Dans ce nouveau recueil de Sonia Elvireanu, tout est une question de lumière, éclairage du regard que l’on pose sur l’impénétrable, sur l’apparence, le visible, le mystère de l’invisible et de l’absence, sur la beauté du monde en noir ou en couleur et ce regard nous entraîne sur les sables de la quête du poète, celle de l’Amour et de l’art qui font se lever le soleil du sens et de la vie.
Ce beau recueil de Sonia Elvireanu ne se laisse pas aborder si facilement. Il s’ouvre et se referme sur le dialogue entre deux regards : la parole d’un peintre qui bute sur le mur des vers du poète, se sent étranger au mystère qu’ils recèlent. Il est difficile de pénétrer le mystère des vers, /impénétrable, je suis comme un mur/ dit-il –Il n’y a pas de mur à ne pouvoir décrypter, lui rétorque le poète :le langage des vers et celui de la couleur sont à même de faire se lever le soleil. Car le mur parle, à sa manière. Il oblige à regarder, à découvrir le travail de la lumière, à le franchir et à regarder le monde derrière lui qui s’y reflète.
C’est donc le regard qui fait advenir la lumière. Pinceau du poète, il rejoint celui du peintre qui rompt la nuit profonde de l’être par la touche de couleur qu’il y met comme le poème, lui, s’illumine d’un grain, noyau de vie.
Dans l’œil qui regarde s’allument ou s’éteignent /les couleurs de la vie nous dit le poète.
Décrypter serait donc accomplir son destin, sa mission sur la terre …Trouver le sens, percer l’impénétrable, entrer dans l’univers de l’autre peut être un défi. Ne pas se sentir compris est une blessure :
Quelqu’un ne comprenant pas mon rêve, a secoué l’échelle,/un éclat de verre pointu ronge la ficelle maintenant,/il déchire petit à petit le rayon de lumière/
Mais la vie coule dans tout désert et la langue de la lumière finit, elle, par ouvrir le cœur.
Sonia Elvireanu est un poète qui parle dans une langue peu connue, une langue singulière faite de la lumière du ciel accoudée aux fleurissements du souvenir, de la beauté du monde et de l’amour. Ses poèmes sont accompagnés de présence ou d’absence sans qu’il soit toujours possible de savoir qui est l’ombre de qui. Ombre infinie de l’attente qui ajoute au charme du mystère poétique. Et nous laisse pressentir une présence suggérée, celle d’un Absolu vers qui se dirige sa marche.
La poésie toute de délicatesse, de touchers aussi subtils qu’ailes de papillon, de traces légères et de douleurs contenues de Sonia Elvireanu nous entraîne vers les rivages verts/et bleus du silence poème.
Ainsi, ce superbe poème :
Une feuille d’érable emportée/par le vent verse sur mes genoux/le sang d’une plaie profonde,
Les eaux de l’attristement/de la solitude, /la pointe d’une flèche,
La feuille sanglante d’érable/La feuille de l’amour étoilé/tourbillonne vers les rivages éloignés
Sonia Elvireanu, dans ce recueil-ci, nous emmène sur les sentiers du monde, qu’ils soient ceux des sables du désert, de la Grèce ou du paysage familier. Dans la brume laiteuse ou la lumière crue, ils gardent en eux le noyau du mystère, cet œil du ciel…
Les couleurs, les senteurs, la vie en ses broussailles, l’eau, source ou mer, les ciels et les ponts entre deux mondes que sont les arcs-en-ciel, ces éléments qui forment l’univers du poète dans toute son œuvre poétique prennent ici une nouvelle gravité teintée d’attente tantôt offensée tantôt apaisée, symbolisée par l’ombre constamment présente.
Malgré toutes les résistances, rien ne peut s’opposer au rayon de lumière qui conduit à l’heure destinée au cœur du mystère caché dans la touche de couleur ou le mot du poème et devient alors, éclat vivant d’un don qui s’offre.
De la blessure a surgi la vie. L’art du peintre et celui du poète ont déchiré le noir et franchi le mur de l’impénétrable. L’un comme l’autre a fait se lever le soleil.
Isabelle Poncet-Rimaud
Sonia Elvireanu, Le regard… un lever de soleil, bilingue avec les traductions en italien de Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi editore, 2023, 194 p., 15 €. Prix François-Victor Hugo de la Société des Poètes Français, 2023.