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Les Républicains

Cécile Guilbert

Les Républicains

Grasset

 

Nous y sommes : primaire de la droite, primaire de la gauche, élection présidentielle, débats télés, médias et  réseaux sociaux en ébullition ; la société du spectacle bat son plein. Comment, devant le grand événement de notre vie démocratique qui s’annonce, les citoyens que nous sommes peuvent-ils réagir à la lecture du nouveau livre de Cécile Guilbert ?  Affermir leur foi dans nos institutions démocratiques ? Je crains le pire. Il est vrai que les Républicains s’annonce comme roman, donc œuvre d’imagination (mais quel livre n’est pas roman aujourd’hui ?). Il est également vrai qu’il n’a pas pour titre les Démocrates, mais les Républicains. On peut du coup, à bon droit, ne mettre en cause qu’une des incarnations de la démocratie : la république, notre République française. Il est tout aussi vrai que les Républicains pourrait n’être qu’une charge contre l’organisation politique de la droite. Sauf que le lecteur de gauche aura la mauvaise surprise d’assister à l’entrée en piste de quelques figures qui ne lui sont pas inconnues : Rocard, Mitterrand, Hollande, Valls, Fabius, Aubry, Montebourg, Strauss-Kahn, Dray, Cahuzac… Dès lors, aux lecteurs, de quelque tendance politique qu’ils soient, prêts à s’aventurer dans la saga des Républicains, ne faut-il pas adresser dette mise en garde : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance ») ? Pas de panique pour autant, la virée en enfer à laquelle ils sont conviés est moins terrifiante que celle annoncée à Dante et Virgile sur la grande porte de Jérusalem. Le spectacle qui les attend tient plus de la sotie médiévale, de la satire moliéresque, parfois du théâtre de boulevard, que d’une descente chez Lucifer. Amusés, outrés ou désabusés, peut-être se contenteront-ils de reprendre et détourner Shakespeare « Something is rotten ( pourri )  in the state of France).

 

Les couveuses

Nous voici donc dans les ors du palais et les salons de la République, (mais aussi dans les cuisines, arrière-cuisines, cabinets et boudoirs). On voit défiler en ces lieux des présidents de la République, des ministres et leurs hommes de main, chefs de cabinet et autres conseillers politiques, des députés, des sénateurs, et une nichée de Rubempré aux petits pieds (à l’image de cet Aquilino Morelle mais, lui, chaussé de Berluti), la plupart sortis, comme tant de hauts fonctionnaires, de ces couveuses que sont Sciences-Po et l’ENA. C’est précisément dans l’une d’elles, Sciences-Po, qu’a biberonné un temps la narratrice que Cécile Guilbert appelle « la fille en noir ». Celle-ci, lors d’un dîner chez Ardisson, retrouve un condisciple de Sciences-Po, Guillaume Fronsac, lequel poursuit une carrière discrète dans diverses officines du pouvoir politique. De dix-sept heures à minuit, au cours d’une errance dans Paris, la « fille en noir » — qui, elle, a quitté le milieu des cabinets ministériels pour la littérature (elle est l’auteur d’un essai sur le cardinal de Retz) — et l’ancien du cabinet de Balladur, vont échanger leurs souvenirs de la rue Saint-Guillaume et passer en revue quelques-unes des têtes dirigeantes qu’ils ont croisées. La galerie de portraits n’est pas triste. Voici « le grand Ballamouchi » Balladur, « snob entiché de duchesses et de baronnes » ; le « faux noble d’Empire au nom de pur sang », Galouzeau de Villepin, « courtisan flagorneur » et vulgaire ; Alain Minc, « l’éternel couteau suisse des élites françaises » ; l’« hidalgo vindicatif », Valls ; « l’homme aux manchettes Prada », Sarkozy, et le teinté poudré Hollande,  précédé par l’ « ancien maurassien crypto-colonialiste Mitterrand ». Tiens, mais c’est bien le petit « aiglon » Macron qui se dresse sur ses ergots, et cette « pathétique à choucroute », n’est-ce pas Frigide Barjot ? Que fait-elle au sein de cette farandole, suivie par « l’énervée douloureuse Angot », le « lutin sautillant Jean d’O », le Tadzio séducteur de vieilles dames », Banier…? C’est que les politiques ne vivent pas dans une bulle, il aiment à s’entourer : grands patrons, syndicalistes, journalistes, universitaires, sont convoqués dans leurs salons, conviés à leur table ; quant aux artistes et écrivains, c’est bien connu, ils sont fascinés par les hommes et femmes de pouvoir. On les sonne, ils accourent.

 

Une langue de misère.

Ce qui frappe, à la lecture du livre de Cécile Guilbert, c’est l’extrême vulgarité de ce personnel politique et de leurs suppôts dans les médias ; c’est leur langage : vocabulaire appauvri, syntaxe déglinguée, invasion massive de barbarismes et de néologismes improbables, abus de ces horribles « acter », « impacter, « en capacité de », « problématique » employé à tout-va, temps et modes des verbes fautifs ; et quand ce beau monde n’est pas en représentation, fusent les « merde», « putain », « pétasse », « petit con »…  Puis-je dire que des grandes figures communistes, d’origine ouvrière, que j’ai connues de près dans ma jeunesse, y compris les pires, les staliniens purs et durs, je n’ai le souvenir qu’ils aient usé d’un langage aussi trivial et affecté un tel cynisme dans leur vie publique et privée.

Question légitime : Cécile Guilbert ne force-t-elle pas le trait ? Hélas, elle ne parle pas à la légère : la tranche d’humanité qu’elle décrit, elle l’a approchée de près. Son porte-voix, la « fille en noir », a quelque ressemblance avec elle. Même parcours, de la politique à la littérature. Il est notable, par ailleurs, que deux de ses essais qui ont fait date portaient sur des écrivains qui ont été les meilleurs témoins et analystes de leur temps : Saint-Simon et Guy Debord.