Richard II, M.E.S. Christophe Rauck
Si Richard II n’est pas la pièce la plus jouée de Shakespeare, elle mérite d’être découverte dans la mise en scène de Christophe Rauck, directeur des Amandiers à Nanterre, présentée cette année. Deux pièces de Shakespeare dans le IN, toutes deux dans des mises en scène respectueuses du texte : on aura garde de s’en plaindre ! Après le comédie de la Tempesta, place au drame historique avec Richard II. Les historiens discutent toujours de la personnalité de ce roi : avait-il réellement des problèmes mentaux ? On s’accorde à dire qu’il était efféminé et – ce qui n’a aucune espèce de rapport – qu’il ne se comportait pas toujours normalement. Quoi qu’il en soit, le Richard II de Shakespeare manque pour le moins de sérieux. Constamment dans l’outrance, il mêle l’insulte à la dérision, voire à la fin, quand il est contraint d’abdiquer, à l’autodérision.
Le succès d’un passage du texte (ici superbement traduit par Jean-Michel Déprats avec des alexandrins bien frappés) à la scène repose en très grande partie sur le comédien chargé d’interpréter le roi et Micha Lescot est, ici, royal ! Sautillant, vibrionnant et finalement rampant comme un chien battu, il incarne à la perfection un personnage voulu par Shakespeare comme veule et velléitaire, quelqu’un qui joue au roi plutôt qu’il ne règne. Face à lui, Eric Challier est un Bolingbroke massif et sûr de lui. Enfin Thierry Bosc incarne successivement Jean de Gand et York avec l’autorité qui sied à un homme (et donc à un comédien) d’expérience.
La scénographie se résume à deux gradins mobiles, déplacés à la main par des machinistes et à des projections qui aident à situer le décor. Remarquables images de vagues lorsque le roi revient de faire campagne en Irlande.
Le début est sépulcral, tout est dans la pénombre à l’exception des ronds de lumière dans lesquels les personnages apparaissent tour à tour. Dans la même veine, une scène de duel en lumière troboscopique. Dans un tout autre genre, la scène du château dans lequel s’est réfugié la reine, où les jardiniers, seuls représentants du peuple, comparent le royaume de Richard à des plate-bandes mal entretenues. Quelques scènes sont filmées, les personnages projetés alors en gros plan, mais les voix ne sont pas amplifiées (sauf dans une scène où le roi est couché sur le sol) : nous somme bien au théâtre et non dans une de ses formes théâtrales, comme on en voit tant de nos jours, où la différence avec le cinéma n’est pas toujours évidente.
Una imagen interior de Tanya Beyeler et Pablo Gisbert
Le IN ménage toutes sortes de surprises. Una imagen interior fait partie des très très mauvaises. Dans ces cas-là on s’éclipse en principe discrètement mais que faire quand on est arrivé à Vedène (l’Autre scène du Grand Avignon) en navette, sinon prendre son mal en patience. Au moins vous êtes assis dans des fauteuils confortables, quoique assourdis hélas par une musique si forte qu’elle ne peut que vous épuiser. Celle-ci – la musique – serait pourtant censée, selon les initiateurs de cette pièce, « inclure le spectateur dans le paysage de la scène en se connectant à ses émotions ». Or c’est le résultat inverse qui est atteint : assommé, on cherche surtout à s’abstraire du monstre qu’est cette pièce.
La chose ne manque certes pas d’ambition, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que « d’invoquer sur scène l’énergie puissante et intrinsèquement conflictuelle de l’existence ». Diable ! Les auteurs croient-ils faire preuve d’originalité ? On le croirait à les lire, comme si Shakespeare, Racine et tant d’autres tragédiens n’avaient jamais existé ! Après tout, dira-t-on, rien n’empêche d’essayer de faire aussi bien que ces éminences de la littérature. Risqué, quand même, et dans ces cas-là, il paraîtrait prudent de ne pas afficher ses intentions au départ…
Au départ une toile est posée sur le plateau. Elle porte un dessin multicolore fait de traits embrouillés. Au cas où nous n’aurions pas compris le secret de sa merveilleuse symétrie, les comédiens confectionneront in fine un dessin du même genre en jetant au hasard de la couleur liquide sur une toile : celle-ci repliée plusieurs fois fera apparaître, dépliée, une symétrie identique.
Une fois hissée, la première toile est devenue œuvre exposée dans un musée, une œuvre devant laquelle passent des visiteurs : sans commentaire puisque le spectacle est muet de bout en bout. Ce qui ne l’empêche pas d’être bavard, des inscriptions (en français et anglais) ne cessant d’être projetées sur des panneaux à l’avant-scène. Des formules définitives qui résument une philosophie dans laquelle on peine à repérer la moindre originalité. Puis dans une scène de rêve un des comédiens retrouve des personnes qu’il a connues, rencontres mimées sur le plateau par les autres comédiens. Ensuite et enfin vient la confection du deuxième tableau.
On n’ose pas imaginer combien cela peut coûter de faire venir un tel nanar au festival. Quand on songe à toutes les troupes du OFF qui se saignent aux quatre veines pour avoir le droit de montrer leurs productions, souvent de grande qualité et bien souvent sans aucun retour des programmateurs, on ne peut s’empêcher de penser que le monde est mal fait, en tout cas que la justice n’est pas du monde du théâtre.
Photos : Ch. Raynaud de Lage