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Vous avez dit littérature? Marcela Iacub, Belle et bête

Marcela IACUB Marcela Iacub Marcela IACUBMarcela Iacub

Belle et bête

Éditions Stock

 

La publication du livre Belle et bête et son relais dans la presse posent quelques questions. La première : a-t-on le droit de tout dire, tout écrire, même le pire ? Le droit français répond non, et vient de le prouver en condamnant (sans l’interdire, et on s’en réjouit), le livre en question. L’auteur de Belle et bête, Marcela Iacub, connaissait-elle cette loi répressive ? Plus que personne, elle est juriste de formation. Était-elle en contradiction avec elle-même en la transgressant ? Pas le moins du monde, puisqu’elle a toujours réclamé la liberté pour chaque citoyen de pouvoir exprimer, y compris par écrit, des propos sexistes, anti-féministes, homophobes, voire racistes. Seconde question :l’appartenance d’un texte à la « littérature » donne-t-il tous les droits à l’« écrivain » ? Encore faudrait-il définir ce qu’est  la  « littérature ».  Tel  médiocre  écrit  qui  s’annonce  comme « roman » appartient-il de droit à celle-ci ? En 1947, dans son enquête « Qu’est-ce que la littérature ? » publiée dans les Temps modernes, il lui en fallut des pages et des pages, à Sartre, pour tenter d’y voir clair. Et à Barthes pour faire la différence entre un écrivain et un écrivant. Prenons ce numéro-ci d’artpress où sont présents Claude Simon, Guy Debord, Colette Peignot (et avec elle, Leiris, Bataille). Écrivain, Claude Simon ? Non et non ! ont répondu maints critiques de son temps (relisons, dans les notes du volume de la Pléiade qui vient de paraître, les recensions de ses livres par un Rinaldi, par exemple). Écrivain Guy Debord ? Sûrement pas, selon un Charles Dantzig, qui voulait, selon Debord, « se donner l’air d’être un expert en littérature ». Écrivain Colette Peignot, auteur d’écrits sous le pseudonyme de Laure ? Là tout se complique (lire ma chronique) : oui, oui ! répondent aujourd’hui ses lecteurs enthousiastes. Mais pas du tout ! protestait-elle de son vivant, refusant qu’on lui colle cette étiquette, infamante à ses yeux. Si vous aviez pris le risque de dire à Hölderlin, à Sade, à Kafka, à Artaud, à Breton, à Bataille, qu’ils « faisaient de la littérature »… Je ne sais si Marcela Iacub considère que son livre est un objet littéraire, en tout cas, certains de ses commentateurs en sont convaincus. Dommage qu’ils ne nous disent pas en quoi et ne nous apprennent enfin ce qu’est cet insaisissable fantôme. Il n’est hélas pas sûr qu’ils aient rendu service au livre de Marcela Iacub en l’accablant sous le poids de prestigieuses références (Sade, Flaubert, Leiris, Bataille, Guibert, Foucault…).

Mais, puisque Foucault a été cité, pourquoi ne pas faire appel à lui, notamment à son dernier cours qu’il donna au Collège France, pour recevoir un début de réponse à la question de savoir ce qu’est un écrivain. Le titre de son cours, le Courage de la vérité, suggère d’emblée qu’un écrivain serait celui qui entretiendrait un rapport à la vérité, qui pratiquerait ce qu’il a appelé la véridiction, le dire-vrai. L’écrivain serait celui qui ne pourrait dire la vérité sur les autres et sur le monde qu’à la condition de la dire à partir de sa propre vérité. Qu’en est-il de Belle et bête ? Y approche-t-on la vérité du « cochon » DSK ? La part de sa « cochonnerie », qui l’a perdu, c’est le sexe. Or Marcela Iacub a déclaré : « Tout est vrai dans mon livre, sauf les scènes sexuelles. » Pourquoi, si elles ont eu une réalité, les occulter ? Étrange autocensure. Soit dit en passant, voilà qui rend contestables les rapprochements suggérés entre son livre et ceux de Michel Houellebecq, Hervé Guibert, Virginie Despentes, Christine Angot ou Catherine Millet. Et si l’on en revient à la définition de la véridiction par Foucault, la vérité de la Belle, sa propre vérité, où est-elle ?

Jacques Henric

Article paru dans Art press, n399