
(21 h 22 : il y a de quoi devenir fou !).
Échanges de sms avec mon épouse, MC :
13 h 19 RS à MC : En salle d’attente. Inscrit
13 h 33 RS à MC : Passé le premier contrôle. Je suis en 3ème position pour voir le médecin urgentiste.
13 h 34 RS à MC : Électrocardiogramme rassurant.
15 h 16 RS à MC : 2 h d’attente pour les résultats des prises de sang… A suivre
15 h 37 MC à RS : Et le scanner ?
15 h 38 RS à MC ; En suivant, j’espère.
16 h 40 MC à RS : Alors, tu en es où ?
16 h 42 RS à MC : Toujours en salle d’attente. J’ai déjà lu le midol…
16 h 55 MC à RS : Quelle galère ! l’hôpital…
16 h 58 RS à MC : Ce n’était pas forcément la solution la plus rapide…ça va faire 2 h que je suis parqué en attente du résultat de la prise de sang. Mon voisin est parti au scanner il y a 1 h.
17 h 16 MC à RS : Notre médecin est nul. Au moins ce soir tu vas être dispensé d’agglo
17 h 19 RS à MC : le maire est prévenu
17 h 31 RS à MC : ça commence à faire long
17 h 47 MC à RS : Oui
17 h 58 RS à MC : Toujours rien. Il y a du monde dans tous les couloirs
18 h 04 MC à RS : Tu devrais aller voir, sinon tu vas y dormir
18 h 09 MC à RS : ça va faire 5 h que tu attends un scanner
18 h 11 RS à MC : Yès. C’est comme à Vegas, ici le temps s’arrête. Je me suis plongé dans un Beigbeider.
18 h 28 MC à RS : Il y a encore du personnel pour faire passer les examens ?
18 h 30 RS à MC : Je présume puisqu’on est aux urgences…pas d’infos. Merci K.
18 h 48 RS à MC : Je suis allé aux renseignements : scanner à 19 h 45
19 h 49 RS à MC : Suis enfin au scanner
20 h 30 RS à MC : Sorti du scanner. D’après l’opérateur, il y aurait un méga épanchement mais pas de pneumothorax. En attente des commentaires du médecin.
20 h 51 RS à MC : Toujours en attente
21 h 40 MC à RS : Je vais manger
21 h 45 RS à MC : Bon appétit. J’ai pu acheter un sandwich et une bouteille d’eau. En attente du toubib. Ça peut encore durer… La Laguna est toujours là, je l’avais garée sur le passage piéton…
21 h 55 MC à RS : Bonjour le parking
22 h 15 RS à MC : Gratuit. On vient de me dire qu’aux urgences, il n’y a pas d’heure.
22 h 17 MC à RS : Et le toubib, il est où ?
22 h 19 RS à MC : Quelque part… C’est un autre monde
22 h 39 RS à MC : Sortie en vue
22 h 44 RS à MC : Dans la Laguna . Vive la Liberté !
22 h 57 MC à RS : Enfin
Comparaison avec le Privé.
Le mercredi 27 avril, j’ai obtenu, via le cardiologue, un RV pour passer un scan du poumon dans une clinique privée.
Je suis convoqué à 11 h 30 pour passer le scan à 11 h 45.
J’arrive un peu en avance, vers 11 h15 ;
Immédiatement inscrit, je suis appelé à 11 h 25 dans la salle du scan, d’où je sors 10 minutes plus tard.
A 11 h 45, on me donne les résultats.
Dix minutes plus tard, j’arrive chez le pneumologue, qui me reçois à 12 h entre 2 clients.
A 12 h 15, je sors, nanti d’un programme opérationnel et de rendez-vous pour le traitement.
Bilan comparatif :
-dans le privé, une heure en tout et pour tout, pour avoir le scan, le diagnostic, et le traitement
-dans le public, 10 heures pour un scan, avec un diagnostic verbal, pas de traitement, et un compte-rendu enterré chez le docteur K.
Sans commentaires.