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Alexandre Leupin, Proust en bref, éditions Furor 2015

 

proust-br-002Il y eut Flaubert et son idéal d’un roman impersonnel; puis vient Proust, où le sujet, l’expression personnelle, font retour.  Mais voyons bien le caractère élégiaque, crépusculaire, de cette “égophanie”. Comme le montre avec vigueur Alexandre Leupin dans les pages liminaires de son Proust en bref, celle-ci marque le terme d’une longue aventure, qui commence avec l’Épître aux Galates, lorsque saint Paul annule les particularismes identitaires (il n’y a plus Juif ni Grec, ni homme ni femme, etc.) et leur substitue la communauté chrétienne des sujets individuels. Mais que Dieu vienne à mourir, et ces sujets, désormais sans assise, se pulvérisent… Nous en sommes là aujourd’hui: à devoir dealer, entre hystérie et terreur d’être soi, avec cet orphelinage narcissique. Or le “moment Proust” se situe juste avant, dans le suspens agnostique. C’est ce qu’établit la belle méditation de Leupin sur l’usage des temps verbaux dans La Recherche. Ainsi y a-t-il le “passé récitatif”, coulée luxuriante et baroque qui charrie la contingence du Temps. Puis il y a ces piqûres, au présent intemporel, qui déchirent l’ample flux narratif, en résument et généralisent la leçon. La généralité de la maxime est transitionnelle: deux singularités, celle de l’auteur, celle du lecteur, ont chance de s’y rencontrer; et elle est consolante, non pas tant parce que des vérités y sont dites (celles-ci sont toujours contextuelles) mais parce qu’elles attestent qu’une échappée est possible hors de la poix du sujet singulier. Ce sont ces maximes que Proust en bref recueille et offre au lecteur, pour qu’il y compose ses incertitudes et découvre, en adoptant “les multiples optiques proustiennes, les richesses de sa propre vie”.

Jean Kaempfer

À paraître dans artpress, no 431