Chroniques Créations

le tennis marqueur social des années 60

Pendant la deuxième partie des 30 Glorieuses, en gros les années 60, certains signes extérieurs étaient les témoins d’une ascension dans la société. Si la possession d’une piscine, ou la pratique du golf, n’étaient pas encore à la mode,celle du tennis montrait une capacité à s’élever dans l’échelle sociale.

Sport relativement facile, à la portée de tous, nécessitant peu de matériel individuel, de chaussures de tennis, une raquette et des balles, le tennis se joue sur des terrains faciles à réaliser et ne nécessitant que peu de surface au sol.

Joué sur une surface en dur ou en terre battue, d’un entretien facile, le tennis allait rapidement se développer chez les jeunes et leurs parents.

Les courts de tennis se louaient à l’heure, sur réservation, et tout le monde arrivait à jouer. Pour beaucoup de joueurs, la mise de fond était donc faible et à la portée de toutes les bourses. L’étape suivante, qui validait la progression, était l’adhésion à un club de tennis. Il fallait certes payer un prix plus élevé, ce qui limitait le nombre d’élus. C’est alors que l’on pouvait commencer à concrétiser son ascension sociale. Il y avait le fameux Club-House, avec restauration, où l’on rencontrait un autre type de population, des cadres, des professions libérales, et la nouvelle classe moyenne.

Adhérer à un club, vous situait dans l’échelle sociale

Le top, c’était les clubs avec numérus clausus, où il fallait un parrainage pour entrer, je citerai celui du Stade Toulousain, qui fut et reste un des clubs le plus élitiques. Pour une famille comme la mienne, il était impossible et impensable d’y entrer. Je ne pouvais viser que le club de l’Aseat (Etablissement Aéronautique Toulousain), situé en contrebas du plateau de Jolimont, qui proposait tennis et piscine. Au bout d’un an de lutte familiale, je pus obtenir le financement de ma carte d’adhérent au tennis club, que je n’utilisais que pour jouer au tennis et accessoirement profiter d’une belle piscine de 50 mètres. Pour y accéder j’avais profité de l’appui des Bentaberry’s, qui en étaient des membres hyperactifs, Suzanne B. y donnant des cours de natation et de tennis.

Ma carte de membre du club de tennis de l’Aseat 1963

Il faut noter que beaucoup d’entreprises créèrent des clubs de tennis, qui permettaient au personnel de se mélanger dans un cadre non professionnel, facilitant les rapports entre les différentes catégories de salariés et mettant un peu d’huile dans les rouages.

C’est ainsi que Michel Bénézy débuta au Tennis-Club d’Elisabethville, sur la terre battue du club de la Régie Renault (usine de Flins).  Je le cite :

Et comme tu le dis marqueur social et là, chez nous, ouverture à un autre monde. La Présidence du Club est assurée par le directeur de l’usine, mon copain Alain Barbier qui vient de terminer son CAP de tôlier et donc commence à l’usine, joue en double ou contre son directeur de la semaine.

J’y débute et j’y jouerai des années et des années jusqu’à ce que les lumières de Renault cessent de briller… Les progénitures des cadres de la régie et les mômes du village se mélangent, des amitiés au long cours, quelques-unes sont encore d’actualité…

Il y avait aussi plusieurs courts au lycée Bellevue, que nous pouvions utiliser les jours sans cours. C’était un moyen de se rencontrer entre élèves, filles et garçons, une des rares occasions en la matière.

C’est en 1963 que je pratiquais le plus le tennis. Elève en classe de prépa HEC à Fermat, c’était le sport le plus facile à pratiquer dans une année d’intense travail pour préparer le concours d’entrée. Un film de temps en temps, un match de tennis à l’occasion, c’était tout ce que je pouvais me permettre en dehors de la préparation du concours. Je jouais donc avec quelques amis, Jackson, Jean-Jacques, Marc, et des camarades d’école. En une heure on arrivait presque à jouer 2 sets. Comme nous étions de niveau équivalent, nous gagnions à tour de rôle. Nous jouions souvent en double et même en double américain (à 3 joueurs, seul à tour de rôle contre les 2 autres).

Je ne fis qu’un seul tournoi de tennis, en 1964, à Jouy-en-Josas, dans le gymnase flambant neuf, équipé pour le tennis. J’ai retrouvé le résultat de ce match du 19 octobre en nocturne, défaite contre Puglia : 1/6  5/7. (Alain Puglia est aujourd’hui propriétaire du théâtre Fontaine, où se joue la pièce « Berlin-Berlin », Molière de la Comédie 2022).

Tennis à Oxford août 1963 Gaston (Cros) et Jackson

Le Tennis : un Sport Familial

Le tennis est aussi un sport qui se pratique en famille. Partout où nous sommes passés, nous y avons joué avec les enfants grandissants, notamment en Normandie, à Biéville-Beuville, à Bonsecours et au Pays Basque.

Le meilleur souvenir est celui des années 65 à 67, où le dimanche nous allions jouer à Chiberta, dans un cadre exceptionnel, au milieu des pins et au bord de l’océan. Raphaël et Anne-Lise étaient adolescents. Nous terminions toujours nos parties par une balade sur la plage, au bord de cet océan d’un bleu profond et lumineux, virant au turquoise.

Comme nous occupions souvent les courts près du lac, il arrivait fréquemment que des balles mal orientées tombent à l’eau, où elles étaient retenues par des filets. Raphaël s’était fait une spécialité de récupérer les balles, dont l’origine n’était pas forcément évidente et cela au grand dam des gardiens…

Et la tradition familiale se poursuit, notre petit fils Grégoire, 15 ans, a repris le flambeau. Il dispute des tournois, notamment au mois de juillet à Nîmes. Il est à nouveau inscrit pour des tournois en juillet 2022.

8 Juillet 2020 – Grégoire en plein match sur les courts de l’A.S. Bas Rhône

Le Tennis Professionnel 

Au cours de ma carrière professionnelle, j’eus une grande chance : avoir un poste à Boulogne au pont de Sèvres, à deux pas de Roland Garros, et surtout un patron sportif et dynamique, lui-même joueur de tennis, qui, en tant que Directeur Commercial, souhaitait innover dans le sponsoring. Pendant les années 74 à 78, nous louions, pour le compte de Lesieur-Cotelle, une loge où nous invitions les fournisseurs.

C’était fabuleux, et pendant 15 jours nous nous répartissions, Jean Bricout et moi, les heures de présence, avec nos invités, sur le court central. J’ai donc eu l’immense plaisir de voir jouer tous les grands tennismen et women de l’époque.

Je me souviens de matches fabuleux entre Connors et Mac Enroe, du jeu enchanteur de Panatta, et de matches beaucoup plus fastidieux avec Bjorn Börg et Guillermo Vilas.

Jimmy Connors  

John Mac Enroe

Les doubles impliquant Ilie Nastase et Ion Tiriac, pouvaient être assimilés à des comédies. Le public se régalait devant ces 2 artistes facétieux. A cette époque, le tennis n’était pas encore médiatisé, et les caméras de télévision ne venaient pas encore « dénoncer » les bienheureux cadres invités, que leur patron, ou leurs proches croyaient en plein travail ! TF1 commença à retransmettre la totalité des matches à partir de 1976. C’est alors que nous avons commencé à distribuer à nos hôtes de grands chapeaux et des casquettes pour ne pas se faire repérer…

Ayant quitté Lesieur en 1979, nous fûmes invités, mon épouse et moi, par Jean Bricout, à assister à la finale Borg/Gerulaïtis. Nous fîmes 5 heures de voiture aller/retour pour venir de Caen, et le match dura une petite heure, Borg ayant expédié son adversaire 6/4 – 6/1 – 6/2, remportant son 5ème titre sans perdre un seul set. Il n’y eut pas de match, dans cette finale disproportionnée, et pourtant Gerulaïtis était 5ème joueur mondial.

Plus tard, dans ma carrière, j’eus l’occasion d’être l’invité de fournisseurs sympathiques, et je pus en faire profiter mon épouse et notre fils Raphaël alors étudiant à l’Esce à Paris.

Le Tennis et les Politiques

Marqueur social, le tennis ne manqua pas d’être récupéré par les politiques les plus jeunes, soucieux de montrer autre chose que tous ces politiciens ventripotents et essoufflés de l’après-guerre. C’est Jacques Chaban Delmas qui le premier montra l’exemple, en pratiquant le rugby au niveau international, puis le tennis à un excellent niveau, il fut finaliste en double à Rolland Garros et champion vétéran. Il fut à l’origine du tournoi Primrose de Bordeaux.

Jacques Chaban Delmas à Rolland Garros en 1972

Ce tournoi est à l’origine d’une bonne histoire familiale. Pendant notre séjour au Pays Basque (85/87), nous sommes invités au tournoi de Primrose (un temps disparu, ce tournoi est organisé à nouveau depuis 2008 dans le cadre de l’ATP Tour). La finale opposait le 7 juillet 1986 Paolo Cané l’italien au suédois Kent Carlsson (victoire de l’italien 6/4, 1/6, 7/5).

Alors que nous nous dirigeons en famille vers la tribune, nous croisons le Président Jacques Chaban Delmas. Égal à lui-même, ce dernier vient vers moi, me tend la main, en me disant : « Jacques Chaban Delmas ».Je lui réponds du tac au tac, en lui serrant la main : « Roger Séguéla ».

Ce face à face impromptu a fortement impressionné les enfants, qui en firent un jeu, façon échange ping-pong : « Jacques Chaban Delmas/Roger Séguéla, etc. ».

L’Évolution du Tennis

Aujourd’hui, le tennis est devenu un sport ordinaire, implanté dans tout le pays, chaque commune d’importance moyenne ayant son club. Ce n’est plus un marqueur social. Et même s’il triomphe médiatiquement, les résultats des tournois professionnels étant suivi par les médias, il commence à subir la concurrence de nouveaux sports qui lui sont comparables, comme le squash et le padel. Avec 2 terrains de tennis, on peut réaliser 3 terrains de padel. C’est important à une époque où l’espace terrain devient rare. Et ce sont les jeunes et cadres urbains qui pratiquent ces sports porteurs d’une certaine nouveauté.

Roger Séguéla

Bouillargues le 15 juin 2022