Aix-en-Provence n’est pas une grande ville mais elle peut s’enorgueillir de deux lieux d’exposition prestigieux : d’une part le musée Granet, musée municipal qui porte le nom du grand peintre d’Aix avant Cézanne, François-Marius Granet (1775-1849) dont le legs permit l’inauguration du musée ; d’autre part l’ancien hôtel de Caumont rénové par Culturespaces. Les deux proposent des expositions remarquables comme celle actuellement en cours au musée Granet. La peinture du XVIIe siècle n’est pas particulièrement à la mode, de nos jours, et cette exposition n’attirera pas autant de visiteurs que celles qui furent consacrées dans ce même musée à Cézanne (450 000 pour « Cézanne en Provence », en 2006 ; 370 000 pour « Cézanne et Picasso » en 2009) mais ceux qui graviront les quelques marches conduisant au prieuré de Malte, amateurs ou simple curieux, vérifieront que l’exposition n’est pas intitulée pour rien les « Chefs d’œuvre de la collection De Vito ».
On ne peut que s’émerveiller qu’un chef d’entreprise comme Guiseppe De Vito (Naples, 1924- Florence, 2015), ingénieur télécom, ait pu acquérir autant de tableaux d’une aussi grande qualité tout en devenant un expert reconnu du Seicento napolitain. Sa collection est désormais la propriété de la fondation qu’il a créée près de Florence et qui porte son nom.
L’exposition s’ouvre sur quelques œuvres « caravagesques » dont un Saint Antoine abbé de Jusepe de Ribera (né à Xàtiva, en Espagne mais qui s’installa dans la cité parthénopéenne dès l’âge de 25 ans), peut-être LE chef d’œuvre de l’exposition tant l’art du clair-obscur y est porté à la perfection. Comme souvent chez le Caravage, la lumière vient d’en haut à gauche, laissant le côté droit du visage dans l’ombre. L’œil droit, le seul visible n’est qu’un trou noir, le regard pourtant est intense, tout en participant avec les rides, la barbe blanche à l’impression de sagesse, sinon de sérénité, communiquée par le personnage.
On rapprochera cette œuvre frappante de réalisme de celle du peintre connu sous le nom de Maître de l’Annonce aux bergers, œuvre tout aussi remarquable dont il existe trois autres versions dans des musées européens (dont Nantes et Besançon). On peut déchiffrer le message inscrit sur ce tableau intitulé Vieil Homme méditant sur un parchemin : « Aujourd’hui pour moi, demain pour toi. Là où je suis tu seras. Plus favorable est la condition, moindre est sa pérennité ». Les riches Napolitains étaient friands de ces figures à mi-corps de philosophes ou autres saints ou saintes. L’homme dont il s’agit ici (peut-être Héraclite) baisse les yeux pour lire. Le tableau frappe autant pour son clair-obscur (moins accentué que chez Ribera) que pour le rendu du visage buriné et du vêtement déchiré et rapiécé.
Auparavant, le buste d’un Saint Jean Baptiste enfant de Giovanni Battista Caracciolo (dit Battistello) aura longuement retenu l’attention (voir un détail ci-dessus). Ce tableau représente un Jean Baptiste reconnaissable simplement au roseau qu’il tient de la main droite repliée vers son épaule. Avec ses lèvres carminées, ses joues roses qui contrastent avec la chevelure fondue dans le noir du fond du tableau, son sourire enjôleur, cet enfant paraît vivant, comme prêt à sortir du cadre.
La Déposition du Christ de Maria Pretti est un autre chef d’œuvre. Peint vers 1675, la dramatisation des attitudes des personnages en fait un exemple tout à fait remarquable de l’art baroque. Le Christ encore sur la croix est soutenu par Joseph d’Arimatie dont on voit seulement le crane luisant, une tache de lumière exactement au centre du tableau. Le corps et la tête du Christ qui tombe vers la gauche sont vus par en-dessous tandis que saint Jean lève la tête au plus proche de celle du Christ, les yeux embués et la bouche ouverte. Les bras du Christ étendus sur la croix dessinent une diagonale presque parfaite si bien que le quart supérieur gauche du tableau est seulement occupé par une nuée grisâtre. Cette composition dramatique n’ôte rien au réalisme de la scène, lequel est accentué par la précision du rendu.
Les dernières sections de l’exposition De Vito proprement dites sont consacrées à des scènes de bataille ou inspirées de la mythologie et aux natures mortes. Le musée Granet a ajouté, pour conclure, les œuvres de son fonds appartenant au XVIIe siècle napolitain, parmi lesquelles un beau Saint Paul ermite en prière attribué à Massimo Stanzione. Le saint dont la deux bras sont levés, les mains jointes, regarde vers le ciel, peut-être attiré par l’oiseau qui l’a dépassé et vole désormais derrière lui. Le corps dessine une diagonale, comme dans le tableau de la Déposition, le coin supérieur gauche étant occupé par l’oiseau noir ; celui inférieur droit par un crâne légèrement doré. Ce tableau est un autre clair-obscur, le corps blanc se détachant sur un fond de ciel gris et, en bas, quelques taches de couleur passées (le gilet en peau de bête, le haut d’une culotte rouge, le crâne, …).
Aucune femme dans les tableaux retenus jusqu’ici. Non qu’elles soient absentes de la collection et un tableau, au moins, le Sainte Lucie de Bernardo Cavallino mérite de s’y arrêter. La légende de sainte Lucie est émouvante : refusant de se marier contre la volonté de son père, car décidée à vouer sa vie aux pauvres, elle s’est arrachées les yeux. Le peintre les a posés sur un guéridon dans le coin inférieur droit du tableau. La sainte, cependant, n’est pas aveugle car Dieu lui a rendu la vue. Le tableau est remarquable par sa composition où domine les rouges (une draperie dans le coin supérieur gauche et le guéridon), la couleur vert pâle de la robe mais qui s’assombrit vers le bas. La robe est agrémentée d’une écharpe gris clair qui capte également la lumière mais sans détourner pour autant l’attention de la pâle figure de la sainte qui se détache du rouge de la tenture ni des mains dont la blancheur tranche sur le bas de la robe. On admire enfin le travail du peintre sur les drapés, celui de l’écharpe en particulier.
La liste des chefs d’œuvre ne s’arrête pas là, loin de là. Il y a une part de subjectivité inévitable chez tout amateur de peinture. Nous pourrions encore citer le Saint Jean Baptiste dans le désert et la Salomé portant la tête de saint Jean Baptiste de Massimo Stanzione, La Figure juvénile (au sexe ambigu) humant une rose du Maître de l’Annonce aux bergers, Le Christ et la Samaritaine d’Antonio De Bellis (repris sur la couverture du catalogue), la Scène de charité avec trois enfants mendiants de Mattia Pretti, la Scène d’auberge de Luca Giordano. Ajoutons pour finir que l’attribution de plusieurs tableaux à tel ou tel peintre ou à l’atelier de ce peintre est loin d’être toujours certaine, en dépit des travaux de De Vito lui-même et des spécialistes venus avant et après lui. Le Seicento demeure à cet égard un champ de recherche passionnant pour l’historien d’art.
Naples pour passion – chefs d’œuvre de la collection De Vito, Aix-en-Provence, musée Granet, du 15 juillet au 29 octobre 2023. La même exposition s’est d’abord arrêtée au musée Magnin (Dijon) du 29 mars au 25 juin).
Catalogue sous la direction de Nadia Bastogi et Sophie Harent, Réunion des musées nationaux, 2023, 160 p., 30 €.