Les Belles Sœurs d’Eric Assous (OFF)
Quand on est fatigué des pièces classiques, militantes ou par trop prise de tête, il y a toujours, en Avignon, la possibilité de voir du théâtre qui n’a d’autre prétention que de distraire. Ainsi en est-il des Belles Sœurs qui reçut naguère le Molière du meilleur auteur : du bon théâtre de boulevard débarrassé des crinolines et autres fanfreluches, avec tout ce qu’il faut de répliques brillantes et de réparties à l’emporte-pièce. Avec une situation bien scabreuse, comme de juste.
Soit donc trois frères réunis avec leurs épouses chez le benjamin qui veut faire admirer aux autres sa nouvelle maison. L’aîné est avocat, le cadet dentiste et le benjamin chef d’entreprise. La femme de ce dernier a eu l’idée malencontreuse de convier également la secrétaire-standardiste-hôtesse d’accueil de l’entreprise, une jeune femme affranchie et des plus séduisantes, laquelle s’avèrera avoir eu des relations plus ou moins étroites avec chacun des trois frères.
Rien d’intellectuel là-dedans, on le voit. La pièce, M.E.S. par Arnaud Allain, vaut par la manière dont elle est agencée, par la vivacité des dialogues et – condition peut-être encore plus indispensable dès qu’on aborde la comédie – la qualité de l’interprétation. Tout cela est au rendez-vous et le public n’en demande pas davantage pour s’amuser. Ils sont sept comédiens (trois + trois + une) en formation variable selon les moments (beaucoup d’entrées et sorties conformément, là encore, au genre), au début sans la trouble-fête à propos de laquelle on nous lance sur des fausses pistes, on nous laisse subodorer des choses pas claires. Et l’arrivée de la demoiselle sera sensationnelle comme attendu.
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Les élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique proposent cette année quatre spectacles dans le cadre du IN, plus des lectures lors des rendez-vous littéraires proposés par Christiane Taubira et Anne-Laure Liégeois. On présentera ici brièvement deux des spectacles mis en scène respectivement par François Cervantès et Clément Hervieu-Léger.
Claire, Anton et eux, M.E.S. François Cervantès avec 14 élèves du CNSAD (IN)
« Claire » comme Claire Lasne Darcueil, la directrice du CNSAD et « Anton » comme Anton Tchekhov, explique le M.E.S. Quant aux autres, désignés comme « eux », il s’agit bien sûr des élèves présents sur scène. Ils évoquent des souvenirs enfouis, parfois résurgences d’un lointain passé familial, mais le passé n’est pas le seul convoqué, la fin de la pièce se termine sur une vision de l’avenir. Les comédiens se présentent tels qu’ils sont dans la vraie vie : des élèves d’une classe d’art dramatique. Pendant la plus grande partie de la pièce ils s’adressent tour à tour au public, parfois relancés par un camarade. Il y a très peu de jeu à strictement parler, sinon quelques gestes de réconfort. Et pas non plus de théâtre dans le théâtre à une exception près, une scène de la Cerisaie qui tourne court. Rien de plus simple, on le voit que ce dispositif. On peut regretter qu’il ne soit pas davantage visuel mais cela marche. Les comédiens qui s’expriment à haute et intelligible voix captent notre attention et recueillent d’emblée notre sympathie. On se prend même à regretter que certains ne soient pas davantage sollicités.
Impromptu 1663 – Molière et la Querelle de l’Ecole des femmes, M.E.S. Clément Hervieu-Léger avec 17 élèves du CNSAD (IN)
Il faut dire que l’opinion positive recueillie par Claire, Anton, etc. s’explique également – mais pas seulement – par contraste avec cet Impromptu moliéresque à la sauce Hervieu-Léger présenté lors de la même après-midi. Si la règle du jeu est la même – confier une classe du CNSAD à un metteur en scène avec la mission d’aboutir à un spectacle – le résultat est complètement différent. Cet impromptu est fait de bric et de broc, mélangeant Molière (L’Ecole des femmes, Les Précieuses ridicules, Georges Dandin) à Corneille (Nicomède, Horace) dans le plus grand désordre. Des extraits de La Critique de l’Ecole des femmes et de L’Impromptu de Versailles sont distillés çà et là sans qu’il soit toujours possible de les identifier.
Le désordre de la construction se traduit également dans le jeu des jeunes comédiens, à croire qu’ils n’ont pas été dirigés. Ils jouent trop souvent entre eux, sans se soucier d’être audibles au-delà des premiers rangs du public. Ils affectionnent le style parodique – suivant ce qui semble une sorte de nouvelle mode (voir Das Leben des Herrn de Moliere M.E.S. par Frank Castorf – notre billet N° 1) sans raison apparente. De ce fait seules quelques fortes personnalités d’acteur sortent du lot, qui se seraient distinguées de toute façon.
Cette pièce, à l’évidence, n’a pas été suffisamment travaillée. On n’ose pas croire que le M.E.S. a voulu ce spectacle tel qu’il est montré au public, lequel est resté la plupart du temps de marbre. Dans le prospectus distribué au public, C. Hervieu-Léger déclare pourtant vouloir faire rire le public. Et de fait, avec Molière, ce devrait être assez facile… L’enfer est pavé de bonnes intentions.