Episode 117
Je m’ennuyais, je suis allé faire un tour au bar de la plage
Jules aussi. Il dit : ” cet été n’en finit pas… les minutes, les heures, les jours, les semaines n’en finissent pas.” J’étais bien d’accord avec lui. Drôle de sensation : on ne savait même plus quel jour on était ; la veille, le lendemain ? Imaginez que sur un cargo, le lieutenant de quart oublie de faire le point en plein océan… les choses ont dû commencer comme ça pour le Hollandais volant… Jules continua : ” nous sommes à l’arrêt géographique, cosmique, énergétique. ” Là il poussait un peu mais il y avait du vrai. Jean-Do fit en vitesse quelques calculs de grande envergure qu’il fit vérifier par une de ses amies, mathématicienne ultime de passage : rien ne clochait, enfin rien de plus que d’habitude. On aurait pu consulter ma tante en Cornouailles qui bricole un peu dans le magique mais, en dehors de la confection du gin-tonic, son rayon d’action fiable est limité (Je me demande si elle a enfin trouvé un tiercé gagnant).
La mer était en place, ponctuelle. Le ciel aussi, immobile, bleu-carte postale. A croire que les mouettes avaient laissé tomber les figures libres, répétant mécaniquement le programme court. A l’horizon, la planète tournait sans autre souci que de tourner. Ici, les filles en bikini marchaient pieds nus, surtout Leslie. Le Colonel monologuait une histoire dans laquelle les eaux des grands fleuves asiatiques se mêlaient au regard des femmes à la peau de soie, où les guerres ne faisaient pas de mort. Le Colonel ne s’ennuie pas, ne désespère pas, cela vient peut-être de l’accumulation de vies antérieures. Il remarqua notre désenchantement lointain, il dit : ” c’est quand on est arrêté qu’on va plus loin.” Georges aligna une rangée de dry-martini
Demain sera sûrement un jour plus loin.
Episode 118
Rien ne s’est passé comme prévu, ou espéré
C’est toujours un peu comme ça. L’équipe du bar de la plage n’avait pas gagné le tournoi inter-plage de volley-ball mixte. On s’est consolé ; vous savez bien : la victoire et la défaite, ces deux imposteurs… Louise de V n’a pas trouvé de troisième mari ; ce n’était pas la saison. Depuis le début de la semaine, Leslie se baladait en bikini complet ; on préférait la version 50%. Bonne surprise : Paul McCartney que tout le monde appelle Macca, vient à 76 ans de sortir son 17éme album solo. Il est superbe. Comme l’a dit un philosophe normand : ” un vieux pommier ne donne pas de vieilles pommes.” Remarquez que Verdi a 36 ans avait déjà composé 37 opéras, puis il arrêta, l’air des temps nouveaux ne lui plaisait pas. Mozart avait déjà écrit plus de 600 oeuvres avant cette 33ème année fatale. Nicolas de Staël peint plus de 250 tableaux pendant ses derniers mois passés en Provence. Epuisant.
Epuisé, j’ai allumé la radio. Le monde y criait. J’ai éteint la radio. Je n’aurais pas dû allumer la radio. Je balançais entre optimisme et pessimisme, j’en cherchais la différence profonde. Elle m’échappait. A quel état d’âme s’adonner ? Auquel se fier avant de se lever le matin ? Chacun d’eux exposait ses arguments, ses avantages et ses mensonges… Peut-être n’étaient-ils que les deux faces d’un même miroir aux alouettes ? Autant de trompe-l’oeil, et d’attrape-gogo déployés par des psychanalystes viennois farceurs en mal de clientèle…
“le destin, le destin, petits mortels”, clamaient les anciens Grecs à l’ombre de l’Olympe. On peut voir les choses comme ça…
J’ai tourné le dos au soleil levant, à la marée montante, j’ai essayé de me rendormir. Une pensée refusait de s’évaporer … il ne manquerait plus que Georges soit en rupture de stock de dry-martini…
Episode 119
Les grands films commencent par la fin
On a revu la Dolce Vita. Dernières scènes : une bande c
de fêtards lunaires et solaires, envahissent la luxueuse maison d’un ami absent pour y finir la soirée. Architecture épurée modernissime, intérieurs blanc, escaliers blancs, murs-baies coulissants. Ils boivent, dansent, oublient et s’oublient. Une femme se déshabille. Au matin, le propriétaire de retour les vire. Tout le monde est assez saoul, ils s’égaient à travers les arbres jusqu’au bord de la mer. Photographie en noir et blanc : l’élégance sombre des robes et des costumes s’impriment sur la pâleur du matin. Un énorme poisson, sorte de monstre marin est échoué sur le sable. Mort, il les regarde… Il y a l’embouchure d’une rivière. Sur la rive opposée, une fillette souriante et rieuse, interpelle Marcello Mastroianni – alias Rubini, le journaliste people – langage des signes par-dessus le bruit des vagues. Se comprennent-ils ? une fille de la bande revient chercher Marcello… Il ne reste plus que la mer, le matin, l’horizon vide. Tout est dit. L’éternité et des vies qui passent, celle laborieuses des pêcheurs, celle de la fillette avec son cortège d’espérances, celle des autres, oisives, brillantes et vaines, et puis la mort qui rôde dans l’oeil du poisson et les regarde… Les lumières se rallument. On a presque oublié la fontaine de Trevi et le décolleté d’Anita…
Fellini savait bien ce qu’il faisait, il nous a un peu baladés , on n’a pas fait très attention. L’essentiel était ailleurs, à la fin. Maintenant on est au courant, on va pouvoir revoir le film, pour de bon, sans impatience. C’est toujours un peu comme ça qu’il faudrait faire avec les grands films.
L’océan faisait semblant de nous écouter ; le vent ne voulait pas nous déranger ; les oiseaux de mer avaient leur compte, ils avaient déserté la scène. On est resté encore un bon moment avec Marcello et ses belles amies…