On peut compter sur la Fondation Clément pour présenter dans des conditions parfaites les œuvres d’artistes contemporains, des artistes du Tout-Monde lors des grandes expositions en partenariat avec une autre institution muséale (Beaubourg, Fondation Dapper, etc.), ou plus souvent de la Caraïbe, avec une attention privilégiée vers la Martinique où, aujourd’hui comme hier, ne manquent pas les plasticiens talentueux.
Vient de s’ouvrir une double exposition d’artistes liés plus ou moins intimement à cette île. Raymond Médélice, né à Paris, est installé à la Martinique depuis l’âge de 22 ans. Quant à Rodrigue Glombard, s’il est lyonnais, sa famille en est originaire. Ils ont d’ailleurs tous deux déjà exposé à la Fondation. Rien de plus différent, à part ça, que leurs œuvres. Tandis que le premier, autodidacte, se rapproche de l’art brut, le second, passé par les Beaux-Arts de Besançon, pratique un art non figuratif, à l’exception des séries récentes baptisées « Temporels » qui alignent des chiffres sur fond noir.
Raymond Médélice
Les œuvres de Raymond Médélice semblent destinées à communiquer la joie de vivre que nous prêtons volontiers à son auteur. S’il représente des personnages, ce sont des caricatures souriantes ou grimaçantes mais toujours sans méchanceté. Ainsi le visage royal de l’« Hommage à Basquiat » (2023), qui reprend un motif célèbre des tableaux du peintre maudit, est-il agrémenté d’un rictus carnassier du meilleur effet (ci-dessus). Le fond rouge, strié au peigne, de ce tableau se retrouve dans d’autres œuvres récentes où se détachent, des dessins en blanc de maisons ou de mobilier scolaire.
D’autres œuvres plus anciennes, au couteau, montrent une profusion de détails difficilement interprétables, comme la toile « Rêve de café » (1996) où seule se déchiffre facilement la partie inférieure qui montre une nappe et une douzaine de tasses en forme de corolle et portant, chacune, trois morceaux de sucre.
Ce même procédé pictural se retrouve par exemple dans une autre toile de la même époque, « Le premier matin du premier jour de la fin du monde », qui juxtapose texte et peinture, autre procédé récurrent chez Médélice. La peinture est encadrée par des dessins suivis chacun d’un petit texte. Sur le détail reproduit ici on peut lire : « Tu conduisais encor trop vite au volant de cette maudite bagnole et trop présser aussi dans l’amour, etc. » (sic).
Une autre technique consiste à encastrer une poupée de son dans un fond, jaune en l’occurrence, et d’y adjoindre la photo du visage d’un personnage célèbre, comme, par exemple , Frantz Fanon.
Médélice présente aussi des tableaux couverts uniquement de textes, écrits maladroitement avec des lettres détachées, des textes empruntés à d’autres ou sortis du cerveau de l’auteur. L’un deux semble résumer l’état d’esprit de ce dernier autant que l’atmosphère de cette exposition :
M o d e s é G o u T
F a n t é z i s é l i d é
Instants – Rodrigue Glombard
Rodrigue Glombard est peintre, sculpteur, il pratique à l’occasion le land-art. C’est son œuvre picturale récente qui est exposée, les travaux les plus anciens ne remontant qu’à 2010. En dehors de ceux-ci – quelques grandes toiles peintes à l’acrylique de la série « Murs sauvages » – les autres sont tous sur papier, des collages colorés ou, dernièrement, d’énigmatiques inscriptions alignées sur fond noir. Rien de plus différent que ces deux versants de l’œuvre de cet artiste : le premier qui plaît immédiatement à l’œil ; le second qui interpelle et invite à aller plus avant, … au risque de la déception.
Les tableaux colorés se présentent sous différents formats, les plus modestes tirés d’un cahier à dessin. La composition est très variée, tantôt aérée, tantôt plus dense mais le blanc du support ne disparaît jamais complètement. Les taches colorées sont reliées entre elles de manière plus ou moins lâche par des plages de gris constituées de traits noirs très serrés réalisés minutieusement à la pointe fine. Dans de rares cas, le fond est également en couleur comme dans certains tableaux de la série « Enchevêtrement ». On admire le jeu des couleurs judicieusement choisies, leur disposition sur le support. Les plages de gris qui permettent d’identifier immédiatement l’artiste et qui sont donc comme sa signature contrastent très habilement avec les papiers découpés. Bref, de l’art abstrait qui semble fait avant tout pour le plaisir de l’œil, ce qui mérite d’être souligné et salué.
On demeure nettement plus perplexe devant les œuvres de la série « Temporels », lesquelles relèvent d’un art délibérément conceptuel. Il s’agit donc de suites de chiffres indiquant en l’occurrence des dates (ex. : 29.05.18) suivies de quelques heures (soit pour cette date-là : 09h20→11h10 13h34→15h15 15h45→17h23 18h09→19h25). Le fond noir est agrémenté de points blancs à la pointe fine. Avec certaines variantes : les « ronds » des chiffres 0, 6 et 8 sont parfois remplis en blanc ; les chiffres peuvent être colorés (1 gris, 2 violet, 3 vert, etc.) ; dans quelques cas des taches de papier découpé introduisent de discrètes notes de couleur.
Les dates et les heures indiquent le temps passé par l’artiste sur son œuvre. Lorsqu’une feuille de papier grand format est remplie, il passe à la suivante. Ce travail qui se rattache à la performance et qui décrit de manière obsessionnelle l’écoulement du temps a trouvé récemment un complément musical. À chaque chiffre est affecté un son différent, chaque planche pouvant alors être lue comme une partition. On écoutera le résultat de cette expérience pendant l’exposition (les QR-codes insérés dans le catalogue renvoient vers des enregistrements sur Youtube qui ne sont, hélas, plus accessibles).
Fondation Clément, Le François, Martinique, du 21 juillet au 19 septembre 2023.