Lenz d’après Jakob Michael Reinhold Lenz, Georg Büchner et Johann Friedrich Oberlin
Au début du spectacle d’Angélica Liddell, Qué Haré Yo, une remarque de Cioran s’inscrit sur un bandeau lumineux : les Français, selon lui, sont inaptes au romantisme, le vrai, celui des Allemands. Est-ce pour guérir cette tare que le IN d’Avignon programme si souvent des pièces inspirées par les romantiques allemands, à commencer par Hölderlin dont on a parlé ici à plusieurs reprises. Mais les pré et post-romantiques ont aussi la cote. Tel est le cas respectivement de Jakob Lenz (1751-1792) et de Georg Büchner (1813-1837). Lenz fut l’ami de Goethe, avant de se brouiller avec lui. Il eut une vie aventureuse, traversée par un inguérissable chagrin d’amour et des crises d’excitation nerveuse qu’il soignait par des bains d’eau glacée. Il fut recueilli pendant un temps par le pasteur Oberlin, lequel laissa un récit de ce séjour, récit dont Büchner tira une nouvelle (inachevée).
Cornelia Rainer qui signe l’adaptation et la mise en scène est autrichienne. Elle a créé la compagnie Theater Montagnes Russes en référence au décor de sa pièce Lenz qui évoque ainsi les montagnes où vivait alors le pasteur. L’effet visuel de ce décor, quand on le découvre dans la cour du lycée Saint-Joseph, est saisissant, de même d’ailleurs que le prologue musical assuré par un batteur qui utilise le décor en bois et les ustensiles de la cuisine du pasteur pour improviser un solo qui ne manque pas d’originalité ni de piment. Le début de la pièce ne manque pas d’intérêt non plus avec l’arrivée de Lenz chez Oberlin et l’évocation de la vie de cette famille composée des parents, de deux fils (dont un enfant) et d’une servante. Des trappes dans le décor dissimulent un puits (où aura lieu le fameux bain glacé), un lavoir (qui servira pour les vêtements de Lenz qui a dû se changer après son bain). Plus tard, on verra Lenz revêtu d’une sorte de soutane délivrer un sermon, un accrochage avec la servante au cours d’un de ses crises, etc. : de petits événements qui ne suffisent pas à créer une ambiance dramatique et l’on s’ennuie assez vite. Dans un entretien avec la presse, le directeur du festival, Olivier Py, s’inquiète un peu de cette mode chez beaucoup de metteurs en scène « up to date » qui consiste à négliger les pièces écrites pour le théâtre pour monter leurs propres adaptations d’œuvres littéraires qui n’ont ou n’ont pas de ressort dramatique. Inquiétude justifiée, en effet…
Les Dits du bout de l’île
Cette mode de l’adaptation d’une œuvre littéraire (qui d’ailleurs peut produire des réussites) n’épargne pas le OFF – pourquoi en irait-il autrement ? – même si elle s’y manifeste statistiquement plus rarement. Ainsi en est-il des Dits du bout de l’île, adaptation par El-Madjid Saindou du récit de Nassuf Djailani, journaliste, poète et nouvelliste mahorais, De l’île qui marche vers l’archipel qui ploie. L’auteur raconte sa trajectoire d’étudiant transplanté à Bordeaux puis le choc du retour sur l’île natale. D’après l’adaptation qui en est faite, ce texte est également un ensemble de témoignages ainsi qu’un essai présentant la situation de Mayotte, une île française de l’archipel (pour le reste) indépendant des Comores, avec tous les déséquilibres « sociétaux » qui s’ensuivent. Nulle part comme à Mayotte l’expression « servitude volontaire » qui apparaît au fil du récit n’est plus justifiée, les Mahorais ayant voté à plusieurs reprises pour rester français et refuser l’indépendance, une alternative jamais proposée en ces termes aux habitants des autres territoires français d’outre-mer.
La mise en scène enchaîne les monologues portés par une comédienne et un comédien mahorais, un autre comédien comorien et un joueur de dzendze, sorte de cithare à deux faces. Le décor se réduit pour l’essentiel à un cadre de porte au travers duquel passent les divers personnages. Un théâtre minimaliste qui hésite entre la parole poétique, le documentaire et le pamphlet politique. Tous les genres sont acceptables pour raconter l’île de Mayotte et le spectacle, à ce titre, ne manque pas d’intérêt. On reste néanmoins sur sa faim de théâtre et l’on ne peut qu’inciter la compagnie Ariart, seule compagnie professionnelle de Mayotte, à se tourner vers une forme plus dramatique pour traiter les problèmes identitaires qui la travaillent.
La Petite Molière
Une pièce peu connue de Jean Anouilh, créée en 1959, qui fait partie de ses trois « comédies de comédiens »[i]. Une pièce sans prétention, moins brillante que d’autres de cet auteur prolifique, mais qui présente l’intérêt… de s’intéresser à Molière. Elle brosse à grand trait une partie de la carrière et de la vie de ce dernier depuis Limoges et l’arrivée d’Armande Béjart dans la troupe jusqu’à la mort de Molière. La pièce reconstitue l’atmosphère qui pouvait être celle dans laquelle vivaient Molière et ses compagnons (et compagnes) au XVIIe siècle. Elle perd beaucoup si elle n’est pas jouée dans des décors et des costumes réalistes par des comédiens au sommet de leur art. Ce n’est malheureusement pas le cas avec l’interprétation de la compagnie Lizart et la mise en scène de Stéphane Rugraff, même si l’on a aimé les passages, entre les scènes, où les comédiens masqués déplacent les quelques accessoires de la pièce. Comme ces comédiens se tirent néanmoins à peu près correctement de l’exercice, on peut avoir du plaisir à regarder cette Petite Molière à la fois comme une curiosité et, encore une fois, pour Molière.
[i] Voir à ce sujet : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2010-4-page-847.htm