Ibsen Huis d’après Ibsen (IN)
Henrik Ibsen (1828-1906) est-il le plus grand dramaturge du XIXe siècle ? Il est permis de le penser. On le joue, en tout cas, comme un classique (La Maison de poupée est présentée cette année dans le OFF). Mais les grands-metteurs-en-scène-contemporains se doivent d’être des auteurs. Ils écrivent eux-mêmes leurs pièces ou, s’ils consentent à monter un classique, il leur faut le transformer suffisamment afin que nul ne doute de leur créativité. Le résultat est variable. Le M.E.S. d’origine australienne Simon Stone a fait travailler pour sa part les comédiens du Toneelgroep d’Amsterdam (la troupe d’Ivo Van Hove dont on salué la mise en scène des Damnés, l’année dernière, dans la Cour d’honneur) sur un texte inspiré de plusieurs pièces d’Ibsen et la réussite est au rendez-vous… même si la pièce n’atteint jamais à la profondeur psychologique de celles du maître norvégien. L’histoire suit une famille – une lignée d’architectes – de 1964 à aujourd’hui. Nous voyons donc des personnages évoluer au fil du temps, joués par des comédiens différents suivant l’âge. Ils sont onze comédiens pour seize personnages, autant dire qu’ils ont fort à faire.
Quant au lieu, il est constitué par une maison posée sur un plateau tournant, ce qui permet de la découvrir sous toutes ses faces et de situer les scènes dans différents endroits. La maison elle-même évolue : après l’entracte, nous la retrouvons, désossée, en cours de construction ou de reconstruction (après un incendie). Autant dire que cette maison à l’esthétique très réussie n’est pas qu’un élément de l’intrigue ; elle en est un personnage à part entière.
Ibsen Huis mêle plusieurs arguments : la propriété intellectuelle, la transmission entre les générations, la drogue, l’alcool, l’homosexualité, le sida et même, à la fin, le drame des migrants. Le thème le plus présent, sans être un fil directeur, est cependant la pédophilie, Cees, l’architecte de la deuxième génération, celui qui a signé (seulement signé !) les plans de la maison éprouvant une attirance irrésistible pour les très jeunes filles, comme nous le percevons dès la scène inaugurale à sa manière de se comporter avec sa propre fille.
Mais tout fait sens : la construction de la pièce est une réussite. Elle est remarquablement servie par les comédiens et l’on ne s’ennuie jamais pendant les quatre heures que dure la représentation. Seul bémol : le comédiens, néeerlandais, parlent… leur langue. Or il est essentiel ici de lire le texte, ce qui empêche de goûter autant qu’on le voudrait le jeu des comédiens.
Grensgeval (Borderline) d’après Les Suppliants d’Elfriede Jelinek (IN)
Guy Cassiers[i] qui dirige le théâtre Toneelhuis d’Anvers présente une adaptation théâtrale et chorégraphique d’un texte, comme le précédent en néerlandais, qui raconte en trois tableaux l’odyssée des migrants, depuis la traversée de la Méditerranée jusqu’à l’accueil dans une église en passant par l’errance sur les routes de l’Europe.
Le statut du texte, partagé entre quatre récitants, est ambigu. On n’entend pas parler les migrants mais une Européenne qui exprime dans son style d’écrivaine des péripéties connues, hélas !, de toute personne au courant de l’actualité. Le texte du premier tableau qui brode indéfiniment sur la panne du moteur du bateau (laquelle panne n’empêche pourtant pas ses passagers d’arriver à bon port) est particulièrement fatigant – même si la suite du texte n’est guère plus intéressante. Et pourquoi quatre récitants ? Pourquoi projeter sur un écran en fond de scène leurs visages d’Européens bon-teint déformés par la vidéo ? On ne voit pas la nécessité de tout cela.
Le spectacle ne vaut en réalité que grâce à la chorégraphie de Maud Le Pladec, à la fois sobre et parfaitement adaptée au propos. Dans le premier tableau les seize danseurs manipulent cinq poutres (creuses) à l’aide desquelles ils figurent le bateau et son roulis. Dans le deuxième tableau, leur marche sur place est impressionnante ; c’est également le seul où la danse stricto sensu s’introduit dans la pièce, sur une musique forte. Le dernier tableau laisse moins de souvenirs. Il est vrai que plus le temps passe et plus l’on est agacé par un texte purement compassionnel qui ne laisse aucune place à la réflexion sur les réponses qui pourraient être apportées aux migrants (au-delà de laisser les frontières grand ouvertes). Au moins, à la fin d’Ibsen Huis, le problème politique posé par les migrations – l’opposition frontale entre les partisans de l’accueil et ceux du rejet – était-il clairement posé, à défaut d’être résolu.
[i] G. Cassiers a mis en scène dans ce même festival la conférence sur Le Sec et l’Humide. Cf. notre billet n° 3.